Les territoires de l’attente en 10 propositions

Article publié le 21 juin 2013
Pour citer cet article : , « Les territoires de l’attente en 10 propositions  », Rhuthmos, 21 juin 2013 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article925

Le programme de recherche que l’on trouvera ci-dessous nous semble particulièrement original et utile d’un point de vue rythmanalytique – et cela à double titre. Alors que la vitesse, l’accélération et l’urgence sont, depuis quelques années, les objets d’une littérature pléthorique et désormais assez répétitive, Laurent Vidal et les chercheurs regroupés dans l’ANR TERRIAT s’intéressent, quant à eux, à la « lenteur » et à l’« attente ». Second point fort, ils orientent leur attention vers la question des « territoires », alors même que celle-ci est contestée par les courants de recherche dominants au nom du primat des flux et des mobilités. D’où deux effets épistémologiques et politiques notables : 1. Un nouvel ensemble de problèmes, concernant des populations souvent laissées de côté, est mis en lumière. 2. Il apparaît clairement que la vitesse et les flux ne peuvent être dissociés de la lenteur et de certains territoires très particuliers qui les rendent possibles. Nous remercions Laurent Vidal de nous avoir autorisé à reproduire ici ce programme de recherche, dont on trouvera l’original sur le site de l’ANR TERRIAT qu’il coordonne.



1/ La notion de territoire de l’attente recoupe une double dimension de la vie sociale :


– lorsqu’une situation d’attente (de pause) s’impose dans un espace, jusqu’à en modifier le sens et l’usage, de manière éphémère ou plus durable, nous parlons de territoires de l’attente ;


– lorsqu’un dispositif est spécialement conçu et construit pour la mise en attente temporaire de populations en déplacement, nous parlons de lieux de l’attente.


2/ Les territoires et lieux de l’attente naissent de la mobilité et dans la mobilité – cette mobilité pouvant être ordinaire ou exceptionnelle, et répondre à des motivations diverses (depuis l’espérance, qui met en marche des milliers de migrants vers des pays d’abondance, jusqu’aux mobilités métropolitaines).


– Résultant des pauses éphémères (qu’elles soient cycliques ou inattendues) dans les déplacements (notamment métropolitains), ils résultent d’arrangements spatiaux pour vivre l’attente ou en tirer profit. Sans institution pour les organiser, on peut néanmoins observer le recours à des principes ordinaires de justice (E. Goffman) pour leur auto-régulation.


– Organisés pour la mise en attente (notamment pour les migrants ou les réfugiés), ils s’imposent comme des dispositifs dotés d’une matérialité physique (bâtiments, murs…). Marqués par la présence et l’action d’une institution, ils fonctionnent sur le modèle d’un « espace orienté » (J. Le Goff), avec un parcours (réel ou symbolique) à effectuer entre le début et la fin de l’attente.


3/ Plutôt que la lecture classique d’une articulation entre société et territoire, cette enquête doit aborder les « territoires en étant utilisés » (M. Santos) par les groupes en attente. Le gérondif insiste sur un processus en train de se dérouler, et donc soumis à des variations dans le temps, selon les cultures et les genres.


4/ L’identification des territoires et lieux, ainsi que l’agencement spécifique qui prend forme dans les multiples situations d’attente, entre espace, temps et société, suppose l’adoption d’un regard attentif aux intensités faibles, aux « transformations silencieuses » (F. Jullien), et une description (dense) de type micro-social.


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5/ Les territoires de l’attente doivent être conçus comme autant d’événements, puisque fruits d’une rupture de la mobilité ou imposant une rupture dans la mobilité. Ils disposent ainsi d’une historicité qu’il faut interroger (la genèse comme la fin d’un territoire de l’attente doivent être appréhendés).


6/ Les territoires de l’attente se présentent comme des espaces interstitiels (entre-deux dans le temps et dans l’espace).


– Entre-deux, ils induisent une altérité territoriale.


– Espaces de contrainte et/ou d’opportunité, ils invitent à penser la territorialité sous l’angle du provisoire et l’incertitude.


7/ Les territoires de l’attente sont habités – transitoirement ou plus durablement. Ils sont une illustration de la problématique de l’habiter rencontrée par les personnes en situation de mobilité.


– Certains de ces habitants sont les « hommes lents » identifiés par Milton Santos (les exclus de la vitesse). Leur lenteur n’étant pas un handicap, mais parfois ce qui fait leur force (leur résistance comme ré-éxistence).


8/ Les territoires de l’attente disposent d’un langage propre :


– ils sont dotés d’un rythme propre marqué par la rencontre de plusieurs temporalités ;


– comme langage, fait de gestes, de comportements, de mots et d’expressions, il engage le corps et l’esprit des personnes en attente ;


– ce langage varie selon les cultures et le genre.


9/ Les territoires de l’attente produisent de l’identité sociale :


– pouvant être le support d’un possible espace public, ils ne sont donc pas des « non-lieux » comme l’envisageait Marc Augé ;


– s’ils produisent de l’identité, ils produisent donc aussi une mémoire (qui peut être un élément d’identification et de distinction sociale).


10/ Les territoires de l’attente imposent un paysage de l’attente dans un paysage de la mobilité (éphémère ou plus durable, fait d’arrangements ou d’interventions architecturales).

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