Ce texte propose une contribution à l’étude des pratiques performatives dans une perspective anthropologique, puisqu’elles sont appréhendées avant tout en tant que pratiques singulières de (dé)socialisation et de (dés)individuation [1]. Cela implique plus particulièrement de contribuer à une certaine anthropologie de l’esthétique, où l’esthétique ne peut être considérée que dans son sens étymologique grec d’aisthesis, désignant la perception par les cinq sens – le percept – altérée par ses plus ou moins immédiates conséquences – l’affect et le concept (Deleuze & Guattari, 1991). L’esthétique appréhendée ici réintroduit praxis et affect comme points d’articulation de l’analyse, à l’instar de « l’expérience esthétique » selon Hans Robert Jauss (1978), dans une approche qui, d’une part, trouve ses racines dans la triade épistémologique « physio-psycho-sociologique » de Marcel Mauss, et d’autre part, suppose une interdisciplinarité moins parce qu’elle puise dans divers champs disciplinaires (anthropologie du corps, des techniques, philosophie, ethnoscénologie), que parce qu’elle tente de répondre à une certaine « exigence de totalité ». Il s’agit d’appréhender les « individus psychiques ou collectifs » dans leurs manières de construire des corporéités diverses – des techniques corporelles investies de rapports sensibles variants et toujours spécifiques – à partir desquelles ils font groupe dans la successivité du temps, et à travers lesquelles ils défendent leurs identifications toujours tendue entre leurs singularités et leurs appartenances collectives.
En effet, l’analyse des pratiques corporelles – dont les pratiques dites performatives et/ou spectaculaires souvent associées aux « mondes de l’art » – en tant qu’assemblages de formes et de rythmes concrets (vocaux, gestuels ou sous forme d’images), présente le risque du travers sémiotisant. Les sciences de l’esthétique (histoire de l’art, esthétique, philosophie, et sémiologie…) ou du social (linguistique, ethnométhodologie…) ont reformé plusieurs fois dans l’histoire des sciences [2] ou bien la distance entre l’affect et le concept, ou carrément rompu avec le percept, anéantissant de cette façon la validité du processus sensible dans les productions humaines, soit précisément la génération d’une relation entre le sujet percevant et l’objet de son attention. Cet incident tient aux limites du langage, mais aussi à une certaine compulsion très occidentale à l’ontologisation du réel, et par conséquent, à l’appréhension mécaniciste de la socialisation humaine. Or, pour éviter toute attitude théorique surplombante et surinterprétation ethnocentrique dans l’étude des pratiques corporelles, il s’agit de ramener la notion – et non le concept – d’esthétique, trop souvent réservé au domaine philosophique ou à l’étude des arts, à ses concrétudes et à ses fonctionnalités. Bref, à son échelle humaine. Il convient dès lors d’observer l’expérience sensible à l’œuvre à travers les négociations de l’expression et de la perception (réception incluse dans cette dernière), exercées ou éprouvées par les individus. L’esthétique se voit donc ici centrée sur une épistémologie de la relation, entendue comme phénomène agissant, formant, déformant et reformant du lien.
L’esthétique ainsi conçue permet d’aborder toutes les pratiques corporelles, mais prend plus de consistance encore avec celles qui exigent, pour être perçues et mises en acte, en et sur scène, un « surcoût de l’attention cognitive » (Schaeffer, 2000). Cette notion, on le verra, met en lumière ce qui change entre une pratique corporelle (une technique du corps comme montage traditionnel de séries d’actes) et une pratique dite spectaculaire ou performative. Dans les secondes, qu’elles soient « artistiques » – c’est-à-dire reconnues dans les dispositifs de l’art décrétés par et mis à disposition dans un ensemble socioculturel donné – ou non, les praticiens sont précisément experts de la construction de la matière sensible et de la négociation de l’expérience sensible, mais aussi cultivent l’intention d’affecter l’autre à travers ces constructions (corporelle et instrumentale). Cependant, ce surcoût de l’attention intervient aussi dans les premières. Il distingue les secondes des premières seulement par le degré de construction et d’intentionnalité que l’individu ou le groupe injecte dans les techniques et les codes qui déterminent sa pratique. Le corps y étant à la fois la cible et la source de la perception, il retrouve là sa consistance de matière travaillée à la fois physiologiquement et affectivement, sans assimiler toutefois chez l’individu ce qui relèverait d’un modelage supposément externe à un modelage interne d’une part, ni une corporéité provenue de facultés propres à une corporéité acquise par habitus d’autre part.
Une pratique se définit par le fait qu’elle a été répétée, éprouvée et reconnue collectivement à l’intérieur de collectivités plus ou moins englobantes. Le degré de construction des gestes, codes et affects et leur répétition dans la successivité du temps participe donc de l’élaboration de sa singularité : ils sont donc à même de révéler les manières dont les groupes sociaux instrumentalisent leur production esthétique pour s’individuer ou se socialiser dans et hors du groupe. L’Odin Teatret, Sasha Waltz and Guests, un groupe de danse folklorique de Roumanie, une association carnavalesque brésilienne, ou même des travailleurs au champ sur les hauteurs martiniquaises, construisent tous collectivement des formes de sociabilités autour de codes et corporéités (des techniques) qui leur permettent de s’identifier, ou au contraire de se détacher, sur une échelle infinie de variations, des représentations et des énoncés culturels dans lesquels ils exercent et/ou s’exposent. Ils construisent en même temps une « communauté esthétique » et son historicité.
Aussi, en dépit de la confusion ensuivie de l’usage de la notion de performance dans l’épistémologie des études théâtrales et chorégraphiques non anglophones, telles que l’ethnoscénologie les a particulièrement mises en lumière [3], nous considérons les notions de performativité et performatif comme opératoires pour l’un des aspects contenus dans le radical perform- : la puissance d’agir qu’il dénote strictement, qualifiant à la fois les actes de langage et les corporéités indissociablement traversées de variations physiologiques et psychiques. Cette « puissance d’agir » (l’une des traductions françaises les plus proches de l’anglais agency décrivant la compétence de la performativité) [4], est l’atome irréductible du sens du verbe en ancien français parformer – agir, mais aussi parfaire – que nous ne possédons plus en langue française, depuis qu’il a été réélaboré dans la langue anglaise à travers la notion de performance [5]. Aujourd’hui, la notion française usuelle de performance n’a conservé que sa connotation quantitative (du toujours plus, l’agir connoté par la perfectibilité du « parfaire »), au détriment de sa consistance qualitative (l’agir comme qualité singulière de l’action). Or, l’agir contenu dans le « performatif », puisqu’il inscrit l’action (verbale ou gestuelle) et transforme de manière plus ou moins importante le contexte dans lequel elle a lieu, est doté d’une dimension foncièrement politique [6], mais en cela qu’elle pourrait tenir, on le verra, dans la répétition.
Toni Negri (1982) à partir d’une lecture politique de Spinoza, fait une distinction fondamentale : le pouvoir comme potere, entendu comme « pouvoir sur » et le pouvoir comme potentia, entendu comme « pouvoir de », « puissance », c’est-à-dire la « capacité » ou « faculté » à réaliser un acte, à travers lequel le sujet « actualise ses potentialités ». C’est bien cette deuxième dimension du pouvoir que dénote la notion de performatif, une dénotation que mettront en lumière entre autres les linguistes Noam Chomsky puis John L. Austin, et les anthropologues comme Judith Butler, Paul Gilroy et Homi Bhabha, à savoir cette potentialité politique d’émancipation du sujet et de transformation du social. Cette dimension politique du performatif a été retenue, toutefois sans porter ce nom, par plusieurs philosophes « réformateurs » de l’esthétique. Parmi eux, Jauss signalait dans sa conférence de 1972 l’urgence de rendre à l’esthétique ses « fonctions sociales […] de normalisation collective et d’émancipation du sujet » (1978, p. 172). Nous y reviendrons.
Cette dimension politique du performatif – cette force agissante transformatrice du social – nous paraît fondamentale dans l’appréhension des pratiques corporelles. Le radical perform tient de l’événementialité et sa pertinence s’érige ainsi dans la contingence engendrée de la désorganisation potentielle du social à travers l’assemblage et la réalisation de techniques, qui sont aussi des technologies du sensible. Elle est essentielle à prendre en compte au vu de la diversité croissante des genres et formes dits performatifs, due non seulement à l’ouverture des frontières et aux phénomènes diasporiques plus ou moins durables, mais aussi à l’accélération du développement des technologies nécessaires à leur diffusion et à leur réalisation. Centrer l’approche sur l’agir socialisant du groupe qui forge cet agir à partir d’un corpus technologique s’instituant dans des pratiques d’expression corporelle – où le corps est à la fois la cible et la source de la perception – quelle que soit la forme de socialité du groupe en question, revient également à questionner « la part fondatrice d’autrui dans la relation que tout homme nourrit envers le monde, et notamment dans la manière dont son corps est socialement construit » (Le Breton, 2004, p. 14). Ainsi l’esthétique peut redevenir un projet anthropologique.
La triade épistémologique esthétique, technique et socialisation, forgée ici, est en réalité au centre de l’œuvre que l’ethnologue et préhistorien André-Leroi-Gourhan (1911-1986) a poursuivi dans la droite ligne des préoccupations de Marcel Mauss pour les « techniques du corps ».
L’héritage d’un programme
En tant que fils spirituel et élève de Mauss, André Leroi-Gourhan prolonge la fameuse triade épistémologique « montages psycho-physio-sociologiques de séries d’actes » (Mauss, 2001, p. 384) reprise inconditionnellement par les performance studies théorisée par Richard Schechner (2001), l’ethnoscénologie théorisée par Armindo Bião (2009, p. 37) et Jean-Marie Pradier (2007), et même « l’anthropologie théâtrale » – qui est un projet artistique, et non une discipline académique – théorisée par le metteur en scène Eugenio Barba (2004). Cependant, il répond à l’exigence de totalité telle que soulevée par Mauss en y introduisant une pensée de la technique (1964, 1965, 1968) articulée de manière originale à la dimension esthétique, inédite pour son époque. Père de ce qu’on appelle en France « l’anthropologie technique » ou « des techniques », Leroi-Gourhan revendiquait lui-même cet héritage et la nécessité d’une approche interdisciplinaire (1968, p. 1917) reconnue par ses pairs et étudiants (Bromberger et al., 1986) bien avant qu’elle n’occupe dans les sciences sociales la place qu’on lui consacre aujourd’hui [7], particulièrement fertiles pour la reconstitution de l’évolution des techniques comme pratique de socialisation et de créativité singulière, dans un « milieu » toujours déterminé.
Pour lui, la technologie, identifiant une pratique, renfermait précisément la singularité de ce qu’il appelait la « vie ethnique » (1968, p. 1920). Mais, et c’est là que son articulation entre technique et esthétique est susceptible d’enrichir l’appréhension des pratiques corporelles et spectaculaires, il s’intéressait plus particulièrement, d’après une formule de Bruno Karsenti, aux manières spécifiques dont l’homme à partir de ses techniques corporelles « se projet[ait] au-dehors sur l’espace commun du social » (1998, p. 236-237). Sa conception technologique fait surgir un double apport : d’une part, ce qui est technologique ne provient pas tant d’une extériorité de l’instrument que d’une intériorité du sujet social – on n’en était pas du tout convaincu à l’époque – et, d’autre part, c’est dans l’indissociabilité fondamentale entre l’« acquis » et la « faculté » dans le geste et la parole que s’inscrit la « réalité technique », reléguant ainsi l’instrument toujours au second plan.
La collecte des outils et des produits de l’activité matérielle ne suffit pas à définir les techniques, tout au plus assure-t-elle le sauvetage de matériaux scientifiques qui seront plus tard interrogés comme de simples documents d’archéologie, privés du tissu des gestes et des intentions qui en faisaient des éléments de la vie ethnique. La technologie intéresse aussi bien la recherche d’un cadre général théorique sur les opérations manuelles que celle du rôle de la technique dans l’assemblage ethnique ; comme les autres branches, la technologie s’offre à la fois comme l’étude d’opérations communes à une civilisation ou à un certain stade de l’évolution et comme l’analyse d’éléments incorporés dans une formule ethnique. (1968, p. 1820-1821)
On pourrait dire qu’il a fait ainsi des techniques du corps, des technologies du sensible. Son apport principal réside dans l’approche de la technique en tant que forme d’expression et mécanisme de socialisation, en privilégiant un certain paradigme de la relation : « l’unicité ethnique dans le temps et dans l’espace, écrit-il, n’est en réalité ni dans les objets ni dans les institutions, mais dans les rapports. » (1968, p. 1821). À partir de ce programme, le carcan technique vient révéler les construits identitaires – il dirait « ethnique » – par-delà toute institutionnalisation (représentations nationales-étatiques, socio-économiques, territoriales, bref, technocratiques). Il s’agit plutôt de se demander comment une esthétique devient un enjeu collectif. Recentrer la question sur ses applications et effets dans la vie sociale peut éviter de (sur)construire et sur-interpréter des descriptions ou procéder à l’établissement d’un simple catalogue de genres et de pratiques ne reflétant pas la nécessité pour les hommes de cultiver un rapport sensible, esthétiquement investi, au monde, s’opposant aux supposés déterminismes sociaux auxquels ils seraient soumis.
Pour André Leroi-Gourhan en effet, « la technique, le langage et l’esthétique » sont non seulement « les trois manifestations fondamentales de la qualité d’homme », mais elles sont « solidaires » et nous devons les observer dans leur « relation » (1965, p. 88).
Cette appréhension est applicable à tout groupe qui fait groupe en se réunissant autour d’un ensemble de techniques du corps, lui servant à exprimer une ensemble de valeurs identitaires, mais aussi à bâtir ses propres « régimes d’identification » (Rancière, 2000) internes, et non pas une identité calquée sur un corpus d’énoncés institutionnalisés hors du groupe. Dans ce grand ensemble d’assemblages de techniques, nous trouvons bien sûr ces objets dont l’ethnoscénologie et les performance studies ont fait leur spécificité, qu’elles nomment respectivement formes performatives, spectaculaires et performances, qui sont toutes des formes d’expression plus ou moins spectaculaires, plus ou moins construites, plus ou moins codifiées, où le corps est engagé d’une certaine manière. Par ailleurs, l’appareil épistémologique et méthodologique déroulé dans son programme et auquel nous allons nous intéresser maintenant, est latent ou prolongé dans la production scientifique d’autres disciplines que celles qui sont traditionnellement associées à l’études des arts du spectacle en France, comme l’anthropologie et la philosophie. Il permet d’éviter l’utilisation des épistémologies problématiques du champ théâtral et de celui de la performance, en abordant les pratiques spectaculaires par un cheminement analytique différent.
En 1968, André Leroi-Gourhan eut cette formule réunissant de manière inédite l’ensemble de son programme :
Les nuances sont pourtant l’élément définitivement significatif et l’esthétique au sens large pourrait bien être l’une des clefs de l’ethnologie. S’il en était ainsi, il y aurait véritablement une science à créer, celle des valeurs, des rythmes, des saveurs et des formes, dans une systématique adaptée aux besoins de l’expression de l’indéfinissable ethnique […]. (1968, p. 1823)
On y retrouve aisément ses préoccupations pour la totalité, la conception maussienne des techniques du corps, et l’esthétique comme projet anthropologique. On doit également lui reconnaître une actualité impressionnante à l’heure où la technique (la technologie et les nouvelles pratiques qu’elle entraîne) semble aller plus vite que nos analyses sur elle, un décalage difficile, mais urgent à penser eu égard à son incidence sur les formes et les rythmes nouveaux du monde, et ce que l’on peut en dire dans la distance de l’analyse. Elle contient les trois lignes de force formulant une épistémologie de la complémentarité qui nous paraît pertinente pour l’étude des pratiques performatives : 1) l’attention aux « nuances », 2) « l’esthétique au sens large » comme « l’une des clés de l’ethnologie », 3) un certain paradigme du « rythme » (ses valeurs, saveurs et formes), vers, enfin, l’élaboration d’une « systématique adaptée aux besoins de l’expression de l’indéfinissable ethnique ».
« Nuances »
Les « nuances », d’abord. Premièrement, il y a celles de l’objet investigué qui s’insère toujours dans un ensemble d’objets similaires mais dont les catégories indigènes (gestes, paroles et représentations) et les modes d’appropriation définissent une singularité qui le distingue dans cet ensemble. Deuxièmement, celles que le chercheur doit prendre en compte dans sa restitution de l’analyse : c’est là que se joue l’épreuve ethnographique (Leroi-Gourhan, 1968, p. 1821). De là, on peut déployer l’exigence de la nuance selon trois perspectives, la modalité, la réflexivité, et l’appréhension de la différence, où un regard micro-logique (le souci du détail) et une critique constante du langage, sont transversalement conditionnels.
Parce que les nuances font sens et sont sens dans toute pratique corporelle, et s’exacerbent dans l’expression des pratiques où les corporéités sont particulièrement construites, leur approche théorique doit prendre le parti pris de la modalité en anthropologie. L’implication de la modalité en anthropologie, que François Laplantine décline en sept propositions (2005, p. 185-216) permet de replacer leur appréhension dans la temporalité et leur infime transformation. Pour l’auteur, il s’agit d’une « démarche permettant d’appréhender les modes de vie, d’action et de connaissance, les manières d’être, et plus précisément encore les modulations des comportements, y compris les plus apparemment anodins, non seulement dans la relation à l’espace, mais dans la dimension du temps, ou plutôt, de la durée » (2005, p. 185). Forgé à partir de son sens musical (modes mineur et majeur) et grammatical (modes de la conjugaison verbale, 2005, p. 188), le qualificatif modal centre l’attention sur l’intensité et la plasticité propre au phénomène étudié dans le temps et l’espace, mais aussi sur la perception qu’en a le chercheur. Il s’agit ainsi de « réintégrer l’expérience sensible du temps dans notre mode de connaissance » (2005, p. 190), privilégier le processus sur le produit, le faire sur le fait. Cela implique de prendre en compte les diverses réalités que nous percevons de l’expérience du phénomène que nous étudions. L’attention à la modalité ne peut ainsi se départir d’une approche critique du langage, c’est-à-dire résister à son usage autoritaire et utilitaire, qui confond l’information ou la communication avec la production de connaissance. Il s’agit au contraire d’utiliser le langage pour dire « ce qui l’excède », c’est-à-dire, l’affect, en se réorientant vers la « pensée d’une solidarité du concept-affect qui est une solidarité conflictuelle, c’est-à-dire vers une implication réciproque de la vie sensible du sujet, de l’histoire et du langage dans son rapport à ce qui n’est pas à proprement parler langagier » (2005, p. 211).
Penser le sensible revient donc à recourir à une exigence de rigueur qui ne peut faire l’économie du langage, lequel est articulation et médiation. Et pour l’auteur, l’esthétique est l’une de ces « médiations » (2005, p. 213). C’est « cet écart, écrit-il, par rapport au langage, dans un travail de réorganisation perceptive et auditive, […] qu’il convient de revendiquer » (2005, p. 217). Les pratiques performatives se distinguant par leur degré de construction, de codification et d’intention, sont susceptibles de bénéficier de l’exigence modale en relevant les écarts entre les catégories du discours (verbal et gestuel) et leur réalisation, en résistant à la tentation sémiologique réduisant une pratique à un objet flottant indépendant de tout contexte social, en replaçant le percept comme garde-fou de l’attitude surplombante de la théorisation et de la conceptualisation. Il convient alors de porter une attention micrologique à la mise en scène des corps, des sons, des images et du langage (Laplantine, 2009) pour s’affranchir de la sémiologie contre la décomposition et la suppression du lien social, et restituer dans l’écriture la polyphonie de la réalité à travers un regard globalisant.
À l’évidence, il n’y a pas de perspective modale possible sans une réflexivité chronique traduite par cette critique constante du langage. Comme l’ont montré, entre autres, Pierre Bourdieu (1980) et Henri Meschonnic (1995), notre perception et le corpus langagier à notre disposition pour la décrire et l’analyser sont historiquement et socialement construits. Les performance studies (Schechner, 2000, chap. 1) puis l’ethnoscénologie (Bião, 2009, p. 39 ; Pradier, 2007) se sont saisies, pour l’établissement de leurs méthodes respectives, de la réflexivité telle que suscitée par son éclatement dans le débat et la constitution d’une anthropologie de la performance turnerienne, elle-même issue de la rencontre entre des artistes du théâtre et des anthropologues. L’exigence de réflexivité, issue initialement de la mise en question de la méthodologie de la pratique du terrain, et posée par l’École de Chicago, est directement héritière des tendances phénoménologiques qu’Alfred Schütz avait développées dans la sociologie (Le Breton, 2004, p. 92-98). L’esthétique s’y concevait non seulement déjà en terme phénoménologiques mais aussi dans le paradigme de la relation sociale, sans être confondue au domaine des arts. On doit notamment à Clifford Geertz les pointages les plus incisifs sur le problème de la perception, de la réception, et de la restitution par l’ethnographe. Dans l’épilogue de l’ouvrage posthume de Victor Turner The Anthropology of experience, où sont discutées les problématiques du « text as performance » et « performance as text », Geertz montre comment « la vie des symboles » détruit les binarités en soulevant les contrastes qu’émet tout sujet entre son expérience de l’événement qui en est à l’origine, et son « rejeu interprétatif » (interpretative replay, 1986, p. 380), en soulignant la capacité de l’expérience, même rejouée, à créer de l’original (originate), à l’infini. « Tout est affaire de gratter les surfaces » (1986, p. 373), écrit-il, et c’est assurément par le biais de nos expériences que nous trafiquons avec et altérons la réalité. On ne s’étendra pas plus sur l’exigence de réflexivité au vu de sa fréquente mobilisation. En revanche, l’attention prise aux infimes gradations des nuances de l’expression et de la perception, induisant une posture réflexive ferme, mettent en lumière l’importance de l’appréhension de la différence dans toute production humaine, et d’autant plus lorsqu’elle est projetée sur l’espace commun du social.
L’attention aux nuances implique une pensée de la différence comme singularité/irréductibilité et comme intraduisibilité culturelles. Leroi-Gourhan les liait, avec une terminologie quelque peu datée, aux processus de « spéciation » et de « différenciation des ethnies », dans ce qu’il prenait à la fois pour le fondement et l’épreuve de l’ethnologie : « la recherche des lois de particularisation » (1968, p. 1119). La nuance en tant qu’énonciation sonore, visuelle, olfactive etc., participe de la production de différences par cet « indéfinissable ethnique », et bien sûr, nous confronte à nos limites lorsque nous nous employons à traduire des ethos formés par un groupe dans ses pratiques corporelles. Pour Leroi-Gourhan, les techniques agençant ces ethos doivent être considérées comme des « assemblage[s] origin[aux] et complet[s] » (1968, p. 1819 sq.) pour contrer le risque de produire une juxtaposition d’informations et réduire l’ethnographie à sa fonction d’enregistrement [8]. Aussi, la différence comme singularité (irréductibilité culturelle) et intraduisible (limites du langage) doivent être rigoureusement appréhendées ensemble.
L’anthropologie du corps et des émotions à partir de l’expérience sensible où les perceptions sensorielles et l’expression des émotions sont socialement et culturellement modelées, participent évidemment à ce projet. Telle qu’elles ont été inaugurées en France notamment par David Le Breton (1990, 1998), leur intérêt porte sur le fait que « ce sont des relations » qui impliquent « simultanément la différence à la fois collective et individuelle, c’est-à-dire la succession des cultures et en leur sein des manières singulières dont les individus se les approprient » (2004, p. 9). Ici encore l’auteur expose à sa manière la triade pouvant servir de base à une anthropologie de l’esthétique centrée sur les « cultures affectives » (2004, p. 179-190) où un « terme émotionnel ne s’entend qu’à l’intérieur d’un ethos propre » (2004, p. 180). Et cet ethos propre se constitue, dans les pratiques corporelles artistiques ou non, spectaculaires ou non, à partir de techniques à travers lesquelles des groupes instrumentalisent leurs relations au monde. C’est à l’intérieur de cette instrumentalisation, qui est une construction, que les groupes fabriquent l’irréductibilité de leur singularité culturelle collective. Ainsi, la nuance en tant que différence est-elle centrale dans le sens où elle dévoile le jeu de la partition, à la fois collective et individuelle, des « partages du sensible » (Rancière, 2000).
L’étude des pratiques corporelles, surtout spectaculaires, ne peut faire l’économie de leurs dimensions politiques. Ces dernières ne se révèlent pas en particulier sur la scène, et encore moins systématiquement dans le discours (gestuel ou verbal) mis en scène, mais bien plutôt dans la manière de mettre au jour et distribuer ce discours. Les cultural studies, et notamment les postcolonial et subaltern studies, ont brandi la notion de différence, largement imprégnée des théories dites postmodernes comme celle de Derrida et sa notion de « signature » (L’Écriture et la Différence), en la réintroduisant comme valeur et source susceptible de reconstituer ou décrire moins idéologiquement la réalité plurielle des processus de socialisation. Comme le rappelle ici Homi Bhabha, « l’énonciation de la différence culturelle problématise la division binaire entre passé et présent, tradition et modernité, au niveau de la représentation culturelle et de son discours autoritaire » (2007, p. 78). De même, on ne peut sous-estimer que « l’émancipation commence […] quand on comprend que les rapports du dire, du voir et du faire appartiennent à la structure de la domination et de la sujétion » (Rancière, 2008, p. 19). Ces rapports du dire, du voir et du faire sont des performativités qui révèlent davantage sur les rapports sociaux puisqu’ils s’élaborent dans un échange direct entre individus et rendent contingent son devenir. Dans le même sens, Judith Butler, autre théoricienne du « politique du performatif » ou de la puissance d’agir en tant que politique, s’érige contre toute naturalisation provenue de la réduction de la réalité au langage, car « le performatif social joue un rôle crucial non seulement dans la formation du sujet, mais également dans la contestation politique et la reformulation continuelle du sujet » (2004, p. 210). Cette différence provenue de la « reformulation continuelle du sujet » a d’autant plus de force qu’elle est énoncée (dans les gestes et la parole) de manière répétée, ré-itérée. Pour elle, la puissance d’agir contenue dans le performatif ou la performativité (performativity) réside dans le fait que toute action fait écho à des « actions antérieures et accumule la force de l’autorité à travers la répétition ou la citation d’un ensemble de pratiques antérieures qui font autorité » : il n’y a donc aucune « force performative sans cette historicité accumulée et dissimulée » (2004, p. 80). C’est ainsi que Butler ouvre le champ du pouvoir de re-signification (2004, p. 100) par le sujet lui-même. Et bien sûr, cette analyse de l’action verbale vaut pour les gestes, et ce, quel que soit leur degré de construction. Si « l’essence de la politique réside dans les modes de subjectivation dissensuels qui manifestent la différence de la société à elle-même » (Rancière, 2004 p. 251-252), alors les pratiques spectaculaires fournissent forcément ces mécanismes à lire à travers l’exercice verbal, sonore et gestuel des praticiens à l’œuvre, car ils s’y livrent plus ou moins libérés d’un carcan juridique ou institutionnel établi dans le consensus social.
Les relations entre l’expérience et l’expression du sensible donnent à voir et comprendre le jeu des distributions sociales par-delà le jeu de l’institutionnalisation. Ce qu’il convient de voir comme le soulève le philosophe Jacques Rancière, c’est que les « oppositions définissent proprement un partage du sensible, une distribution a priori des positions et des capacités et incapacités attachées à ces positions. Elles sont des allégories incarnées de l’inégalité » (Rancière, 2008, p. 19). La conscience de cette inégalité et sa prise en compte sont indispensables pour se défaire de tout ethnocentrisme : certaines « manières de faire » restent inapprochables par les instruments linguistiques de l’institution dans lesquelles elles s’insèrent. Ces énoncés institutionnels mettent au jour l’inconciliabilité des deux logiques de l’art, sa génération et ses dispositifs, en croyant pouvoir confondre des pratiques signifiantes pour le groupe qui les exercent, avec leurs représentations. Il faut tenter au contraire, comme le propose Homi Bhabha, de se défaire d’une analyse « où le texte Autre est pour toujours l’horizon exégétique de la différence, jamais l’agent actif de l’articulation » (2007, p. 73) et être attentif, bien que ce soit difficile, au moment où
l’Autre perd son pouvoir de signifier, de nier, d’instaurer son désir historique, d’établir son propre discours institutionnel et oppositionnel. Si bien connu que soit le contenu d’une autre culture, si anti-ethnocentrique que puisse être sa présentation, c’est sa localisation comme le point de fermeture des grandes théories, la demande, en terme analytique, qu’elle soit toujours le bon objet de savoir, le corps docile de la différence, qui reproduit une relation de domination et constitue l’accusation la plus grave contre les pouvoirs institutionnels de la théorie critique. (2007, p. 73)
Cette attention est d’autant plus nécessaire qu’on étudie de plus en plus de pratiques issues de l’accélération globale du phénomène diasporique et de pratiques issues de divers genres spectaculaires déjà établis, ou aux statuts divers, ou encore inédits. Une analyse de la catégorie portugaise de l’action « brincar » [9] a été pertinente à ce titre. C’est souvent la modalité de l’action – ses qualités – qui politise, c’est-à-dire qui injecte cet écart nécessaire ou ce dissensus, la différence d’une société à elle-même. En ce sens, l’introduction dans l’approche des pratiques performatives, de la politique en tant que manifestation d’un dissensus dans l’espace social, la politique seulement dans la mesure où elle manifeste ces partages du sensible historiquement institués et accumulés, paraît essentielle. En effet, si on définit une communauté esthétique par le fait qu’elle se réunit autour de techniques et manières de produire fabriquant un ensemble symbolique derrière lequel elles entendent manifester une certaine identification, on sait que certaines exercent à l’intérieur de groupes les englobant ne reconnaissant pas cet appareil dans leur sensibilité, ou, pire, comme pouvant relever de ce qu’ils conçoivent comme « beauté ». En ce sens, on peut citer l’approche du corps de l’anthropologue Pierre-Joseph Laurent, qui analyse la beauté en terme « d’inégalité fondamentale » (2011, p. 35-58). C’est la vieille (et sombre) histoire de la problématique de l’art en anthropologie : les modes d’appropriation de la production esthétique ne se dissolvent pas dans la diversité culturelle. Pour l’auteur, le corps étant à la fois un donné et un construit,
le corps objet est celui du corps propre, d’une « esthétique déjà là ». […] il renvoie à une répartition inégale de la beauté et à une « singularité donnée ». Que celle-ci repose sur des critères universels ou qu’elle procède de conventions culturelles, évolutives et négociables ne change pas fondamentalement [la] question. Ce corps propre est donc celui que chaque humain doit s’approprier. Il est alors question d’un corps construit qui devient un corps sujet en mesure d’exprimer une identité culturelle particulière à la faveur de la reconnaissance que lui accorde l’entourage. (Laurent, 2010, p. 40)
« L’esthétique au sens large comme l’une des clés de l’ethnologie »
La notion d’esthétique est problématique en elle-même, il n’est pas besoin d’insister sur le fait qu’il s’agisse d’une notion européocentrée, polysémique et polémique dont l’emploi porte à confusion selon les terminologies académiques. Aussi, pour atteindre ce « sens large » dont parle Leroi-Gourhan, et qu’elle soit opératoire sans forger de réductionnismes, il convient paradoxalement de la restreindre à son étymologie grecque, aisthesis, telle que définie plus haut. Elle est entendue ici comme un rapport sensible au monde, établi par le phénomène de l’expérience qui n’a plus rien à voir avec la « théorie de l’art » laquelle, comme Hans Robert Jauss le faisait remarquer en 1972, « restait limitée à l’ontologie de l’objet esthétique, et abandonnait le plus souvent les problèmes résultant de la praxis esthétique à la poétique normative ou à la théorie subordonnée des affects » (1978, p. 144-145). Praxis et affect sont au contraire la combinatoire essentielle à notre programme. En recourant à une approche plus apologétique de l’expérience esthétique, Jauss déroule, avec d’autres, un véritable projet anthropologique [10].
En effet, pour réintroduire l’esthétique en tant que praxis et défendre la fonction sociale de l’art et des disciplines scientifiques à son service, Jauss formule quatre thèses. Premièrement, l’expérience subjective débouche sur l’expérience intersubjective (1978, p. 143) parce que la jouissance nécessaire à l’expérience esthétique se distingue de la jouissance sensuelle par la « distanciation du sujet et de l’objet » (1978, p. 142) : l’expérience esthétique devient alors non seulement une relation entre le sujet et l’objet et n’est plus réduite à des propriétés supposément spécifiques de l’objet, mais elle entraîne inévitablement cette prise de distance réflexive nous ramenant à la conceptualisation, fondamentale pour l’ethnologue, comme pour l’artiste. Deuxièmement, l’expérience esthétique est émancipatoire en n’opérant pas seulement à « la libération de quelque chose (catharsis) mais pour quelque chose » (p. 143) : en mobilisant Paul Valéry notamment, Jauss montre que la pratique de l’art devient l’exercice d’un pouvoir poïétique, et ce double aspect de la production/réception assure une fonction cognitive, la production de connaissance. Ce con-naître n’est plus dans la perception esthétique un re-connaître mais une « découverte », c’est-à-dire non pas un « simple retour contemplatif vers quelque vérité préexistante mais un “connaître” qui dépend d’un pouvoir qui s’expérimente dans l’agir », de telle sorte que « comprendre et construire ne sont plus qu’une seule et même opération » (p. 152). Troisièmement, « la perception esthétique est une instance de critique du langage et de la création » (p. 160), et cette valeur opératoire et cognitive de la perception esthétique lève l’opposition entre jouissance et action, attitude esthétique et pratique morale ou éthique. Jauss reconnaît donc à l’expérience esthétique une certaine « raison pratique » (p. 169) bien avant l’apport neurologique de L’erreur de Descartes [11]. Quatrièmement, l’expérience esthétique n’aura de fonction sociale que si on ne la réduit pas à l’expérience de l’œuvre ou à l’expérience de soi, mais si elle s’ouvre sur une expérience de l’autre (p. 161).
Extrêmement simplifiées ici, ces thèses participent à la réhabilitation de la perception esthétique dans le processus social et à la reconsidération de ses fonctions socialisantes et individuantes. Dans les pratiques corporelles codifiées en vue de la réalisation d’un produit artistique ou non, scénique ou non, le fait que le corps soit le médium par lequel l’expérience est réalisée, à la fois la source et la cible de la perception, donnent à lire les processus d’individuation et de socialisation, mais aussi à comprendre le rôle du phénomène collectif de l’investissement esthétique dans la construction d’un groupe à partir de ses différenciations par rapport à un autre l’englobant. En exposant les altérations que nous opérons sur la réalité grâce à l’expérience esthétique, ces thèses affirment la consistance anthropologique de l’esthétique.
La crispation sur l’ontologie de l’objet dans les sciences de l’art que Jauss évoque a brillamment été déconstruite par le philosophe Jean-Marie Schaeffer, mobilisant lui aussi explicitement l’anthropologie. Il est fréquent que l’étude des pratiques performatives s’en tienne à l’établissement de répertoires descriptifs de techniques ne replaçant pas l’objet dans son contexte et son réseau de relations. Schaeffer rappelle à quel point les projections selon lesquelles un « objet esthétique » aurait des propriétés perceptives surnuméraires internes (propriétés physiques et artefactuelles) ou relationnelles (propriétés intentionnelles et fonctionnelles) sont culturellement construites et européo-centrées. Pour lui, « contrairement aux apparences, ce qui pose problème dans l’expression “objet esthétique”, ce n’est pas le deuxième terme, mais le premier : penser la dimension esthétique en termes d’objets nous interdit l’accès à la réalité des faits esthétiques » (2004, p. 29). Pour appréhender la spécificité de ces objets en ce sens, il propose les notions de « surcoût de l’attention » et de « relation esthétique ».
Schaeffer (2004) construit la notion de « surcoût » à partir de deux autres : « système d’information coûteux » que Roland Barthes avait formulée pour décrire et définir « l’art dans un message verbal », « de façon à éviter toute restriction de la poétique à la poésie et à bien marquer qu’il s’agit d’un plan général du langage commun à tous les genres » (Barthes, 2002b, p. 1272) ; et « architecture à fonction purement ostentatoire », que Carl T. Bergstrom (2001) avait élaborée à partir d’une théorie biologique des signaux chez l’animal. Par « signaux à coût élevé », il entend « toute production de signaux qui prend le contre-pied du principe d’économie régulant en général les activités vitales » (2004, p. 43). Une distinction est importante ici : il ne faut pas confondre l’attention avec l’intention esthétique, car l’intention esthétique n’engendre pas automatiquement un surcoût de l’attention esthétique. Cette dernière notion présente ainsi au moins deux avantages : décrire le travail de l’esthétique en tant que relation sensible entre un individu (psychique ou collectif) et l’objet de son attention, sans passer par le seul prisme d’une représentation mentale préalable de l’objet ou d’un seul déterminisme social contrôlant son corps ; décrire la particularité de cette relation engendrée d’une construction particulière de l’objet, sans lui prêter des propriétés sensibles supposément surnuméraires (comme dans « objets d’art », « beaux-arts »). De plus, elle ne présente aucun marqueur ethnocentrique, social, économique ou statutaire. D’ailleurs, Schaeffer voit en elle une « constante transculturelle et transhistorique » (2004, p. 42).
À la suite de Gérard Genette (1997) notamment, il propose un autre instrument pertinent, « la conduite esthétique » pour mettre en lumière celui de « relation ». La polysémie du terme de conduite (très analogue à celui de pratique néanmoins sans forcément évoquer la « répétition ») montre en effet les dissensions subtiles entre ce qui la gouverne [12], et ses interactions dans un contexte donné. Elle pose ainsi la question de l’intention. Chez Genette, le terme désigne la démarche d’un sujet en tant qu’il se met dans un état propice à faire ces expériences ou à les provoquer, générant ce faisant une « relation esthétique » : l’œuvre de l’esthétique (il dit « l’œuvre de l’art ») est ainsi relation. Par ailleurs, l’individuation qu’elle rend propice est susceptible de mener à la « participation » au sens où Gilbert Simondon écrit que « la participation, pour l’individu, est le fait d’être élément dans une individuation plus vaste par l’intermédiaire de la charge de la réalité […] des potentiels qu’il recèle » (1989, p. 18). Dans le projet d’une anthropologie de l’esthétique, la relation esthétique est reconnue à la fois comme moteur et motif du social.
Schaeffer reprend la notion de « conduite esthétique » en réorientant son appréhension, mais de manière modérée, vers les sciences cognitives. Il s’agit d’« une activité et non une attitude passive », « de discrimination cognitive de discernement » qui « peut comporter des composantes imaginatives » et enfin, « accompagnée d’une satisfaction prise à l’activité cognitive elle-même » [13]. Pour en faire cet instrument « transculturel et transhistorique », il faut admettre sa compétence relationnelle en « distingu[ant] entre l’activation esthétique d’un objet ou d’une représentation et les fonctions éventuelles dans lesquelles cette activation se trouve enchâssée » (2004, p. 43). Cette distinction est essentielle dans la mesure où de cette manière, les pratiques spectaculaires ne peuvent plus être confondues avec les dispositifs de l’art qui sont des contraintes entre autres spatiales, temporelles, technologiques, sonores etc. adjacentes, mais qui peuvent avoir un impact inaltérable sur leur formatage. Elle mène à voir ce que Jacques Rancière appelle les « régimes d’identification de l’art » : un régime « où l’art est identifié par un mode d’être sensible propre à ses produits » (2000, p. 90). Or, il n’y a pas d’art pour autant qu’un groupe recourt à son identification interne. Il ne suffit pas qu’il y ait des peintres ou des musiciens, des acteurs ou des danseurs pour qu’une forme d’art soit identifiée. L’auteur affirme que pour qu’il y ait de l’art, « il faut encore que leurs performances soient l’objet de regards qui y discernent une sphère d’activité spécifique, de jugement qui argumente cette spécificité, d’institutions qui donnent corps à cette visibilité » (Rancière, 2004, p. 15). Ces régimes d’identification de l’art ne doivent pas être confondus aux dispositifs de l’art, même s’ils coexistent.
« Une science des valeurs, des rythmes, des saveurs et des formes »
Toute société produit des « cultures affectives » par le biais de pratiques techniquement codifiées et esthétiquement investies. L’attention micrologique du regard sur les modalités de la codification et de l’investissement esthétique est nécessaire pour ne pas brader la complexité et la singularité de chacune. L’ensemble des notions de « valeurs », « rythmes », « saveurs » et « formes » prennent d’autant plus de consistance dans les pratiques où les corporéités font spécifiquement l’objet de constructions formelles et imaginaires, où les techniques construisent de la connaissance. Mais l’épistémologie du rythme a ici une valeur paradigmatique, à l’instar de celle de la relation. Tout sujet impliqué dans une pratique spectaculaire fabrique une éthique collective à partir d’instruments techniques (le corps inclus) dont la singularité provient de la production d’un rythme par l’instrumentalisation de valeurs (imaginaires), saveurs et formes (concrètes).
Comme Bruno Karsenti l’a saisi chez Leroi-Gourhan, c’est dans la façon dont l’homme se projette au dehors qu’il fait d’un phénomène technique ou d’une technologie un fait social total (1998, p. 229) et porte son historicité. Karsenti identifie la notion de « biologie de la technique » comme « le lieu épistémologique » (1998, p. 234) du programme de Leroi-Gourhan (1964, p. 209), investi d’une double intention : resituer le phénomène technique dans une dynamique vitale qui en détermine le sens et les modalités ; et prendre acte des formes sociales d’existence dans lesquelles cette dynamique s’accomplit nécessairement (1998, p. 227). Évidemment « le corps en tant que corps technique, c’est-à-dire en tant que corps expulsé de lui-même par ses propres forces, et exposé sur l’espace commun du social » (1998, p. 236-237) est l’obstacle fertile sur lequel Leroi-Gourhan articule sa pensée. En traitant la mémoire du corps comme d’une mémoire spécifique, avec ses propres « mécanismes de conservation, stabilisation et d’intégration », il pourrait résoudre la contradiction issue de l’expression « technique du corps » : penser simultanément ce qui relève d’une faculté propre (la créativité) et de l’acquis (l’habitus) :
Ce que le phénomène technique dans sa diversité même rend matériellement visible, ce n’est au fond rien d’autre que la dynamique proprement humaine du déploiement d’un certain comportement technique, de son inscription dans le monde sous différentes formes instrumentales. Ce qui est humain, et seulement humain, c’est avant tout la projection au dehors, sur une scène forcément collective, des organes de la technicité – d’une technicité qui ne cesse pas d’être organique alors qu’elle s’affirme sur le mode instrumental. (Leroi-Gourhan, 1965, p. 63, cité in Karsenti, 1998, p. 238)
La manière dont Leroi-Gourhan aborde la technique, comme une « option biologique inscrite dans l’élément corporel, conduit inéluctablement à une conception foncièrement vitaliste de la matière, qui la présente sous le jour déconcertant d’une sorte d’organologie générale » (Karsenti, 1998, p. 238). Cette conception n’invite donc pas à forclore la conception sociale de la technique dans une « puissance propre du social sur le corps » – ce qui arrive dans les lectures trop radicales du biopouvoir de Foucault – mais bien plutôt à montrer la solidarité des « montages physio-psycho-sociologiques » (1998, p. 240).
À l’échelle des corps, l’inséparabilité de la movibilité de l’outil (l’instrument nécessaire à la technique) et de la contextualisation sociale du geste (le « cycle opératoire »), constitue chez Leroi-Gourhan ce « vitalisme ». Cette obsession de penser la matière et le vivant à l’œuvre dans les processus de socialisation, a déjà été créditée d’une sorte de mysticisme obscur dans l’histoire de l’anthropologie française [14]. Or, ainsi conçu, le vitalisme ne peut qu’être réhabilité dans une anthropologie de l’esthétique élargie. Aussi, cette sorte d’organologie générale n’a-t-elle rien de déconcertant, mais participe d’une vision « énergétique » du monde, tel que saisie, entre autres, par Édouard Glissant. Le poète philosophe observe le processus social à l’œuvre – qui déborde largement aujourd’hui la description des mutations des sociétés créoles ou foncièrement « hybrides » – à travers la notion de « créolisation », qui est, sinon, un processus rythmique et sensible. Ce processus à l’œuvre, qu’il pose dans le concept de « Relation » (1990) désigne la « force poétique […] comme énergie du monde » (1990, p. 173), c’est-à-dire l’esthétique (le sensible) en tant qu’agir poïétique. Cette conception implique un certain paradigme de la rythmicité, de plus en plus essentiel à penser et qui devrait résonner dans plusieurs dimensions de l’approche des formes spectaculaires en particulier. Ce paradigme, déjà présent chez Mauss comme irréductibilité de l’humanité (« socialement et individuellement, l’homme est un animal rythmique », 2002, p. 126), associé au sensible (à partir de Boas, « là où il y a rythme, il y a généralement esthétique » 2002, p. 127), est poursuivi par Leroi-Gourhan : le rythme est ce qui permet de décrire et ce qui opère l’« assemblage original et complet » dans « une collectivité tenue pour unique » (1968, p. 1919).
La notion de rythme développe elle aussi une pensée de la socialisation et du politique, comme l’a montré Pascal Michon (2007) à partir d’un appareil conceptuel croisant, d’un point de vue « radicalement historique » (p. 37) les « dynamiques des groupes sociaux, des corps et du langage humains » (2007, p. 40). Selon lui, contrairement à la notion de « style » qui identifie les individus par différence, et différemment de la notion de « ritournelle » (Deleuze) qui indique une organisation autonome de l’individuation, la notion de rythme, désignant « l’organisation du mouvant », est dotée d’une « dimension formelle, mais irrégulière, sans règle et sans dimension transcendantale » (2007, p. 41). Cette conception du rythme, largement empruntée au sens que développe Henri Meschonnic dans son Critique du rythme. Anthropologie historique du langage (1982), met l’accent sur son caractère individuant et éventuellement subjectivant : corporel ou langagier, le rythme est l’organisation du sujet comme discours, dans et par son discours. Or Michon, conscient du caractère restreint à l’art de cette définition, car un processus rythmique ne débouche pas forcément sur une individuation pleine et entière, admet que cette proposition, « trop théorique », ne convient pas tout à fait à l’étude des corporéités dans le processus social (2007, p. 43-46). Il s’agit plutôt de considérer le processus social comme un « assemblage de techniques […] qui déterminent les manières de fluer, c’est-à-dire les variations des interactions d’un ensemble d’êtres humains […] constitu[ant] des ’idiosyncrasies historiques’ » (2007, p. 71). Dans son cours au Collège de France Comment vivre ensemble ?, Roland Barthes (2002) a introduit une pensée anthropologique de la sémiologie en développant notamment les notions de rythme et d’idiorrythmie. Michon les réélabore dans ce rythme entendu comme « manière singulière de fluer » (à partir du sens strict du grec rhuthmos, qui n’est pas synonyme de metron mais contient le metron seulement en tant que l’une de ses modalités) pouvant décrire la discursivité, la socialité et la corporéité à l’œuvre, c’est-à-dire la « production des individus […] indissociablement singulière et collective dans la successivité du temps » (2007, p. 72).
Enfin, Leroi-Gourhan associe les notions de « saveurs » et « formes » à ce qu’il entendait, avec le langage de son époque, par « l’indéfinissable ethnique », c’est-à-dire la singularité de la créativité à l’œuvre irréductible et souvent intraduisible de tout groupe socioculturel. Dans son article « L’expérience ethnologique » (1968), il définit la spécificité de l’ethnologie par la mise en lumière de la singularité à l’œuvre à travers l’utilisation de techniques par les groupes sociaux pouvant les distinguer dans la diversité. La tâche de l’ethnologue est « particularisante » et vise le « singulier » contrairement à celle de l’anthropologue, « généralisante » et visant davantage les lois de « structure » (1968, p. 1817). Pour lui, « l’expérience ethnologique » est « une ethnographie derrière laquelle s’exerce la vigilance d’une perception de l’organisation originale des traits d’un groupe ethnique », et cesse d’être ethnologique lorsqu’on« renonce à considérer l’ethnie comme un assemblage original et complet » (1968, p. 1819).
Cette démarche est précisément celle de l’artiste ou du groupe qui construit des techniques à travers lesquelles il fonde son « identification ». Elle est aussi utile à l’étude des formes spectaculaires et artistiques. Dans son cours sur Le Neutre cette fois, Barthes recourt à une définition performative de la notion latine de qualitas, une puissance d’agir irréductible qu’il présente « comme énergie » (2002, p. 86) : « La qualitas, c’est ce qui descend sur “les choses” (dans leur indistinction) et s’imprime comme une force de distinction, de spécification, de nomination » (ibidem). Il s’agit en même temps d’une « force agissante, quelque chose qui s’élance, jaillit et s’élève, qui “qualifie”, c’est-à-dire quelque chose qui fait qu’une chose est telle » (2002, p. 86), sans parler uniquement d’un point de vue linguistique [15]. Après avoir montré qu’une qualité ne peut se définir que par rapport à d’autres, il termine en disant qu’elle produit une pensée d’un certain Neutre (« un troisième terme complexe et non terme zéro », p. 87) qu’il entend d’ailleurs aussi comme une « valeur active » (p. 262). De fait, pour être rapide, toutes les qualités se valent a priori, comme l’avait également saisi Leroi-Gourhan à travers la technique. C’est donc bien sur ce point que, en partant d’une expérience ethnologique de la singularité sensible, nous pouvons établir une certaine anthropologie.
Vers « une systématique adaptée aux besoins de l’expression de l’indéfinissable ethnique » ?
La réintroduction, dans l’étude des pratiques corporelles, de la technique en tant qu’elle porte l’historicité d’un groupe socioculturel dans la successivité du temps et donne à voir à la fois la singularité et la variabilité plastique de ses productions, peut contribuer à une anthropologie de l’esthétique élargie. Leur spécificité étant celle d’exacerber ou d’inhiber le jeu du bon et du beau dans la fabrication, la manifestation, la réception et les modes d’appropriation constituant l’instrumentalisation de leurs productions, celle-ci permettrait de réintroduire le sensible, soit l’esthétique en tant qu’aisthesis, comme degré zéro de toute écriture corporelle humaine, à la fois un donné et un construit.
L’épistémologie déployée ici engage à réunir les perspectives anthropologique et esthétique en tant qu’elles s’interpénètrent dans la réalité, malgré nos compulsions à ignorer les singularités de l’autre et à nous complaire dans nos projections mentales hors du domaine du sensible. Ces travers, souvent induits par des terminologies incompréhensibles d’une société à l’autre parce qu’elles sont éloignées non pas tant dans le temps et dans l’espace, que dans le langage, peuvent se résorber néanmoins en cultivant l’interpénétration et la complémentarité épistémologique, révélées dans une conception paradigmatique de la relation et du rythme, atomes irréductibles de toute forme d’esthétique.
L’attention prise aux nuances – incluant l’appréhension des construits de la modalité, de la réflexivité et de la différence – à partir de la tenue d’un regard micrologique et d’une critique constante du langage sur les productions humaines cherchant à se projeter sur l’espace commun du social, peut éviter que se reforme la distance entre le percept, l’affect et le concept dans nos essais de traduction des ethos des autres. En effet, là où il y a pratique « artistique », il n’y a pas que de la légèreté créatrice et du plaisir, il y a aussi de la contrainte et des relations de déplaisir, devant nous engager à tenir compte des représentations dans lesquelles ces relations sont enchâssées et les dispositifs de l’art dans lesquels elles sont exercées. De même, travailler avec le degré de construction et d’intentionnalité dans ces modes de production est non seulement une condition sine qua none pour décrire ces mécanismes, mais en plus, en révèlent avec acuité les enjeux de pouvoir.
Tenir ce qu’il faut bien appeler la rigueur de cette approche paraît nécessaire tant pour la pratique des formes spectaculaires et la pratique ethnographique, que pour leurs théorisations respectives : elle fait partie d’une même démarche. Réinstaurer le sensible dans la technique, c’est foncièrement dissocier a priori art et esthétique, pour réfléchir en terme de tekhnè et ce qui y est esthétiquement investi. Cette perspective pourrait non seulement éviter une déshumanisation des techniques, c’est-à-dire aussi procéder à une industrialisation du regard sur les pratiques humaines. Plusieurs épisodes dans l’histoire ont montré que nous savions le faire.
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