Michel ALHADEFF-JONES, Time and the Rhythms of Emancipatory Education : Rethinking the Temporal Complexity of Self and Society

Article publié le 7 avril 2018
Pour citer cet article : , « Michel ALHADEFF-JONES, Time and the Rhythms of Emancipatory Education : Rethinking the Temporal Complexity of Self and Society  », Rhuthmos, 7 avril 2018 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article2198

Michel ALHADEFF-JONES, Time and the Rhythms of Emancipatory Education : Rethinking the Temporal Complexity of Self and Society, Abingdon-on-Thames, New York, Routledge, 2016, 238 p.


Le travail de Michel Alhadeff-Jones interroge la manière dont nous prenons en compte et dont nous vivons l’expérience du temps en éducation. Il vise à expliciter les différents rythmes vécus ou observés (physiques, biologiques, psychologiques, sociaux, etc.) et les influences qui les relient. Il s’agit d’élucider, pour ne pas les subir, les effets d’entraînements, les rapports de force qui se jouent, de manière à repenser la problématique de l’autonomie.


La première partie du livre pose les bases d’une réflexion sur le temps en éducation à partir des plans épistémologiques, théoriques et méthodologiques. Afin d’en identifier les spécificités, le premier chapitre situe l’évolution des théories du temps qui ont façonné quatre disciplines dont les apports influencent les conceptions du temps : la philosophie, la physique, la biologie et la sociologie. Ce faisant, Alhadeff-Jones reprend les apports formulés par Edgar Morin autour du paradigme de la complexité en montrant les impasses et les apports associés à l’étude du temps dans ces disciplines.


Le second chapitre avance la thèse selon laquelle l’une des spécificités de la recherche sur les temporalités éducatives repose sur la dimension transdisciplinaire d’une telle démarche. Comprendre les phénomènes temporels suppose ainsi d’articuler des référentiels empruntés à plusieurs disciplines académiques, dans la mesure où chacune d’entre elles propose des référentiels permettant d’appréhender les rythmes qui façonnent les phénomènes éducatifs. En effet, les temporalités propres aux sciences de l’éducation renvoient à des changements qui sont à la fois de nature physique, biologique, psycho-sociale et symbolique. L’approche multiréférentielle (Ardoino, 1993, 2000) permet d’en rendre compte de façon appropriée, ces phénomènes (apprentissage, transformation, développement) impliquant une hétérogénéité de changements. Il s’agit, de plus, d’éviter les réductionnismes. L’un des plus évident est celui qui consisterait à réduire la compréhension des phénomènes temporels dans une temporalité physique de type newtonienne. Mais aussi le réductionnisme sociologique, qui tendrait à réduire le temps à une construction sociale, en négligeant le fait que certains changements s’organisent également à partir de principes régis par des lois physiques, chimiques ou biologiques (Adam, 1994). La dimension transdisciplinaire qui traverse le travail de Alhadeff-Jones s’inscrit donc dans la filiation de la pensée de Morin, telle qu’elle a notamment été reprise par Ardoino dans le champ de l’éducation.


Le troisième chapitre explore plus spécifiquement la notion de « contrainte temporelle ». La notion est privilégiée par l’auteur dans la mesure où elle permet de penser les rapports de force qui existent entre rythmes (et donc entre temporalités) hétérogènes, dans cette perspective multiréférentielle et transdisciplinaire. Alhadeff-Jones introduit aussi dans ce chapitre la notion de rythme, en expliquant en quoi elle permet de repenser la complexité de la problématique du temps en éducation. Argumentant que la rythmicité des phénomènes vécus ou observés est ce à travers quoi on fait l’expérience du temps, l’auteur justifie la raison pour laquelle il la privilégiera en regard du concept de temps qui est, lui, trop connoté, surtout en philosophie. De plus, le recours à la notion de rythme permet d’ouvrir la réflexion sur le temps en intégrant d’autres disciplines, notamment artistiques. La dimension transdisciplinaire de l’ouvrage ressort de ce chapitre par l’articulation proposée entre les différents niveaux d’organisations qui façonnent l’éducation. Alhadeff-Jones reprend ici la contribution de Ardoino en proposant une méthode d’analyse distinguant les dimensions institutionnelles, organisationnelles, groupales, et individuelles. Cette grille de lecture sera reprise dans les chapitres de la deuxième partie du livre pour analyser l’évolution des rapports entre temps, rythmes et éducation dans une perspective sociologique et historique.


La deuxième partie explore ainsi comment « contraintes temporelles » et théories du rythme ont évolué en regard de l’histoire des pratiques éducatives, entendues dans une acception large et non pas seulement formelle. Les chapitres de cette section proposent dès lors une généalogie pour aider à penser le rapport entretenu aujourd’hui face au temps en éducation. Il s’agit aussi de montrer que les contraintes temporelles vécues ont toujours existé et en même temps qu’elles ont évolué : contraintes externes, disciplinaires, puis internalisées, doubles contraintes, etc. D’un point de vue transdisciplinaire, la notion de « contrainte temporelle » permet ainsi de penser les rapports d’influence qui existent entre des rythmes hétérogènes : rythmes cosmologiques, biologiques, sociaux, psychologiques, linguistiques, corporels, etc. Sur le plan épistémologique, l’exploration des théories du rythme pointe également certains problèmes inhérents au recours à une notion qui ressort dans tous les aspects de l’existence.


Alhadeff-Jones reprend par exemple la critique formulée par Sauvanet (2000) autour du « panrythmisme » : une posture selon laquelle le rythme est dans tout, et que tout est rythme. Or cette acception tend à négliger les spécificités épistémologiques et phénoménologiques inhérentes à l’étude des rythmes observés à différents niveaux d’organisation. Sur le plan autant éducationnel qu’épistémologique, l’enjeu central est donc de déterminer comment penser l’articulation (c’est à dire les relations d’influences mutuelles) entre des rythmes organisés à partir de logiques hétérogènes. C’est une question fondamentale, placée dans l’optique de la pensée transdisciplinaire.


La troisième partie de l’ouvrage se centre davantage sur le thème de l’émancipation et la manière de concevoir cet idéal éducatif sur les plans temporels et rythmiques. Le neuvième chapitre reprend en particulier les exemples historiques développés dans la deuxième partie de l’ouvrage pour les réorganiser à partir d’un nouveau modèle théorique. Alhadeff-Jones s’appuie ici sur la contribution de Sauvanet (2000) - critères de structure, périodicité et mouvement - pour distinguer et interpréter la diversité des phénomènes rythmiques étudiés en éducation. Il reprend également la démarche proposée par Michon (2007) afin de mettre en évidence les dimensions corporelles, discursives, et sociales propres aux rythmes éducationnels. Ici encore, cette approche traduit une posture transdisciplinaire dans la mesure où elle permet de disposer d’un vocabulaire pour penser la diversité des temporalités éducationnelles et leurs interrelations. Ces chapitres sont les plus « originaux » en termes de contribution à la théorie et aux pratiques éducationnelles, car il s’agit d’ouvrir des pistes pour repenser de manière fondamentale l’expérience du temps et des contraintes temporelles en éducation, en proposant un langage stabilisé mettant l’accent sur l’aspect rythmique de ces phénomènes.


Références :


Adam, B. (1994). Time and social theory. Cambridge : Polity Press.


Ardoino, J. (1993). L’approche multiréférentielle (plurielle) des situations éducatives et formatives. Pratiques de Formation / Analyses, 25–26, 15–34.


Ardoino, J. (2000). Les avatars de l’éducation. Paris : Presses Universitaires de France.


Michon, P. (2007). Les rythmes du politique. Paris : Les Prairies Ordinaires.


Sauvanet, P. (2000). Le rythme et la raison (2 vol.). Paris : Kimé.

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