RYTHME, subst. masc. Répétition périodique (d’un phénomène de nature physique, auditive ou visuelle).
A. – [Le rythme est inhérent à un phénomène naturel] Rythme des heures, des jours, des saisons ; rythme de la mer, des vagues. Quelquefois, des jours d’avril, j’ai regretté de ne pas suivre le rythme universel (COCTEAU, Potomak, 1919, p. 326). Obéir au rythme des marées (DUHAMEL, Jard. bêtes sauv., 1934, p. 7).
– PHYSIOL. Phénomène périodique caractéristique de certains processus vitaux. Rythme alimentaire ; rythme des fonctions organiques, du sommeil. Notre être spirituel, aussi bien que notre être physique, est soumis à la loi du rythme, notre corps est l’effet d’une horloge qui bat, les poumons, le cœur, la cervelle elle-même, tout cela est intérieurement pénétré et animé par une loi de gonflement et de détente, d’absorption et de refoulement (CLAUDEL, Poète regarde Croix, 1938, p. 219).
- [Dans le milieu animal ou végét.] Succession de phénomènes biologiques endogènes ou liés au milieu extérieur. Rythme biologique ; rythme journalier, nycthéméral, saisonnier. L’alternance des jours et des nuits crée un rythme régulier des variations (PLANTEFOL, Bot. et biol. végét., t. 2, 1931, p. 496).
- Rythme vital. Division de la vie humaine en grandes périodes physiquement ou psychiquement caractéristiques. Ces époques semblent correspondre assez curieusement aux tranches de sept ans que la plupart des biologistes s’accordent à indiquer pour les grands rythmes vitaux (CHOISY, Psychanal., 1950, p. 99).
- Rythme cardiaque. Fréquence des contractions cardiaques. Troubles du rythme cardiaque ; régulateur, stimulateur du rythme cardiaque. Chez les Mammifères, la longévité est inversement proportionnelle à la fréquence du rythme cardiaque (J. ROSTAND, La Vie et ses probl., 1939, p. 113).
- Rythme respiratoire, pulmonaire. Fréquence des mouvements respiratoires. Je restais immobile, les yeux mi-clos, attentive au rythme de ma respiration (SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, p. 123).
- Rythme cérébral. Activité cérébrale matérialisée par les courbes de l’encéphalogramme (d’apr. Méd. Flamm. 1975).
B. [Le rythme est un artefact]
1. [Le rythme, inhérent au phénomène, n’est pas signifiant] Rythme mécanique ; rythme d’un train. Bruit du navire : (...) craquements des boiseries, grincements des lampes oscillantes, rythme des machines (LARBAUD, Barnabooth, 1913, p. 66).
2. [Le rythme, élément signifiant d’un code] Rythme des feux alternatifs d’un phare ; rythme d’un signal en morse. La musique est exécutée par des ensembles, donc mesurée et battue à un rythme musculaire (SCHAEFFER, Rech. mus. concr., 1952, p. 146).
3. [Le rythme a une visée esthétique]
– MUS. Ordre et proportion des durées, longues ou brèves, dont l’organisation est rendue sensible par la périodicité des accents faibles ou forts. Une valse dont le rythme canaille avait le rire d’une polissonnerie (ZOLA, Nana, 1880, p. 1105). Les couples dansaient toujours selon le rythme haletant de l’accordéon (ADAM, Enf. Aust., 1902, p. 140).
- [Désignant un style de musique caractérisé par son rythme] Le rythme et l’accent d’un blues (ARAGON, Rom. inach., 1956, p. 105). Selon le rythme balancé d’une barcarolle (JANKÉL., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 47).
- Parfois synon. de mesure. Celui de ces éléments [caractéristiques du jazz] qu’il faut citer en premier est la présence perpétuelle du rythme binaire (PANASSIÉ, Jazz hot, 1934, p. 28). L’allegretto, balancé sur son rythme de 6 sur 8 (ROLLAND, Beethoven, t. 1, 1937, p. 131).
- Au rythme de. Au rythme de la valse (RICŒUR, Philos. volonté, 1949, p. 273). P. anal. Au rythme des explosions (...) les animaux (...) hochaient la tête au-dessus des enfants endormis (MALRAUX, Espoir, 1937, p. 791).
SYNT. Accélérer, marquer, précipiter, retenir, scander le rythme ; rythme cadencé, chaloupé, entraînant, langoureux, lent, précipité, trépidant ; rythme d’une danse ; avoir le sens du rythme ; avoir le rythme dans le sang, dans la peau.
– VERSIF. Élément distinctif qui est fondé sur la répétition périodique des accents métriques, sur le retour de la césure et la reprise en fin de vers d’une sonorité déjà entendue : la rime. Synon. cadence, nombre. J’ai réservé pour les occasions harmoniques ou mélodiques ou analogues (...) des rythmes inusités, impairs pour la plupart (VERLAINE, Œuvres posth., t. 2, Crit. et conf., 1896, p. 248). Il est peu probable que l’on terminera un vers autrement qu’il ne faut sans manquer au rythme ni à la rime (ALAIN, Beaux-arts, 1920, p. 82).
– PROSODIE. Mouvement, perceptible à l’audition ou à la lecture, qui est donné à une phrase, à un texte entier, qui résulte de l’agencement et de la durée des différents groupes de mots et de la répartition des sonorités et des accents. Il ne remarquera pas la correction profonde d’une phrase incorrecte ni l’harmonie d’un rythme brisé (FLAUB., 1re Éduc. sent., 1845, p. 265). Lire (...) en balançant la tête et les mains selon le rythme de la phrase (LACRETELLE, Silbermann, 1922, p. 72).
P. méton. Rapidité dans la lecture, dans l’élocution. Sa phrase écrite garde, quand elle est lue tout haut, les inflexions de sa voix, le rythme de sa diction (BLANCHE, Modèles, 1928, p. 225).
– ARTS. Succession des lignes, répartition des masses et des couleurs, des ornements et des motifs qui composent un dessin, une sculpture, un édifice. [La Vénus de Milo] Voilà la merveille des merveilles ! Un rythme exquis (...) ; mais, de plus, quelque chose de pensif (RODIN, Art, 1911, p. 276). [Voici] (...) le rythme rigoureux des figures étirées qui peuplent ses chapiteaux et ses tympans, plus tard l’essor des piliers, le planement des voûtes (FAURE, Espr. formes, 1927, p. 19).
– P. anal. Progression d’une œuvre dans sa durée (enchaînement des péripéties dans un roman, une pièce de théâtre, un film, articulation des motifs, des phrases, des périodes dans une œuvre musicale). Rythme d’un film, de l’action, du montage. Hier, la répétition des Monstres était molle, désarticulée, pleine de trous. C’est ce soir qu’on passe. On tâchera de trouver le rythme de 3 heures à 6 heures (COCTEAU, Maalesh, 1949, p. 58). Ce sens du rythme qui était si remarquable dans « Le cuirassé Potemkine » d’Eisenstein (L’Humanité, 19 janv. 1952, p. 6, col. 4).
4. Vitesse selon laquelle se déroule un processus donné, s’accomplit une suite d’événements. Le rythme de l’ensemencement est celui de la marche (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p. 2). Quels que doivent être la date et le rythme de la libération du territoire métropolitain (DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p. 562).
– [Dans un cont. socio-écon.] C’est le rythme social qui est à la base de la catégorie du temps (DURKHEIM, Formes élém. vie relig., 1912, p. 628) :
- Il arrive que les décors s’écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, tramway (...) et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le « pourquoi » s’élève...
- CAMUS, Sisyphe, 1942, p. 27.
SYNT. Rythme de vie : rythme des loisirs ; rythme de production, de travail ; rythme rapide ; suivre le rythme ; changer de rythme ; progression, accélération, ralentissement du rythme.
REM. Rythmanalyse , subst. fém., physiol. Analyse des rythmes vitaux. En examinant les rythmes de la vie dans leur détail (...) on pouvait établir une rythmanalyse qui tendrait à rendre heureuses et légères les ambivalences que les psychanalystes découvrent dans les psychismes troublés (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p. 72).
Prononc. et Orth. :
[R i t m ]. Ac. 1762-1835 : rhythme, rythme ; dep. 1878 : rythme.
Étymol. et Hist. :
A. 1. 1372-74 mus. rithme (ORESME, Politiques, éd. A. D. Menut, fo. 303b : par rithmes et par melodies), attest. isolée, à nouv. ca 1512 rhythme (J. LEMAIRE DE BELGES, Illustrations de Gaule, éd. J. Stecher, t. 1, p. 70 : Bardus [...] inventeur de rhythmes, cestadire de Rhetorique et de musique) ; 1634 rithme (MERSENNE, Questions harmoniques, p. 115) ; 1765 rhythme (Encyclop.) ;
A. 2. a) 1521 poés. rithme (P. FABRI, Rhétorique, éd. A. Héron, II, 2) ; 1549 rythme (DU BELLAY, Deffence et illustration de la langue françoyse, éd. H. Chamard, p. 151) ; b) 1647 p. ext. rhythme « mouvement général d’une phrase, d’un poème » (N. POUSSIN, Lettres, 24 nov., éd. 1824 ds LITTRÉ : le rhythme précipité) ;
A. 3. 1765 sculpt. rhythme (Encyclop. t. 14, p. 267b).
B. 1. a) 1765 physiol. (Encyclop. : il y a un rhythme propre à chaque pouls) ; 1888 rythme fœtal (Dr. Henri GILLET, De l’embryocardie ou rythme fœtal des bruits du cœur ds QUEM. DDL t. 8) ; 1890 rythme cardiaque (Lar. 19e Suppl., p. 852a, s.v. cœur) ; b) 1890 rythme respiratoire (ibid., s.v. respiration) ; c) 1907 rythme nycthéméral (E. TOULOUSE, H. PIÉRON, Le mécanisme de l’inversion chez l’homme du rythme nycthéméral de la température, J. Physiol. Path. gen., 1907, 3, 425-440 ds P. FRAISSE, Psychol. du temps, 1957, p. 309) ; 1970 rythme circadien (Méd. Biol. t. 1) ;
B. 2. a) 1846 p. ext. « allure, vitesse (action, processus) » (MICHELET, Peuple, p. 85 : le rhythme de la navette) ; b) 1917 cin. (Le Temps, 10 janv., p. 3a ds GIRAUD 1956) ; 1938 théâtre (BRASILLACH, Corneille, p. 142 : le rythme du Cid). Empr. au lat. rhythmus « mouvement (battement) régulier, mesure, cadence, rythme ; nombre (en rhét.), cadence », et celui-ci au gr. ῥυθμός « mouvement réglé et mesuré ; mesure, cadence, rythme ; harmonie d’une période (rhét.) ; proportions régulières, ordonnance symétrique ; forme ».
Fréq. abs. littér. : 2 110.
Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 548, b) 1 389 ; XXe s. : a) 3 244, b) 5 815.
Bbg. BENVENISTE (E.). La Notion de rythme dans son expr. ling. Journal de Psychol. 1951, t. 44, pp. 401-410. – DEGUY (M.). Figure du rythme, rythme des figures. Lang. fr. 1974, no. 23, pp. 24-40. – GHYKA (M. C.). Essai sur le rythme. Paris, 1938, 182 p. – LUSSON (P.), ROUBAUD (J.). Mètre et rythme de l’alexandrin ordinaire. Lang. fr. 1974, no. 23, pp. 41-53. – MAZALEYRAT (J.). Qu’est-ce qu’un vers fr.? Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1974, t. 12, no. 1, p. 417. – Sculp. 1978, p. 677. ZUMTHOR (P.). Le Couple fr. rime-rythme. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1964, t. 2, pp. 187-204.