Sophie KLIMIS et Maya BÖSCH, Au rythme de Sapphô. Se dire femme en désir, Paris, Rhuthmos, coll. « Le libre jeu des plis », 2025, 182 p., 20 €, ISBN : 979-1095155393
Cette recension a déjà paru dans Le Carnet et les Instants. Le blog des Lettres belges francophones.
L’arc-en-ciel qui relie la poétesse grecque Sapphô et l’ouvrage à quatre mains conçu par Sophie Klimis et Maya Bösch s’appelle désir. Inaugurant la nouvelle collection « Le libre jeu des plis » des Éditions Rhuthmos, Au rythme de Sapphô. Se dire femme en désir déplie un dialogue, un tressage de voix entre la philosophe, poétesse et dramaturge Sophie Klimis et la metteure en scène, l’artiste Maya Bösch. Comment évoquer aujourd’hui la magie d’Erôs, comment le penser dans ses puissances amoureuses et politiques, à la croisée des éveils qu’il produit sur le corps et sur l’esprit ?
« Le libre jeu des plis » se diffracte en une multitude de facettes qui travaillent la diachronie, l’altérité, le dispositif créateur. La diachronie dès lors que l’ouvrage répond à la singularité de la collection, à savoir « inventer des rythmes contemporains dans des rythmes anciens grecs ». L’altérité au sens où le partage des voix de Sophie Klimis et de Maya Bösch dessine et matérialise l’espace même du désir, ce lieu où le Deux se déploie en une arche politique. L’antiquité grecque, ici en la personne de Sapphô, résonne comme un transcendantal, comme un creuset quasi-illimité de pensées, de formes qui permettent d’ouvrir des possibles inédits au présent.
Composé de poèmes qui adoptent la forme du quatrain, de textes qui retracent la trajectoire de la collaboration entre les deux autrices et qui questionnent la texture et la contemporanéité de la poésie lyrique de Sapphô, l’ouvrage explore des tonalités ouvertement décalées, peu prisées par le monde contemporain. Le choix de ce décalage, voire sa nécessité intérieure, affirme sa dimension politique. Spontanément, Sophie Klimis a écrit sous la forme de quatrains — une forme qu’affectionnaient Sapphô, Emily Dickinson, Rimbaud, Verlaine… — et a investi la poésie d’un lyrisme à la fois organique et métaphysique.
J’ai tenté d’explorer ce que le lyrique a de décalé, voire, d’étrange, par rapport à l’actualité du monde contemporain. Comme si, des haïkus japonais aux poèmes de Sapphô, le lyrique, dans son indestructible fragilité, était le lieu témoin des invariants de notre condition humaine : l’attente, l’amour, la perte, la solitude, le deuil, l’espoir.
La sève libre de Sapphô, le rythme des quatrains, la jonction entre la Grèce antique et notre monde se nouent afin de dresser un espace d’écriture soustrait aux orgues mortifères du néolibéralisme. Il n’est point question d’un pas en arrière qui témoignerait d’une nostalgie de l’aurore, des origines grecques, mais d’un pas de côté qui revitalise la contemporanéité par la vitalité éternelle d’une flèche nommée Sapphô.
Peau d’âme
Bercé par ma bouche suaveCaptif si doux qu’un sein tété
Ton plus intime m’ondulant
L’âme se dresse : Ta Beauté.
L’heure de Sapphô, c’est aujourd’hui qu’elle retentit nous disent Sophie Klimis et Maya Bösch au fil d’une archéologie du présent, d’un voyage poétique où la pluralité du désir crie son embrasement, ses extases, ses clinamens sensuels, ses ivresses qui désorientent, ses agonies lorsqu’Erôs reflue et meurt dans l’arythmie des amants. Puissance de soulèvement, de transes des corps et des affects, en tant que rythme vital qui défait les codifications sociales, politiques de la cadence, le désir comble, intensifie, affole, déracine, nourri ou détruit, peuple et dépeuple.
Oedipa
Anamnèse symbiotiqueLes stigmates de l’abandon —
Négligence mâle tournée
L’amère insouciance.

