Un numéro de revue consacré aux « Rythmes et temporalités en géomorphologie : de l’évolution des volumes de relief à la reconstitution d’événements instantanés », Géomorphologie – Relief, processus, environnement, n° 3/2011

Rhuthmos
Article publié le 3 septembre 2013
Pour citer cet article : Rhuthmos , « Un numéro de revue consacré aux « Rythmes et temporalités en géomorphologie : de l’évolution des volumes de relief à la reconstitution d’événements instantanés », Géomorphologie – Relief, processus, environnement, n° 3/2011  », Rhuthmos, 3 septembre 2013 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article981

Étienne Cossart, Franck Lavigne et Charles Le Cœur, « Introduction au numéro thématique », Géomorphologie : relief, processus, environnement, 3/2011 | 2011, 243-246. URL : http://geomorphologie.revues.org/9453


  • Les géomorphologues, en portant leur attention sur l’évolution du relief terrestre, appréhendent et modélisent la dynamique des milieux physiques. La « flèche du temps » est donc au cœur de la démarche géomorphologique ; on ne pourra d’ailleurs citer avec exhaustivité tous les travaux quantifiant les bilans d’érosion ou reconstituant des rythmes d’évolution. Ainsi, les présentations de « jeunes géomorphologues », effectuées les 4-5 février 2010 à l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), ont intégré cette dimension temporelle, suivant les trois principaux ordres de grandeur temporels classiquement utilisés en géomorphologie (fig. 1) : « le temps de la morphodynamique actuelle, les deux temps des transformations de la géodynamique passée, enregistrées par les archives sédimentaires ou les formes du relief » (Allée et Muxart, 2007). L’importance, en terme de nombre de communications, de ces trois thématiques ne fut cependant pas la même.


Moins nombreuses sont en effet les études de géomorphologie structurale portant sur le temps long (supérieur au million d’années), reconstituant les rythmes et bilans d’érosion à travers des héritages souvent lacunaires et complexes d’interprétation (formes de relief, formations superficielles, paléosols, etc.). Ce tarissement est bien sûr regrettable alors que c’est ce pan de la discipline qui a permis l’essor de la géomorphologie, en témoignent les nombreux schémas d’évolution repris dans les manuels actuels, et que la « structure est la base de tout » (Dewolf, 1981). Sans entrer ici dans les détails d’un débat complexe, peut-être faut-il y voir les effets des réformes récentes du monde de la recherche (davantage centré sur des préoccupations dites « appliquées »), mais également les effets des nouveaux formats académiques (thèse en trois ans, puis habilitation de recherche (HDR) au nombre de pages réduit ; Lageat et Le Cœur, 2007), incitant à l’acquisition de résultats rapidement publiables. L’article d’A. Poiraud et al. (ce volume) montre pourtant que des études portant sur la structure et la lithologie relèvent d’une recherche certes fondamentale, mais dont les applications sont réelles. Dans le cas présenté, aussi bien le déclenchement que le fonctionnement des mouvements de masse du bassin du Puy ne peuvent être compris sans une étude poussée du cadre structural.


Les Journées des Jeunes Géomorphologues 2010 ont montré que la reconstitution des dynamiques passées à travers les archives sédimentaires constitue en revanche une part de notre discipline en plein essor et aux applications renouvelées, notamment en géoarchéologie. L’amélioration récente tant des méthodes de prospection géophysique que des méthodes de datation est sans aucun doute à l’origine de ce dynamisme. Généralement focalisées sur l’Holocène, les études ainsi menées sont le champ d’interactions scientifiques privilégiées entre le domaine des sciences de la Terre et des disciplines qui portent leur attention sur les activités des sociétés humaines passées. L’article de C. Flaux et al. (ce volume) montre ainsi, à travers le cas du delta du Nil, comment des marqueurs chronostratigraphiques permettent de définir les conditions environnementales des sociétés du passé.


Le temps de la « morphodynamique actuelle » reste, quant à lui, le champ le plus fécond de notre discipline si l’on se réfère au nombre de communications proposées en 2010. Il est vrai que derrière le vocable « actuel » s’associent en fait des échelles temporelles multiples variant de l’événement instantané (typiquement l’aléa naturel) à l’évolution plus lente mais inexorable d’un système réagissant sur plusieurs décennies ou siècles à des sollicitations qui peuvent être aussi bien d’ordre climatique qu’anthropique. Deux grands types de contribution ont pu montrer comment la géomorphologie continuait de progresser dans ce domaine des dynamiques actuelles. Tout d’abord, la description et l’interprétation de marqueurs (notamment sédimentaires) de certains aléas se font plus précises, comme par exemple dans le cas des dépôts de tsunami (article de P. Wassmer et C. Gomez, ce volume) ou des dépôts fluviatiles (article de G. Brousse et G. Arnaud-Fassetta, ce volume). Ensuite, le recours plus systématique à des méthodes relevant de la géomatique pour synthétiser une documentation iconographique riche, mais souvent disparate et hétérogène, permet de mieux reconstituer non seulement un événement unique, mais aussi une succession d’événements sur une profondeur historique de quelques décennies comme dans le cas de l’article de G. Brousse et al. (ce volume).


Face à ces différentes échelles de temps, qui sont presque intuitivement intégrées par les géomorphologues en fonction de leur(s) objet(s) d’étude, les géographes soucieux de « modélisation » ont pu adopter des solutions extrêmes comme la « mise entre parenthèses du temps » (Durand-Dastès, 2001), en privilégiant ainsi dans leur démarche l’explication de ce qui permet à une situation de durer. Ces « modélisations » reposent sur l’hypothèse d’un équilibre, et même d’un équilibre stable, du processus ou du phénomène étudié. Cette « mise en parenthèse » du temps se retrouve pour partie dans la démarche qui fut celle de Siegfried Passarge (1867-1958) dans la définition de sa « théorie du paysage ». G. Hallair (ce volume), dans un article à portée épistémologique, retrace la construction de cette théorie qui préfigurait une démarche typique des systèmes d’information géographique, insistant de façon privilégiée sur les interactions dites « verticales » (sensu Pumain et Saint-Julien, 1997) entre les lieux.


Au final, la dimension temporelle montre tout d’abord l’intérêt que revêt la géomorphologie dans la recherche de marqueurs des changements environnementaux, fussent-ils d’origine climatique, anthropique, ou même tectonique. Ensuite, la prise en compte du temps constitue en soi un champ de recherche fécond qui permet de faire progresser les démarches modélisatrices dans notre discipline. En effet, pour dépasser les reconstitutions diachroniques « discrètes » effectuées à travers de simples clichés statiques, les logiciels de modélisation et de simulation offrent désormais de nombreuses applications pour prendre en compte le temps « continu ». S’ouvrent alors de nombreuses perspectives pour modéliser les équilibres possibles dans le fonctionnement d’un système et comprendre pourquoi un équilibre a été particulièrement atteint et pas un autre. Ces démarches rejoignent sans aucun doute celles de nombreux autres géographes et pourront constituer l’un des « cœurs de métier » à venir de notre discipline.

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