M. Ghyka, Essai sur le rythme (extrait), Paris, Gallimard, 1938.
Dans les deux ouvrages d’esthétique que j’ai publiés avant celui-ci, j’ai examiné du point de vue mathématique le vieux problème des canons et tracés régulateurs grecs et gothiques ceci dans le cadre d’une esthétique générale des « arts de l’espace », spécialement de l’architecture. Ce faisant j’ai été amené à reprendre assez en détail la question de la Proportion en soulignant l’importance qu’avaient pour les créateurs de formes, l’étude de la Proportion en soi (dans le plan et dans l’espace), puis l’examen des surfaces et des corps réguliers et semi-réguliers du point de vue de leurs proportions.
Il m’est souvent arrivé d’employer pour les phénomènes esthétiques créations ou perceptions situés dans l’espace, un mot emprunté aux « arts de la durée » celui de rythme. L’exemple vient de fort loin à cause du rôle primordial que joua l’étude de l’harmonie musicale dans le développement de la Mathématique et de la Philosophie des Grecs (spécialement des Pythagoriciens qui furent les inspirateurs de l’esthétique platonicienne), et en vertu de la théorie symphonique, harmonique, du Cosmos, en laquelle ces deux disciplines se fondaient, leur conception de l’architecture et arts plastiques était gouvernée par des analogies et des préceptes tirés de la musique. Vitruve insiste beaucoup sur ces analogies et emploie du reste le terme d’eurythmie pour désigner un enchaînement de proportions « réussi », c’est-à-dire une symmetria ou commodulation produisant un effet non seulement harmonieux mais aussi symphonique, organique.
Ayant au cours des essais mentionnés plus haut développé et autant qu’il m’a été possible approfondi les notions de proportion, de symétrie (au sens antique du mot) et d’eurythmie dans l’espace, je fus tout naturellement amené à me retourner ensuite vers ce concept de rythme que je n’avais fait qu’effleurer ; ceci aussi bien pour contrôler sil son extension aux créations artistiques dans l’espace était justifiable autrement que par métaphore, que pour l’aborder, l’explorer dans ses retranchements plus intimes, dans son essence même.
D’où le présent « Essai sur le Rythme ».