Jean-Paul THOMAS – Le Monde des livres, 9 septembre 2005.
P. Michon, Rythmes, pouvoir, mondialisation, Paris, PUF, coll. Pratiques théoriques, 467 p.
Nous venons d’entrer dans un monde fluide,
aux formes d’organisation plus diversifiées
et plus labiles qu’autrefois. Depuis
une trentaine d’années, des mutations appuyées
les unes sur les autres sapent les dispositifs stables
et homogènes qui dominaient depuis la
seconde guerre mondiale. Les normes de la
famille se fragilisent. L’autorité parentale régresse,
exige des formes d’ouverture et de mobilité
inédites. Dans les entreprises, les modes de management
participatif – que les États appliquent
ensuite à leurs administrations – invitent à la souplesse
horaire et relationnelle. La mondialisation
capitaliste se développe hors du contrôle des
États-nations. Simultanément, les sondages et
les médias transforment la démocratie élective
en démocratie communicationnelle.
Le livre de Pascal Michon s’ouvre sur ce
constat : « Une ère nouvelle de l’histoire vient de
commencer. » Son ambition est de percevoir la
logique de ces bouleversements. Une analogie
historique et l’examen d’une notion, celle de rythme,
sont mobilisés à cette fin. L’analogie rapproche
le monde fluide d’aujourd’hui de la première
mondialisation qui s’est déroulée « il y a un peu
plus d’une centaine d’années, à la suite d’une série
de phénomènes en grande partie analogues à ceux
dont nous venons d’être les témoins ».
La notion de rythme – comprise comme
« organisation temporelle complexe des processus
par lesquels sont produits les individus psychiques
et collectifs » – fut au centre d’une série
d’études, publiées de 1890 à 1940, qui l’utilisaient
pour penser les dissolutions d’organisations
ou les concentrations du pouvoir similaires
à celles que nous observons de nos jours. À
titre d’ « essai d’élaboration du concept de rythme
» l’étude de Pascal Michon propose un parcours
étonnant, fait d’une série de relectures de
textes issus de l’anthropologie, de la psychologie,
de la poétique et de la théorie du langage.
Des travaux sur les rythmes de l’individuation
archaïque de Marcel Mauss à ceux de
Gabriel Tarde sur la « dérythmisation » des
sociétés modernes, la quantité des oeuvres analysées
et la multiplicité des perspectives retenues
pour travailler la notion de rythme surprennent.
La matière de plusieurs livres est réunie
par Pascal Michon. Un essai sur rythmes et
langage au XIXe siècle à partir des oeuvres de
Walter Benjamin. Une étude sur les rythmes de
la propagande politique dans la première moitié
du XXe siècle bâtie sur les livres de Serge
Tchakhotine – Le Viol des foules par la propagande
politique –, et de Victor Klemperer, LTI – La
Langue du IIIe Reich.
Pourtant le fil directeur du propos n’est
jamais perdu. Avec clarté et minutie, Pascal
Michon construit par rectifications successives
l’énoncé d’un problème fondamental, celui de
la « dérythmisation » des sociétés modernes et
des « risques de rerythmisation autoritaire de ces
sociétés ». Les lignes de force d’une nouvelle
philosophie de l’histoire s’affirment, à bonne
distance des structuralismes d’hier comme de
la fascination contemporaine pour les
connexions temporaires, les flux et les réseaux.