HISTOIRE – Appel à contribution : « Calendriers, mesures et rythmes du temps : associations et conflits » – Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée – 29 mars 2013

Rhuthmos
Article publié le 27 novembre 2012
Pour citer cet article : Rhuthmos , « HISTOIRE – Appel à contribution : « Calendriers, mesures et rythmes du temps : associations et conflits » – Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée – 29 mars 2013  », Rhuthmos, 27 novembre 2012 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article753

Appel à contribution : « Calendriers, mesures et rythmes du temps : associations et conflits » – Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée. Date limite : 29 mars 2013.


L’histoire du temps, telle qu’elle a été jusqu’alors construite par l’historiographie, a porté essentiellement sur l’expérience occidentale. Dans son ouvrage pionnier, David Landes [1] avance que « c’est l’horloge mécanique qui a rendu possible, pour le meilleur et pour le pire, une civilisation attentive au temps, donc à la productivité et à la performance ». Lorsque Norbert Elias [2] insiste avec raison sur le fait que le temps n’est pas une donnée transcendantale, antérieure et extérieure à l’expérience, mais un phénomène socialement et historiquement construit, le temps auquel il se réfère, et dont la maîtrise, selon lui, relève d’un « haut niveau de synthèse », est le temps compté de l’Occident. Partant à la conquête coloniale du monde, les Européens étaient bien en effet convaincus que la maîtrise du temps était un indicateur de la modernité et devait être répandue par l’œuvre de civilisation.


Aujourd’hui apparemment unifiée par la définition physique d’un Temps Universel et par l’usage répandu du calendrier grégorien, la question du temps ne doit pas pour autant donner lieu à des approches linéaires et évolutionnistes, mais invite à restituer la complexité des phénomènes, issus de trajectoires historiques particulières. Ainsi, la chronologie occidentale de l’histoire du temps et des transformations de la conscience du temps (passage du temps de l’Église au temps du marchand au bas Moyen-Age, révolution industrielle…) ne trouve guère de correspondance dans l’histoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Dans cette région, marquée par une situation déjà complexe où se croisent les expériences du temps des Grecs, des Arabes, des Turcs et des Persans, l’arrivée de l’islam, qui impose un nouveau temps religieux et un nouveau calendrier, les luttes politico-religieuses, ou encore les conditions particulières de la modernisation, ont formé ensuite certaines des grandes scansions de l’histoire du temps. Il convient de restituer finement cette chronologie pour saisir les spécificités de l’histoire du temps et de ses mesures dans le monde arabe et musulman.


La région, qui a vu naître les premiers calendriers, est caractérisée, d’une part, par la profondeur de son histoire, qui a entraîné une stratification des mesures et des conceptions du temps, et d’autre part par sa diversité ethnique et religieuse qui a produit, conjointement, une juxtaposition de ces mesures et conceptions du temps. L’histoire du temps dans le monde arabe et musulman est loin de présenter un profil linéaire mais constitue plutôt un champ de concurrence, voire de conflits, opposant notamment pouvoirs politiques et religieux, ou encore pouvoirs religieux entre eux. Et lorsque l’Occident introduit le temps de l’horloge et le calendrier grégorien au XIXe siècle (lui-même en situation coloniale, ou ailleurs, de façon moins radicale, par le biais des États modernisateurs), il s’agit juste d’une modalité nouvelle qui vient s’ajouter à bien d’autres déjà en place.


En dépit de la complexité du temps dans la région, celui-ci n’a pas donné lieu jusqu’alors à une histoire sur la longue durée, apte à saisir les multiples niveaux, les circulations et les emprunts. Il existe certes quelques travaux sur ces questions, notamment sur les calendriers anciens et la conception du temps en islam. Les Ottomans et le temps [3] a apporté récemment un certain nombre de réponses, mais la réflexion doit être poursuivie et les spécificités régionales interrogées. Ce numéro de la REMMM voudrait être l’occasion de donner un premier inventaire des techniques de mesure du temps, et des rythmes qu’elles induisent, replacés dans leur contexte social et historique. Il s’agit là d’un travail préalable indispensable pour aborder ensuite les questions relatives à la transformation de la conscience du temps et à celles du temps comme entité vécue. La réflexion pourrait s’articuler autour de trois axes, dissociés ici mais qui peuvent fort bien s’articuler autour d’une même thématique :


– La mesure du temps. Il s’agirait ici de revenir de façon plus systématique sur une histoire du temps concret, quantifiable, celui du calendrier et de l’heure. Voir comment, à partir de l’hégémonie du calendrier julien (qui cohabite néanmoins avec d’autres calendriers, copte, juif, persan, arménien…), vient s’ajouter le calendrier lunaire musulman, qui adopte une posture majoritaire, mais non universelle. Celui-ci n’évince pas en effet les calendriers antérieurs et laisse place à l’émergence de nouveaux : pour des raisons pratiques, les pouvoirs musulmans, abbaside puis ottoman, adoptent en effet un calendrier fiscal proche du calendrier julien, puis la réforme catholique, suivie par la colonisation et l’occidentalisation introduisent le calendrier grégorien. Les almanachs et Rûznamés ottomans témoignent de la complexité de ces références calendaires. Cet axe invite à explorer également le vaste dossier des datations, de la détermination des ères, du rôle de l’événement. La détermination de l’heure a elle aussi une histoire longue. Il s’agira de revenir sur ce qui touche à l’astronomie et à la gnomonique, art et science des cadrans solaires, notamment le ‘ilm al-mîqât (détermination des heures des prières). Ces disciplines ont été abordées jusqu’ici exclusivement en tant que sciences, et doivent être replacées dans leur contexte social et politique, jusqu’à la confrontation actuelle avec la physique moderne. La question de l’heure civile, qui se lit jusqu’à la Première Guerre mondiale de deux façons différentes (à la turque et à la franque), doit aussi être interrogée, dans ses diversités régionales, ainsi que les modalités du processus d’unification du temps, à partir du XIXe siècle, sous la poussée conjointe des outils de la modernité (télégraphe, chemin de fer…) et des prescriptions internationales.


– Les circulations, emprunts et conflits. Les calendriers, comme la détermination de l’heure, sont des produits et des instruments de pouvoir. L’organisation institutionnelle du temps est un attribut éminent de la domination, que les différents pouvoirs, politiques et/ou religieux, se disputent. Le double mouvement de stratification et de juxtaposition des mesures, tels qu’il apparaît dans le bref inventaire qui précède, est donc traversé de multiples conflits. Ce n’est pas sans difficulté que le calendrier hégirien s’est imposé au commencement de l’islam, et les astronomes ont dû dès lors renoncer aux planètes comme principe explicatif au profit de Dieu. Toutefois, le chiisme persan possède son propre calendrier, solaire. La question de l’adoption du calendrier grégorien, réclamée par Rome aux Catholiques d’Orient, a provoqué de nombreux conflits, voire des scissions, au sein de la cette communauté au XIXe siècle. Les Églises orthodoxes l’ont adopté à leur tour au XXe siècle, à l’exception, dans la région, du patriarcat de Jérusalem. En 1874, le triomphe d’un temps profane désormais compté, rationnel, « moderne », s’est fait en Égypte au prix de la suppression du calendrier copte, même si celui-ci continue encore longtemps à rythmer la vie agraire. Les conflits et compromis qui jalonnent l’histoire du temps dans les sociétés arabe et musulmane doivent être finement documentés.


– Les rythmes du quotidien déterminés par ces différentes mesures. C’est à partir de ces mesures que les individus et les groupes gèrent leurs activités. Si les rythmes ruraux ont longtemps été scandés par les éléments naturels et encadrés par le calendrier julien (solaire), les villes réclament la présence de marqueurs de temps plus subtils pour organiser ses activités complexes. C’est aussi dans la ville que se révèlent de façon plus lisible les conflits de temps et de comptage de temps qui opposent les différents segments de la société. À l’échelle du quotidien, la succession du jour et de la nuit, autrefois marquée réglementairement par l’ouverture et la fermeture des portes des marchés et des quartiers, mais aussi par les prières musulmanes, reste longtemps structurante, donnant lieu à deux univers spécifiques qu’il reste à examiner à différentes époques, jusqu’à aujourd’hui. Le rythme hebdomadaire des différentes communautés est imprégné du temps liturgique et cultuel et marqué par les jours chômés (vendredi vs dimanche). Le calendrier annuel est lui aussi fortement rythmé par le temps religieux (fêtes, carêmes, pèlerinages…), mais aussi par le temps politique (levée des impôts, cérémonies et commémorations…) et enfin atmosphérique (villégiature d’été). La concurrence pour l’imposition d’un temps dominant, ou du moins légitime, se répercute dans l’espace de la ville, notamment à travers des marqueurs sonores (appels à la prière, cloches, coups de canon…). L’analyse de ces différents rythmes, jusqu’à la période actuelle, la mise en évidence des moments de rupture ou de transformation, pourraient donner des indices précieux pour la construction d’une chronologie propre de l’histoire du temps dans le monde arabe et musulman.


Des résumés de proposition (4 000 signes maximum) peuvent être envoyés par courriel à Sylvia Chiffoleau sylvia.chiffoleau@gmail.com avant le 29 mars 2013 Les articles sélectionnés devront être remis avant le 1er septembre 2013.



Call for papers : “Calendars, measures and rhythms of time : associations and conflicts” – Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée – Dead line : March 29th, 2013


The history of time, as established by historiography, focuses mainly on Western experience. In his pioneering work, David Landes[note 1] argues that “it is the mechanical clock that enabled, for better or for worse, a civilization which is sensitive to time, and therefore to productivity and performance.” When Norbert Elias[note 2] rightly emphasizes that the notion of time is not transcendental, preceding or independent of experience, but a socially and historically constructed phenomenon, the time to which he refers and which requires a “high-level of synthesis”, is the time of the West. When Europeans began their colonial exploration and conquests, they were well aware of the idea that controlling time was an indicator of modernity and that it must be spread by the work of civilization.


Today, although seemingly cohesive with the physical definition of a Universal Time and the widespread use of the Gregorian calendar, the notion of time should not necessarily be assessed using linear or evolutionary approaches, but rather with consideration for the complexity of events, given the specific historical contexts in which they take place. Thus, the Western chronology of the history of time and of the transformations of the awareness of time (e.g. going from the ‘time’ of the Church to the ‘time’a of the merchant in the late Middle-Ages, Industrial Revolution, etc.) finds little in common with the history of North Africa and of the Middle East. In this region, characterized by an already complex situation in which multiple notions of time are intertwined, as influenced by the Greeks, Arabs, Turks and Persians, the arrival of Islam, with its new time and new religious calendar, the politico-religious wars, or even the particular conditions of modernization – all contribute to punctuating the history of time. To understand the specificities of the history of time and its measurements in the Arab and Muslim world, it is important to first carefully observe a chronology of history.


This region, in which the first calendars come into existence, is characterized on one hand by the depth of its history, which resulted in a stratification of measures and concepts of time, and on the other, by its ethnic and religious diversity which produced a simultaneous juxtaposition of these measures and concepts. The history of time in the Arab and Muslim world is far from linear, but rather, includes episodes of competition or even of conflict, opposing political and religious powers, or even just religious powers amongst themselves. And when in the 19th century the West introduces the ‘time’ of the clock and the Gregorian calendar (itself in a colonial situation, or elsewhere, less drastically, through modernizing states), it is just a new function that is added to many others already in place.


Despite the complexity of the notion of time in this region, until now, the subject has never been analyzed from a long-term perspective taking into consideration multiple levels and borrowed and exchanged components. Some research has been done on these issues, including on ancient calendars and on the concept of time in Islam. Les Ottomans et le temps[Note 3] recently offered a number of answers ; but the debate should be continued and regional specificities questioned. This edition of REMMM would like to provide an opportunity to give an initial inventory of techniques for measuring time, and of the rhythms they induce, reconsidered within their social and historical context. This is an essential preliminary work which addresses issues related to the transformation of the awareness of time and of the idea of time as an experience.


The study may be approached from three angles, separated in the list below, but potentially brought together and evolving around one theme :


– The measurement of time. Here, the history of time from a tangible, quantifiable, and systematic point of view would be studied, based on the calendar and on clock time. Evolving from the hegemony of the Julian calendar (which coexists nonetheless with other calendars, including Coptic, Jewish, Persian and Armenian), the Muslim lunar calendar is adopted by a majority, but it does not become universal. It does not replace previous calendars and it leaves room for the emergence of new ones. For practical reasons, Muslim authorities, followed by Abbasid and then Ottoman ones, adopted a fiscal calendar similar to the Julian calendar. The Catholic Reformation, followed by colonization and Westernization, then introduced the Gregorian calendar. Almanacs and Ottoman Rûznamés mention the complexity of these calendar references. This angle also allows for the study of the broader issues of dating, determining eras and the role of events. The definition of clock time also has a long history. This brings the research back to astronomy and to gnomonics, the art and science of sundials, including the ‘ilm al-Miqat (the determining of prayer times). These disciplines have been addressed so far only as matters of science, and must now be considered within their social and political contexts, and confronted with modern physics. The question of civil time, which up to World War I reads in two different ways (in Turkish and Frankish), must also be considered in the context of regional diversity, along with the process of time unification, starting in the nineteenth century, driven by the tools of modernity (telegraphs, railways, …) and international requirements.


– Elements borrowed, exchanged and subject of conflict. Just like the definition of clock time, calendars are results and instruments of power. The institutional organization of time is a distinct sign of domination which various powers, political and/or religious, have always fought over. The simultaneous stratification and juxtaposition of measures, as exposed here above, is overlapped with multiple conflicts. It was not without difficulty that the Hijri Calendar was imposed at the beginning of Islam, and astronomers therefore had to abandon the planets as an explanatory principle, in favour of God. Persian Shiism, however, has its own solar calendar. The question of adopting the Gregorian calendar, claimed by Rome from the Eastern Catholics, caused many conflicts, even scissions, within this community in the nineteenth century. Orthodox churches in the region in turn adopted it, during the twentieth century, with the exception of the Patriarchate of Jerusalem. In 1874, the triumph of secular time, now counted, rational and “modern”, happened in Egypt at the cost of the removal of the Coptic calendar, even though the latter continued for a long time to rhythm agrarian life. Conflicts and compromises which mark the history of time in the Arab and Muslim societies must be thoroughly documented.


– Daily rhythms determined by these different measures. It is based on these measures that individuals and groups manage their activities. While rural rhythms have long been punctuated by natural elements and structured using the Julian calendar (solar), cities require the presence of more subtle markers of time to organize their complex activities. It is also in cities that conflicts of time and of counting time, which oppose different segments of society, are more visible. At the level of everyday life, the succession of day and night, once rigorously marked by the opening and closing of markets and neighbourhoods, but also by Muslim prayers, remains influential, resulting in the existence of two distinct worlds to analyse at different times, leading up to today. The weekly rhythm of different communities is influenced by the liturgical and cultic time and marked by non-work days (Friday vs Sunday). The annual calendar also follows the rhythm of religious events (festivals, fasts, pilgrimages…), as well as political ones (tax collection, ceremonies and commemorations…) and seasonal ones (summer breaks). Competition for imposing one dominant time, or at least a legitimate one, is reflected in a city’s space, particularly through sound markers (calls to prayer, bells, cannon shots, etc.). The analysis of these different rhythms up to current times and the identification of moments of rupture or transformation, may provide valuable clues for the construction of a proper chronology of the history of time in the Arab and Muslim worlds.


Proposed abstracts (4000 characters maximum) can be sent by email to Sylvia Chiffoleau : sylvia.chiffoleau@gmail.com before March 29th, 2013 Selected papers must be submitted before September 1st 2013.

Notes

[1Landes David, L’heure qu’il est. Les horloges, la mesure du temps et la formation du monde moderne, Paris, Gallimard, 1987 (Landes David, 1983, Revolution in Time : Clocks and the Making of Modern World, Belknap Press of Harvard University Press).

[2Elias Norbert, Du temps, Paris, Fayard, 1996.

[3Georgeon François et Hitzel Frédéric (dir.), Les Ottomans et le temps, Brill, Leiden – Boston, 2012.

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