Traverser la ville ininterrompue : sentir et se figurer à l’aveugle. À propos de Walk, Hands, Eyes (a city) de Myriam Lefkowitz

Article publié le 13 mai 2019
Pour citer cet article : , « Traverser la ville ininterrompue : sentir et se figurer à l’aveugle. À propos de Walk, Hands, Eyes (a city) de Myriam Lefkowitz  », Rhuthmos, 13 mai 2019 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article2384

Nous remercions Julie Perrin de nous avoir autorisé à reproduire cet article. Il a déjà paru dans le n° 3 d’Ambiances. Revue internationale sur l’environnement sensible, l’architecture et l’espace urbain – Animer l’espace public ? Entre programmation urbaine et activation citoyenne, en 2017.



Résumé : Dans Walk, Hands, Eyes (a city), l’artiste chorégraphique Myriam Lefkowitz propose à un spectateur à la fois une balade urbaine silencieuse, les yeux fermés. Cet article examine la dimension spatiale, imaginaire, sensorielle et kinesthésique de l’expérience artistique, pour interroger la façon dont les savoirs sensibles propres à la danse contemporaine invitent à parcourir et considérer la ville autrement.


Mots clés : aveugle, chorégraphie, marche, ville


Abstract : In Walk, Hands, Eyes (a city), choreographer Myriam Lefkowitz invites a spectator to walk blindly and silently in an urban environment. This article looks at the spatial, imaginary, sensitive and kinesthetic dimensions of the artistic experience, to question the way sensitive knowledge specific to contemporary dance leads to wander in and consider a city differently.


Keywords : blind, choreography, city, walk



Il n’y aurait pas de raison que la recherche en danse s’intéresse à la ville contemporaine ou à l’espace public, si les chorégraphes n’avaient de leur côté choisi d’y intervenir. En y inscrivant des actes chorégraphiques, ces artistes entrent en dialogue avec elle : ils s’immiscent dans le réel sur le mode de l’écart propre à l’art – un écart à même de nous conduire à repenser le monde contemporain. Le chercheur en danse, contrairement au sociologue, à l’architecte ou à l’urbaniste, ne dispose pas d’une méthodologie propre à l’enquête urbaine. Son regard sur la ville ou l’espace public se fait d’abord par le biais de l’art, autrement dit par l’expérience d’œuvres chorégraphiques. Si le chercheur en danse est aussi un usager des villes, dans ce cas précis, il prend le risque de penser la ville par le prisme de l’art. On pourra trouver la démarche trop singulière, limitée et le discours sur la ville qui en ressort peu spécialisé. Mais cette façon d’entrer au cœur de l’expérience permet d’en saisir les enjeux, et de comprendre alors en quoi elle peut spécifiquement donner à penser une relation à l’espace public.


Cette expérience de l’art relève d’abord d’un partage sensible et ce d’autant plus que l’art chorégraphique urbain a parfois – et c’est le cas pour Myriam Lefkowitz – abandonné la représentation (danser pour figurer ou exprimer quelque chose) pour préférer ouvrir une expérimentation urbaine selon des modalités qui tirent parti des savoirs sensoriels et moteurs qui fondent l’invention du geste. Ces savoirs qui se développent depuis l’avènement de la danse moderne au début du XXe siècle et s’épanouissent au contact des pratiques somatiques [1] accordent un rôle majeur au sentir et à la perception ; ils engagent aussi une réceptivité au poids, un travail renouvelé sur l’équilibre postural, ainsi que des processus de visualisation du corps et du mouvement reposant sur un imaginaire poétique inventif. Le plus souvent, ces pratiques engendrent une relation de réciprocité sensible à l’environnement qui trouvera dans la phénoménologie une juste formulation [2]. En proposant à des spectateurs ou usagers d’explorer la ville à partir de ces savoirs, l’acte chorégraphique consiste alors à donner forme à l’expérience sensible selon des manières à chaque fois singulière. Autrement dit, à composer l’épaisseur du sensible, en jouant sur les combinaisons possibles du sentir et de l’agir.


Il s’agira de partir d’une étude de cas : la pièce Walk, Hands, Eyes (a city) créée en 2010 par l’artiste chorégraphique Myriam Lefkowitz. Et de réfléchir, in fine, aux enjeux théoriques que l’expérience esthétique soulève. La pièce prend la forme d’une marche urbaine. Mais « marcher » peut prendre bien des formes. Il s’agira de réfléchir aux modalités du déplacement et de saisir à partir de là comment s’articulent motricité et connaissance de la ville.


Ce projet pourrait bien sûr s’inscrire dans le contexte plus large des créations artistiques explorant la marche urbaine selon des protocoles particuliers. Cette histoire des artistes marcheurs au XXe siècle a été bien retracée par Francesco Careri (2002) ou Thierry Davila (2002) : elle va de dada, aux artistes du Land Art (Richard Long, Hamish Fulton) ; passe par les surréalistes, Fluxus, ou autres performeurs des années 1970 (André Cadere, Yoko Ono, Vito Acconci) ; inclut des artistes contemporains aussi (Francis Alÿs, Sophie Calle, Stalker…). Dans chaque cas, une place particulière est accordée à la ville, dévoilant des façons singulières de l’interpréter, de la mettre en scène, de la comprendre, d’y engager les spectateurs ou les usagers. Car les formes diverses de la marche reflètent et conduisent à des représentations spécifiques de l’art comme de la ville. Cette histoire tournée vers les pratiques performatives d’artistes visuels ignore les créations des chorégraphes marcheurs, à quelques exceptions (de Morant, 2013 ; O’Rourke, 2013 ; Perrin, 2015). Ce qui fait pourtant l’une des spécificités de l’art chorégraphique scénique est son attention très grande pour la marche – son expressivité, son style, ses dynamiques – que les danseurs ne cessent de travailler à partir d’exercices ou pratiques qui contribuent à modifier tant la posture du danseur que l’imaginaire de l’espace dans lequel il évolue. Ce contexte particulier confère aux expériences chorégraphiques hodologiques une qualité reposant sur ses savoirs du mouvement et de l’espace. Aussi, cette analyse s’inscrira d’abord dans le champ plus spécifique de la recherche en danse, laissant à d’autres le soin d’une articulation avec une histoire des artistes marcheurs. Elle prend aussi pour horizon un dialogue avec les savoirs de l’espace urbain et de la perception.


Myriam Lefkowitz a en effet élaboré un protocole à la croisée de ce travail postural et d’une pratique de terrain. Il est l’aboutissement d’une démarche qui s’inscrit dans la durée : depuis 2008, elle explore une balade à deux, découvrant progressivement ses enjeux artistiques, ses impasses aussi. Elle affine, tout en la transmettant, sa façon de faire à d’autres guides, elle pratique, elle échange, dialogue… jusqu’à publier en 2015 un ouvrage qui porte le même nom que le projet. Des savoirs se sont transmis, des textes en témoignent. C’est à partir de ces traces et de quelques transmissions que je conduis ma propre analyse. Celle-ci ne repose en effet pas sur un échantillon de spectateurs auprès de qui j’aurais précisément enquêté, ou que j’aurais observés tout au long de leur parcours (une fois seulement, dérogeant en quelque sorte à la règle selon laquelle cette balade n’est pas conçue pour être regardée, j’ai suivi, sans le perturber, un duo). Il s’agit d’analyser Walk, Hands, Eyes (a city) à partir de strates successives et complémentaires : l’expérience de la balade que j’ai eue ; les échanges informels et les entretiens avec la chorégraphe ; la participation à une semaine d’atelier dispensée par Myriam Lefkowitz en 2016 aux étudiants de master du département danse de l’université Paris 8 Saint-Denis, dans le cadre de mon séminaire sur la spatialité ; des témoignages publics (entretiens radiophoniques ou édités, en particulier par le Journal des Laboratoires d’Aubervilliers) ; le livre enfin, dont il faut d’emblée dire qu’il est fait de récits croisés d’artistes-guides et de spectateurs-guidés – récits recueillis à l’issue de la balade, puis filtrés jusqu’à composer un texte polyphonique constitué de petits blocs successifs. Il s’agit donc de se tenir au plus près de l’expérience et des discours qu’elle génère. De tenter de rendre compte des enjeux d’une expérience sensible qui engage le sujet en marche et la perception de la ville.

 Les formes de la marche

J’ai pris rendez-vous auprès des Laboratoires d’Aubervilliers (j’aurais pu le faire directement par mail auprès de l’artiste), pour l’un des créneaux proposés. Cela a lieu en journée. On m’a informée qu’il convenait d’être équipée pour marcher dehors – chaussures confortables, vêtements adaptées. Myriam Lefkowitz (cela aurait pu être quelqu’un d’autre de son équipe [3]) m’attend dans ce lieu d’art où elle est accueillie pour deux ans (2013-2015) en résidence (de recherche, d’écriture). C’est un lieu dont je suis familière mais dont je connais mal les alentours, sinon le trajet de dix minutes environ qui conduit de la station de métro Aubervilliers-Pantin 4 chemins aux Laboratoires. J’ai déjà entendu parler de la balade, en particulier lors d’une communication de Myriam Lefkowitz et Anne Gonon pour un colloque [4]. Je dépose mon sac. Nous sortons dans la cour. Après un accueil simple, direct et cordial, voici en substance la consigne que Myriam énonce : « Il n’y a qu’une seule règle, c’est une expérience silencieuse, mais s’il y a quoi que ce soit qui te dérange, tu n’hésites pas à me le dire. Tu peux arrêter l’expérience à n’importe quel moment. Pour commencer, je vais juste te demander de fermer les yeux. » (Lefkowitz, 2015b, p. 9). Walk, Hands, Eyes (Aubervilliers) s’annonce donc comme une expérience cadrée non par une seule règle, mais par deux consignes énoncées : le silence et les yeux fermés. Il y a déjà lieu de penser que d’autres règles pourront entrer en jeu, qui n’ont pas forcément besoin d’être énoncées. Il s’agit d’apprendre à jouer (le protocole a quelque chose de ludique dans l’écart avec le quotidien qu’il instaure). Et en particulier de découvrir comment cheminer à deux.


En silence je ferme les yeux, debout, immobile. Une de ses mains se pose entre mes omoplates. Le toucher est calme, comme une prise de contact, une première façon de s’assurer de nos présences respectives. Sa seconde main entraîne mon avant-bras vers l’avant. Nous commençons à marcher. Il faut me réhabituer à marcher les yeux fermés. Retrouver un équilibre perturbé par la privation d’un sens prédominant : la vue. Évoluer les yeux fermés est une pratique courante dans les ateliers de danse, le plus souvent sous l’aile d’un « ange gardien » qui de manière discrète et souvent à distance évite les collisions avec les murs mais surtout les autres participants. Les contours géométriques d’un studio de danse peuvent être identifiés en un coup d’œil, c’est un lieu protégé, lisse et sans obstacle. À Aubervilliers, la réalité est tout autre, complexe dans ses détails et immédiatement insaisissable dans son aspect général comme dans ses limites. Nous découvrons de proche en proche.


Mon attention se focalise d’abord sur les sols : le gazon de la cour des Laboratoires ; le bitume ; les trottoirs avec leurs dénivelés, leurs bosses, leurs failles ; les pavés parfois. Le pied s’assure de son support, car l’équilibre est en jeu. Un nouveau rapport pondéral s’instaure, par ce travail du pied. Je pèse sur le sol, tandis que mon ouïe se tend et que s’éveillent les zones en contact avec Myriam : ce sont là les nouveaux modes d’orientation qui me permettent de cheminer, c’est-à-dire de tenir debout et de m’orienter. Je marche lentement d’abord, pour goûter cette exploration des supports. C’est une découverte des matériaux, de leur résonance aussi. Myriam me signale les marches montantes ou descendantes, par la voix : « une marche en haut, une autre… la dernière ». Parfois percevoir son propre changement de niveau suffit à la suivre. Myriam est un repère, une présence accompagnante, mais pas un soutien gravitaire. Je ne prends pas appui sur elle mais elle m’assure une forme de tranquillité quant à la situation. Elle confirme dans un entretien :

Je ne prends pas en charge le poids du guidé. C’est lui qui en est le responsable, c’est lui qui marche. Le travail, c’est précisément de faire en sorte d’activer les supports physiques (la peau, la sensation du corps comme volume, l’axe vertical, etc.) pour que la personne puisse trouver comment s’organiser elle-même dans cette marche. (Lefkowitz, Lavergne, 2014, p. 8)

S’assurer de son équilibre et engager une forme de motricité les yeux fermés est une activité qui ne se règle pas une fois pour toute au début de la balade. Si bien sûr une confiance s’instaure et facilite la réactivité à chaque nouvelle situation, il s’agit bien sans cesse de s’adapter non seulement aux nouveaux événements que l’on rencontre, mais aussi à la durée qui ne manque pas de produire des fluctuations de tonus [5], d’humeur, de conduites sensibles. Il est difficile de retracer a posteriori la courbe des variations de postures et d’attitudes tout au long de l’expérience. La posture signale un moment de notre rapport à l’environnement (Launay, Roquet, 2008) et reflète les affects comme les combinatoires du sentir propres à chaque instant. Car il apparaît bien vite qu’il s’agit d’abord de cela : non pas rejoindre un lieu quelconque, mais traverser la ville et l’explorer en déployant mes propres compétences perceptives. Le déplacement se met au service d’une expérimentation sensible et la façon dont je marche module ma perception de l’environnement et réciproquement. De cette intrication précise, il est difficile de rendre compte, sinon de dire que l’attention propre à ma façon de marcher va singulièrement se suspendre pour laisser place à la perception de l’environnement.


Les variations de l’attention ne cessent de fait jamais de fluctuer : je passe d’une concentration focalisée à une perception périphérique, à des moments d’attention flottante, de rêverie, de distraction, d’inattention nécessaire aussi. Car j’ai pu ressentir une forme de fatigue liée à la tension vers l’écoute exacerbée de la ville alentour – écoute gravitaire, kinesthésique, sonore, haptique, olfactive... Myriam accentue ces fluctuations. Tout au long de la balade, elle ne cesse de faire varier ses modes d’accompagnement. Elle circule elle aussi, comme une partenaire attentive mais autonome. Celle qui est devenue mon environnement proche modifie sa position, la distance qui nous sépare et la façon de me toucher ou tenir. Ces trois plans de variation ont un impact fort sur la façon dont notre duo et, avec lui, la perception de l’espace alentour, se configurent.


Premièrement, elle se tient d’un côté ou de l’autre de moi, provoquant une bascule de l’attention et de l’espace. En effet, sa présence organise une surface protectrice, mais constitue aussi une forme de fermeture de l’étendue spatiale sur l’un des côtés. Sa mobilité réorganise l’étendue, la sensation des dimensions du territoire ; elle m’incite en retour à me réorganiser latéralement. Myriam peut aussi choisir de se tenir en avant ou en arrière de moi. Autrement dit, je la suis ou elle me suit. On voit là combien les termes mêmes de guide et guidée sont insuffisants à décrire la relation qui se met en place. Il n’est pas toujours facile de savoir qui accompagne qui, ni qui prend l’initiative du rythme, des arrêts, de la vitesse, des directions, des trajectoires du déplacement. Si je me laisse régulièrement conduire dans une direction plutôt qu’une autre, j’ai parfois l’impression de choisir où je vais. C’est un cheminement qui se négocie à deux. Myriam en témoigne dans son récit :

Qui donne le rythme ? Qui décide des directions ? Elle ? L’autre ? Un troisième ? Elle le visualise tel un bloc de sensations qui se tisse petit à petit entre leurs deux corps. Il se rétrécit, s’étend, devient compact, se dissout, s’accélère. C’est lui qui marche pour elle. Il est si robuste qu’elle peut commencer à se distraire et à remplir l’espace d’autre chose. (Lefkowitz, 2015b, p. 42)

La position spatiale du guide vis-à-vis du guidé, si cruciale pour l’appréhension de l’espace, se double d’intentionnalités diverses : aller avec, s’échapper, laisser faire, prendre le pas… Ces négociations imperceptibles mais permanentes sont davantage visibles dans les rapports de distance.

Ces distances, et c’est le second plan de variation, jouent sans cesse : les passages étroits obligent à des rapprochements, on se serre, on se faufile, je la suis de près pour ne pas me cogner. On passe des seuils, on longe un couloir. Des situations semblent au contraire inviter à des éloignements pouvant aller jusqu’à lâcher le contact par le toucher, le lien entre les partenaires s’instaurant à plus grande distance. Là j’avance comme seule, autonome. Dans ces interstices entre Myriam et moi, la ville s’engouffre, affirmant parfois des étendues larges que la présence sonore d’autres habitants confirme (un square ? une place piétonne ?). Ou au contraire, c’est le froid ou l’obscurité qui m’entourent en un lieu isolé, silencieux (un parking ?).


Troisièmement, Myriam propose une variété de contacts très grande. Ainsi, la modalité du « tenir par la main » évolue sans cesse : ma main repose sur sa main grande ouverte dont la paume est tournée vers le ciel ; seul le bout de ses doigts repose sur mes doigts ou sur le dos de ma main ; ou encore nous nous tenons franchement main dans la main, comme deux copines. Elle peut aussi saisir délicatement mon poignet, entourer mon avant-bras, s’agripper à mon coude, ou juste poser une paume ou le bout de quelques doigts sur mon dos (proposer un adossement qui laisse mes bras libres). Elle peut encore poser ma main sur son épaule, et réciproquement. Cette variation des contacts est une information supplémentaire qui engage autant la dimension symbolique de la relation que la plasticité du sensible et les reconfigurations de ma posture.


Ces variations de trois ordres organisent un accompagnement très subtil qui fait osciller mon attention tantôt vers la relation qui s’instaure, tantôt vers l’extérieur. Cette alternance de l’attention me semble constitutive de l’expérience proposée. Qu’est-ce qui conduit le spectateur-guidé à se tourner vers cette relation à deux ? La richesse de l’échange d’informations tactiles et proxémiques d’une part et l’activité proprioceptive [6] augmentée par la privation de la vue d’autre part orientent le guidé vers tout un imaginaire attaché à ce qui se joue dans cette relation. Le guidé est sollicité à l’endroit de son enveloppe corporelle (zones de contact avec le guide), de la modulation de son organisation gravitaire (en fonction des indications données par l’autre), de son acuité sensorielle modifiée (autre que visuelle). Autrement dit, ce qui l’environne et constitue son monde, c’est pour une bonne part ce rapport mouvant au guide : l’interaction mobilise chacun dans une forme d’accordage non dénué d’affects (Stern, 1985), où se télescopent sons, rythmes respiratoires, images mentales, visualisations internes [7], musicalités de la marche, perceptions, modulations des tonus. Et cette relation est en soi tissée d’imaginaires variés.


Qu’est-ce qui garantit la nature de cet échange et la qualité de cette interaction esthétique ? L’aisthesis, entendue au sens des formes de l’expérience sensible, des manières de percevoir et d’être affecté (Rancière, 2011), est précisément le lieu du travail. Myriam Lefkowitz a en effet développé avec l’ensemble des guides une série d’exercices préparatoires décrits à la fin de son livre (Lefkowitz, 2015b) qui signalent un travail du sensible et du kinésique fondateur de cette interaction chargée d’imaginaires. On y retrouve un travail de l’accordage décelé lors de la balade – accordage proxémique : « Note la distance à laquelle tu te tiens du corps touché. Joue de cette distance. Joue du volume d’air qui circule entre vos deux corps. » (p. 120). Accordage respiratoire également :

Observe comment le souffle modifie ton toucher. Où est ta cage [thoracique] ? Est-ce que tu peux dessiner une continuité entre ta cage et tes deux mains posées sur la cage thoracique du touché ? Imagine deux cages liées par la circulation d’un même souffle. Tes yeux sont-ils ouverts ou fermés ? Est-ce qu’ils voient ce que tu touches ? (p. 116)

On y trouve des indications à l’intention du toucheur comme du touché (en prévision de la situation guide-guidé) qui ont directement trait à l’imaginaire du corps, à la plasticité de ses contours ou limites :

Laisse ton attention passer d’une échelle à l’autre, d’un point de contact à l’autre, d’un rythme à l’autre. Laisse ton attention se distraire, s’éloigner, revenir. Peux-tu démultiplier tes points d’attention ? Imagine encore une fois que chaque toucher est une extension de tes propres contours.


Peux-tu prendre appui sur une micro parcelle de contact pour envoyer ton attention au-delà de l’espace dans lequel tu es situé ?


Où es-tu ? (p. 121)

Il faut se représenter que ces consignes préparatoires nourrissent silencieusement l’activité du guide lors de la balade. Elles l’engagent dans son propre imaginaire du corps et colorent les modalités de l’interaction qu’il met en place avec le spectateur-guidé. Elles articulent le sentir à un imaginaire essentiellement proprioceptif (les contours du corps, ses extensions possibles voire sa qualité dispersive) et spatial (distances, volume, variation des densités de l’air, localisation). À ces consignes peuvent se superposer des représentations propres à chacun, puisant dans des images culturelles plus circonscrites. Myriam Lefkowitz me raconte ainsi à la fin de ma balade, qu’en tant que guide, elle endosse des rôles divers : elle est chien tenu en laisse, amante, enfant tenu par la main, infirmière, etc.


Ces consignes se distinguent par une fluctuation permanente qui vise à faire du guide une sorte d’intermédiaire avec l’environnement. Il éveille et sollicite pour mieux conduire ailleurs. Ces exercices accordent au guide, au gré des variations de l’attention proposée, le rôle d’un lien avec l’espace alentour. La question « est-ce [que tes yeux] voient ce que tu touches ? » (p. 116) signale la façon dont une attention multidirectionnelle peut prendre forme. C’est bien dans l’écart entre l’endroit que le guide touche et le lieu qu’il regarde que se matérialisent pour le guidé des distances, des emplacements, des projections vers le lointain. Aussi, le guide devient-il un passeur vers l’extérieur, vers le monde alentour. Telle semble être la visée. C’est donc chargée de cette nouvelle corporéité forgée à deux, que j’appréhende la ville.

 Les modalités de la ville

Le titre de l’œuvre signale l’inscription dans un lieu précis : j’ai fait l’expérience de Walk, Hands, Eyes (Aubervilliers) le 4 février 2014. La déclinaison du titre permettant d’assigner une ville au projet relève-t-elle d’un simple souci de classement des occurrences de la balade (comme un artiste numéroterait ses œuvres) ou signale-t-elle aussi l’inscription du projet dans un site spécifique, c’est-à-dire sa redéfinition pour chaque lieu ? De nombreuses villes l’ont en effet accueilli depuis 2010 : Karlstad, New York, Vilnius, Venise, Brno, Buenos Aires… autant d’architectures, d’histoires urbaines, de contextes culturels et sociaux. Si la circulation des œuvres d’art est habituelle (et souhaitée), si celle des œuvres chorégraphiques implique une adaptation aux nouveaux lieux de représentation (dimensions du plateau, proportions du théâtre, emplacement des entrées de scène, etc.), la circulation d’une œuvre in situ est plus délicate. En proposant que le titre de l’œuvre désigne le lieu qui l’accueille, Myriam Lefkowitz semble bien insister sur l’emplacement du projet. Quel rôle y joue effectivement la ville et comment y prend-elle forme ?


Dans Walk, Hands, Eyes (a city), la réponse à la question « où es-tu ? » (cf. supra) devient en vérité complexe. Il est aussi difficile d’y répondre pour l’artiste-guide (qui avance les yeux ouverts), pour le spectateur-guidé, ou encore pour les passants ou usagers qui viendraient à croiser ce duo insolite. Dans la balade, assez vite, je perds la certitude de ma localisation. Non pas seulement parce que je connais mal Aubervilliers ou parce que j’ai les yeux fermés, mais aussi parce que le trajet emprunté semble volontairement sinueux. On entre, on ressort, on revient sur nos pas. Les trois plans de variations de la relation concourent aussi très largement au caractère instable de cette spatialité urbaine. Il devient clair que nous avançons sans but, ou tout au moins que tout est fait pour rendre ce but insaisissable. En cela, la balade rejoint bien des errances ou dérives artistiques qui font, rappelle Thierry Davila, « du déplacement […] une critique en acte de la ligne et de la géométrie, de la rationalisation du trajet […] en encourageant la production de parcours entrelacés, de trajets circonstanciels et flottants, non planifiés. » (Davila, 2002, p. 168-169). Il faut comprendre que cette errance [8] a peu à voir avec les configurations mêmes de la ville. Elle est plutôt un mode de cheminement en soi qui, certes, tient pour partie de l’ordinaire (on est souvent déviés par des obstacles divers ou des choix capricieux), mais en diffère par son caractère sans but. Myriam Lefkowitz insiste à cet égard sur le passage de l’intention à l’attention : s’éloigner du modèle du but à atteindre permet que l’activité musculaire, le tonus, se calme profondément (Lefkowitz, 2015a).


J’apprendrai que la balade est en fait improvisée. Par là, il faut comprendre qu’elle n’a pas de parcours préétabli, sinon d’effectuer une boucle afin de ramener au point de départ. Sa durée reste sensiblement égale à une heure. Mais le guide décide, dans l’instant, du trajet et des étapes de la balade. Il arrive d’ailleurs au guide de se perdre (j’en ai été témoin), tant il est occupé par la construction instantanée d’une expérience qui le conduit à sinuer. Autrement dit, la perception de la ville se soustrait assez vite d’un dessin en forme d’axes, de rues, d’intersections, au profit d’un espace topologique construit de proche en proche. La balade insiste davantage sur les textures de la ville, plutôt que ses formes : ses ambiances, ses matériaux (leur résonance, leur densité), et bien sûr ses odeurs, sonorités et températures auxquelles on est si sensible lorsqu’on chemine les yeux fermés. Mais une telle description ne suffit pas. Pour saisir la singularité de cette balade, il convient de saisir quel rapport à la ville (ou quelle idée de la ville) sous-tend ce projet. Il s’agit de comprendre s’il s’inscrit dans une géographie précise ou comment il se réinvente dans chaque ville. Autrement dit, jusqu’à quel point cette balade est-elle improvisée ?


L’artiste affirme clairement que la balade n’est pas une visite guidée « qui aurait pour enjeu de faire découvrir la spécificité d’un territoire urbain », mais que la ville « est un terrain idéal par l’hétérogénéité des éléments qui la composent. » (Lefkowitz, Villeneuve, 2015, p. 9). C’est alors une sorte de ville générique dont il est question, que l’artiste décrit ainsi : « ses vitesses, visages, trous, parkings, halls, portes, froids, chauds, silences, hauteurs, étroitesses » (ibid.). Les formes de la marche décrites plus haut n’ont de sens que dans un environnement suffisamment hétérogène et par là potentiellement inattendu : la balade ne fonctionne pas dans une étendue comme la plage ou la forêt qui ne contiennent pas assez de contrastes (Lefkowitz, Perrin, 2014). Aujourd’hui, Myriam Lefkowitz est capable de dire que la ville autorise à des bifurcations et ouvre des « dynamiques » dont « le goût est très différent » si l’on se trouve à New York ou Buenos Aires (ibid.). Elle insiste par exemple sur les dimensions, la largeur des avenues, les hauteurs, les volumes sonores, les odeurs particulières… En ceci le projet relève de l’art in situ au sens où il fait du lieu le ressort de l’expérience. Mais ce lieu est passé au filtre du protocole singulier décrit précédemment et doublé d’une partition préexistante.


En effet, la matrice de la balade s’inscrit dans un autre lieu qui en constitue l’esquisse et lui donne sans doute sa qualité particulière. Pendant plusieurs mois en 2008, Myriam Lefkowitz a expérimenté et donné des rendez-vous informels dans un espace industriel à Paris qu’elle affectionne : « symphonie de néons, grands couloirs, portes successives, escaliers, monte-charges, niches dans une totale obscurité » (ibid.) La matrice n’est donc pas proprement urbaine, mais clairement architecturale, sombre et accidentée. Il me semble que s’y élabore une forme de partition qui préside encore aujourd’hui à la structure improvisée de la balade. Apparaît là une sorte de coordination perceptive faite de l’attention à ce lieu particulier qui va être fondatrice dans la mise en place de schémas de parcours, de logiques d’orientation et d’ingrédients indispensables à la partition de la balade : le noir total contrastant avec la lumière crue, les seuils à franchir, les recoins, les décrochages, l’alternance entre intérieur et extérieur, la qualité du silence, la répétition de motifs, les changements de niveaux, les ambiances de parking, les étendues soudaines, les contrastes d’ambiance… C’est presque incidemment que la balade se trouve programmée en 2010 dans une ville suédoise (Karlstad), alors qu’elle n’a jamais été expérimentée en extérieur. Il s’agit de recréer dans la ville quelque chose de cette expérience-là. Les expérimentations dans ce bâtiment industriel procurent non seulement à la ville sa configuration particulière (les ingrédients qui la composent, les modes d’orientations qu’on y invente, la nature des déplacements qu’on peut y effectuer), mais aussi son échelle : le quartier que l’on va parcourir en une heure est relativement réduit. Mais la constitution de la « ville » en balade va aussi se nourrir d’un nouvel élément absent du prototype : une forme de sociabilité dont le lieu industriel était dénué. Les habitants produisent en effet des situations inattendues, construisent des saynètes malgré eux, invitent de manière inopinée les marcheurs chez eux [9].


Pourtant, la balade ne va pas à la rencontre du pittoresque. « Le quartier lui rappelle une autre ville, plus grande. Cette sensation se répète de plus en plus à force de marcher, les villes se superposent les unes aux autres. […] une autre ville s’infiltre dans le paysage qu’elle est en train d’arpenter. […] Il aurait pu marcher dans plusieurs villes en même temps. » ((Lefkowitz, 2015b, p. 16 et 26). Cette ville générique née de la matrice d’une architecture industrielle maintient une forme d’indéfinition propice à la production imaginaire. Il s’agit moins de reconnaître une ville définie que de déployer des enveloppes sensibles propices aux fictions elles-mêmes amplificatrices de sensations. On peut dire que les modalités de la ville se constituent alors au gré d’une sorte de boucle continue qui relie l’imaginaire du corps et de la relation, les sensations de ville, l’expérience sensorimotrice elle-même travaillée par un processus de simulation (Bernard, 1993, p. 62), la mémoire involontaire d’expériences vécues et de lieux traversés auparavant. L’immersion urbaine, écrit Jean-Paul Thibaud, produit une « ouverture imaginaire du monde ambiant mettant en œuvre des processus d’associations, de métaphorisation et de sédimentations sensorielles. [Elle] procède de la mise en phase des corps proches et de la mise en relation des situations vécues. » (Thibaud, 2013, p. 17) Myriam Lefkowitz le met en œuvre très largement dans son livre à travers les récits qu’elle rapporte et le résume à sa façon : « Si l’expérience prend place dans un lieu topographique défini, c’est pour mieux le quitter et produire, dans ce décollement, une fiction d’espace. » (Lefkowitz, Villeneuve, 2015, p. 9). Elle ajoute que cette fiction est nécessaire, dès lors que le spectateur-guidé ne sait plus où il est (Lefkowitz, Perrin, 2014). C’est ainsi qu’on pourra donc comprendre que le nom de la ville où se tient la balade mérite, dans le titre du projet, de rester circonscrit entre ses deux parenthèses.

 La ville en songe : clignement d’images et glissement spectral

Au cours de Walk, Hands, Eyes (Aubervilliers) Myriam me propose, à peine une dizaine de fois, d’ouvrir les yeux, pour presque aussitôt les refermer. Elle a parfois pris soin juste avant de saisir ma tête, de l’orienter. « Ouvre… Ferme ». De ces prises de vue par le regard, je retiens : la vue sur d’autres immeubles depuis une fenêtre de cage d’escalier ; deux ouvriers en bleu de travail réparant une voiture qui rient en m’apercevant ; une haie dense à quelques centimètres de moi ; un pigeon qui prend son envol ; un bureau administratif vide et banal ; le visage d’un homme noir en gros plan et qui me sourit ; un chat ; un pilier d’église ; une tour en contre-plongée. Ces clichés quasi photographiques viennent ponctuer la balade et interrompre ou dévier le flux sensible qui s’est formé. Ils opèrent comme des trouées dans la toile de sensation et de récits silencieux qui s’est tissée. Ils peuvent sans doute devenir le moteur de nouvelles fictions, ou constituer des accroches à la réalité urbaine. La façon dont ils prennent place dans la construction de l’expérience échappe pour grande part à l’artiste-guide. Là encore, le duo constitue un ensemble qui n’est ni cohésion sensible ni opposition de principe, mais plutôt une entité faite de partages et d’écarts, d’ententes et d’indépendances. Nous ne sommes pas prisonnières de nos fictions réciproques. Myriam ne saura pas ce que j’ai bien pu faire de la découverte de ces deux ouvriers de même que j’ignore au fond pourquoi elle a souhaité que je les aperçoive. Je pourrais pourtant dire que ces clichés assurent une forme de saisie du réel qui fait rebasculer dans le visuel et instaure un rythme inattendu, irrégulier, à travers ces images fugaces. Je le vis comme une rupture, une irruption (joyeuse, inattendue, troublante, etc.) et non comme le complément visuel d’une ambiance saisie par les autres sens. Ces vues ne constituent pas des vues d’ensemble : elles ne me conduisent pas à une synthèse mais participent d’une connaissance de la ville de proche en proche, mais aussi fragmentée, en signalant tout ce qui est susceptible d’échapper à ma perception.


Étrangement, la métaphore cinématographique est régulièrement utilisée dans les récits rapportés dans le livre de Myriam Lefkowitz, pour nommer ce rapport soudain à la vue mais plus largement encore l’expérience de la balade. Les témoignages insistent d’une part sur le cadrage (et le hors-champ) de l’image, d’autre part sur le montage [10]. Cette métaphore me semble paradoxale, puisque les rares vues semblent plutôt interrompre le flux de sensations du guidé. Elle me semble rabattre le flux de sensation sur un flux d’images mentales, et l’imaginaire sur la production d’images. Sans doute le cinéma est-il un référent culturel important pour traduire des ambiances, des tensions narratives liées aux espaces. Il semble que la métaphore traduise alors plutôt la puissance de la production imaginaire, le potentiel narratif, et la structure possiblement hachée, rythmique. Elle contracte l’impression du défilement cheminatoire à celui de la possible production d’images (via le regard ou non). Les extraits suivants témoignent de la place équivoque du cinéma :

Au moment de l’apparition, elle n’est pas au cinéma. Ces images forment une série de suspensions, de visions, d’hallucinations. Pour autant, le cinéma s’installe dans sa déambulation. Comme si elle ramassait du hors-champ les yeux fermés et qu’il rejaillissait dans l’image, à l’instant où elle ouvrait les yeux. (Lefkowitz, 2015b, p. 105)


Il ouvre les yeux sur une quantité très précise d’images qu’il recombine. Du montage s’immisce dans une situation pourtant caractérisée par une forte raréfaction d’images. Il se met à lier des fragments du réel qui ne le sont pas a priori. (p. 93)


Les instants où il ouvre les yeux […] sont des arrêts. Non pas comme un coup de cymbale au milieu d’un mouvement de violon mais comme des trous dans un tissu complexe. Ce sont des trous. C’est comme s’il regardait un film et que brusquement tout s’éclairerait qu’un éléphant traversait à toute vitesse la salle de cinéma, puis tout redeviendrait noir et le film continuerait. (p. 89-90)

On voit que par cinéma, il faut parfois entendre la salle (le noir et la projection) ou bien le film lui-même comme défilement d’images. Ce film est pour certains constitué des vues quasi photographiques que l’on recompose, pour d’autres au contraire du flux d’images mentales produites les yeux fermés. Dans ce dernier cas, le spectateur-guidé peut aussi s’inventer comme personnage de film et nouer son imaginaire à des références cinématographiques précises : « Ce n’est pas qu’il pense à M le Maudit, c’est qu’il est dans M le Maudit. Il est M le Maudit. » (p. 44).


Ce qui semble être en jeu dans la confrontation de ces images instantanées aux images-sensation, c’est encore la place du sujet dans l’expérience et dans son rapport au réel. « Ce qu’elle voyait apparaissait comme une image dans laquelle elle n’était plus. » (p. 105). À l’inverse de cette mise à distance de soi vis-à-vis de l’objet du regard, entre deux vues, « il lui semble glisser dans un interlude où les éléments se recomposent sous ses yeux [fermés] dans un ordre improbable, avec l’ensemble de son corps au milieu de l’image. » (p. 93). Ces récits informent sur la qualité très immersive du projet. Le guidé, pourrait dire, avec Merleau-Ponty :

Mon corps est au nombre des choses, il est l’une d’elles, il est pris dans le tissu du monde et sa cohésion est celle d’une chose. Mais puisqu’il voit [ou qu’il sent] et se meut, il tient les choses en cercle autour de soi, elles sont une annexe ou un prolongement de lui-même, elles sont incrustées dans sa chair, elles font partie de sa définition pleine et le monde est fait de l’étoffe même du corps. (Merleau-Ponty, 1964, p. 19)

Mais lors de ces clichés photographiques, la balade inclut des face-à-face avec des visages inconnus. L’échange de regards que ces rencontres inattendues produisent est d’une grande intensité. L’effet provient de la rencontre avec l’autre, mais aussi d’un changement soudain d’emplacement pour soi : ce monde fait de l’étoffe même du corps intègre soudain la relation sociale, le vis-à-vis. Quel regard l’autre est-il en mesure de porter sur cette expérience artistique conduite dans l’écart par rapport au réel ? L’effet de surprise, d’étrangeté et d’intensité de ces rencontres signale aussi l’existence (ou la prise de conscience) d’un mode de cheminement immersif, dont on entrevoit alors de façon trouble qu’il est susceptible de modifier le jeu social.

En effet, cette rencontre avec l’autre (souvent par un cadrage en gros plan) relève d’une distance sinon intime du moins personnelle. Elle outrepasse les règles proxémiques tacites de l’échange social. D’une façon comparable, on peut se trouver témoin de conversations qui ne nous sont pas adressées ou encore pénétrer dans des lieux privés. Le cheminement immersif laisse ainsi l’impression étrange de nous avoir transformés en un duo spectral qui parviendrait à se glisser de manière discrète dans diverses strates de la vie sociale. Or tout ici est improvisé. Myriam Lefkowitz n’a pas de complices dans la ville. L’impression de défilement, d’écoulement n’est pas propre au seul flux de sensations qui nous traverse : c’est une qualité propre à la motricité du duo également. Les spectateurs-guidés témoignent d’une corporéité prise dans une « sorte de suspension gravitaire » et « se sentent glisser ou flotter » (Lefkowitz, Lavergne, 2014, p. 8). Ce glisser proprement fantomatique ou féérique opère comme une rupture dans la relation sociale ordinaire et autorise des intrusions spatiales. « On remet en jeu la distribution habituelle des espaces fermés, ouverts, publics, privés […] mais jamais dans une intention subversive qui n’aurait de sens qu’à braver une interdiction. » (ibid.). Il semble que cette motricité toute particulière née de l’activité sensible et fictionnaire en cours soit permette au duo de circuler ou bon lui semble (son caractère par trop indéfinissable fait qu’on préfère l’ignorer), soit provoque la rencontre. Celle-ci ne se fait jamais sur le mode agressif, car quelque chose de vulnérable se dégage du duo. On viendrait plutôt proposer son aide, ou tenter de partager l’expérience.

Il sort en trombe de son bureau pour aller aux toilettes et il tombe nez à nez avec eux, immobiles et silencieux. Tout d’abord, il s’assure que tout va bien. Puis il les regarde plus longuement et leur demande s’il peut venir avec eux. Il dit qu’il adore leur calme. Il dit qu’il veut dormir avec eux, rêver avec eux. (Lefkowitz, 2015b, p. 60)

La rêverie semble visible de l’extérieur, à même la corporéité. C’est ce « plongeon dans une activité proche du rêve, où l’on recompose un monde à partir de fragments de réalité » (Lefkowitz, Villeneuve, 2015, p. 10) qui donne son tonus si particulier aux marcheurs. « J’ai souvent l’impression de marcher avec quelqu’un qui dort », décrit l’artiste (Lefkowitz, 2015a). « Est-ce que l’on rêve de la même façon à New York, Aubervilliers ou Venise ? » (Lefkowitz, Perrin, 2014)

 Animer l’espace public ?

Il y a lieu de s’interroger sur cet état de veille modifiée auquel le marcheur consent. Il n’est pas anodin que d’une part des artistes aujourd’hui choisissent de faire parcourir la ville à l’aveugle et d’autre part que des spectateurs consentent à vivre, dans l’espace public et dans les bras d’un.e inconnu.e, un état de rêverie. Si cette expérience singulière autorise à une connaissance renouvelée de la ville – ce qui en soi ouvre un potentiel immense –, la force de ce projet artistique réside aussi dans sa capacité à ouvrir une brèche dans l’économie de l’attention qui caractérise le monde contemporain. En privilégiant l’obscurité, l’errance, la non-intentionnalité, le flottement, la suspension du temps, en partageant des savoirs propres à la culture perceptive et motrice du danseur, Myriam Lefkowitz se met à contre-courant d’une société qui réclame un tonus éveillé et surtout une vigilance de tous les instants – une hyperactivité propre à obstruer tout pouvoir imaginatif de l’esprit humain. Interrompre un flot de sollicitations continues, suspendre l’attention visuelle, dévier les canaux habituels de la sensorialité constituent une réponse salutaire à un monde dans lequel le sommeil pourrait être le dernier bastion de résistance au capitalisme (Crary, 2013). Walk, Hands, Eyes (a city) signale alors que la ville participe aussi de cette économie capitaliste de l’attention et qu’il nous faut inventer de nouvelles façons de la traverser, de la vivre. Fermer les yeux, c’est autant résister à la surcharge visuelle qu’engager une expérimentation sensorielle nouée d’affects, et ouvrir des espaces improductifs où un autre monde peut s’inventer.


À ce titre, Myriam Lefkowitz n’entend pas « animer l’espace public ». L’expression choisie pour ce numéro de la revue Ambiances convient mal pour qualifier ce projet : d’une part, l’art contemporain se méfie de l’idée d’animation et se distingue par sa dimension critique plutôt que divertissante. D’autre part, Walk, Hands, Eyes (a city) intervient de façon fondamentalement discrète dans l’espace public : de manière parcimonieuse (le nombre de spectateurs reste restreint) et presque imperceptible (par sa qualité spectrale, le duo peut passer quasiment inaperçu). Myriam Lefkowitz ne prétend pas non plus avoir un impact sur l’esthétique de l’espace public. Elle préfère parler de care, autrement dit de l’attention à l’autre, du soin que l’on porte à autrui. Loin de l’événementiel, elle envisage d’abord les effets de ce qui constitue pour elle autant une œuvre d’art [11] qu’une pratique. Cette pratique qui consiste en un exercice du sensible et de l’imaginaire, ouvre la possibilité d’une transformation, d’une fluctuation de l’ordinaire et des représentations de la ville. Plutôt que d’animer, le projet propose d’éprouver la coexistence de la ville ininterrompue et de la constitution possible d’un milieu sensible. Ce milieu a d’autant plus de chance de perdurer ou d’être réactivé que l’expérience proposée devient mémorable. On pourrait dire alors que Walk, Hands, Eyes (a city) active cette mémoire agie dans le présent, dont parle Jean-François Augoyard, cette mémoire protensionnelle qui organise les perceptions selon le mémorable à venir (Augoyard, 1979, 2010, p. 35). Ce mémorable au présent surgit de l’intensité du sentir et est renforcé par les récits qui suivent la balade donnant forme à cette ville ininterrompue : ville sentie, rêvée et figurée à l’aveugle.

 Imaginer, sentir, énoncer

C’est d’abord dans une perspective esthétique que s’inscrit cette étude de Walk, Hands, Eyes (a city). Une perspective qui ouvre aussi vers les enjeux sociaux et politiques de l’art. Il y a pourtant un autre aspect, que l’on pourrait in fine souligner, concernant le croisement des savoirs d’une part et une théorie du sentir d’autre part. Il s’agit au fond d’interroger l’intersection entre la recherche en art et celle sur le « geste ambiant » (Thibaud, 2013, p. 17) ou l’action située (qu’elle soit artistique ou non), tout en ouvrant un horizon théorique à la balade conçue par Myriam Lefkowitz. Cet horizon concerne l’articulation entre l’imaginaire, le sentir et l’acte d’énoncer.


Si la marche est un objet d’étude commun à nombre de sciences humaines et sociales et l’analyse des cheminements reconnue comme capable de renouveler les savoirs sur la ville (Augoyard, 1979 ; Thomas, 2010), les pratiques chorégraphiques hodologiques conduisent aussi à repenser la qualité de nos déplacements quotidiens ou notre connaissance de la ville ainsi qu’à mettre en évidence ce que l’ordinaire tend parfois à camoufler. Si les méthodes ou les outils d’analyse diffèrent selon les disciplines, les préoccupations sont susceptibles de se recouper très nettement. Dans la recherche en art comme dans les sciences sociales, l’observation du quotidien ou de la dimension sensible de l’interaction avec un environnement sont au cœur de bien des études. Ainsi, dans la continuité des travaux en sociologie de Jean-François Augoyard, Rachel Thomas envisage la marche comme un « mode d’incorporation, d’expression et de modelage des ambiances architecturales et urbaines » (Thomas, 2010, p. 12). Elle en appelle à l’examen de la dimension corporelle de la marche : la marche est alors définie par ce « corps à corps constant avec la matérialité de la ville, avec autrui, avec l’ensemble de ces modalités sensibles qui confèrent aux lieux communs de nos trajets quotidiens leur identité, leur attractivité, leur froideur » (ibid.). L’exemple de Walk, Hands, Eyes (a city) permet sans doute de penser précisément la nature de ce « corps à corps » à partir de l’examen des façons possibles d’être à deux. Et plus largement à partir d’une réflexion sur l’intercorporéité, telle qu’elle a pu être pensée dans les études en danse : une intercorporéité entendue comme relation avec autrui et avec le monde environnant et qui met en jeu toute une gamme possible de mises en relation. Le philosophe Michel Bernard a en effet développé une philosophie de la corporéité qui donne toute sa place à l’intercorporéité dans son rapport au fonctionnement de la sensation :

« Le prétendu corps biologique anatomique et physiologique de l’individu n’est que l’épiphénomène et, dans une certaine mesure, l’artefact d’une immense intercorporéité indéfinie qui se traduit par la résonance non seulement de mes propres impressions sensorielles entre elles et de leur double face active et passive, mais aussi de celles-ci avec la configuration hybride de celles de mes vis-à-vis et, plus largement, de la diversité des qualia sensibles qui émanent du milieu environnant. » (Bernard, 2007, p. 97)

On voit là ce que la pensée de Michel Bernard doit à la théorie des chiasmes chez Merleau-Ponty –une théorie qu’il déploie toutefois pour sa part autour de quatre chiasmes : le chiasme intrasensoriel (dimension active et passive de chaque sens) ; le chiasme intersensoriel (les correspondances et contaminations entre les sens) ; le chiasme parasensoriel (l’entrelacement entre l’acte de sentir et d’énoncer) ; le chiasme de l’intercorporéité enfin.


Ce qu’il convient ici de souligner, c’est la nature d’un point de rencontre. Dans le courant des années 1970, aussi bien Michel Bernard (qui allait jouer un rôle essentiel dans le développement des études en danse en France) que Jean-François Augoyard (dont l’approche de l’architecture et de l’environnement habité allait fonder la méthodologie sensible et située propre au laboratoire CRESSON [12]) interrogent le fonctionnement du sentir. Saisir l’expressivité du corps d’une part, saisir l’expérience cheminatoire du passant des villes contemporaines d’autre part, conduisait l’un ou l’autre à formuler des questions proches et à mettre en évidence le lien étroit entre le sentir et l’agir. À partir de références souvent communes (la phénoménologie, l’écologie de la perception, l’anthropologie du sensible), les sociologues allaient interroger la place de la perception dans la construction sociale de la réalité (Thibaud, 2001), ou proposer de « relire les enjeux du social à l’aune de la question esthétique » (Thibaud, 2013, p. 9). De leur côté, les chercheurs en danse Hubert Godard et Michel Bernard rappelaient le lien étroit entre perception et action : comment l’activité oriente la perception et réciproquement comment la perception guide l’action. « Chacun perçoit afin de bouger et bouge afin de percevoir. » (Thelen, cité in Ginot, Mallet, Nioche et al., 2006, p. 6).


Si le plan du sentir constitue un soubassement commun, l’analyse des formes de l’expérience sensible conduit aussi à réfléchir à deux sortes d’articulation. La première est l’articulation entre le sentir et le dire (le chiasme parasensoriel) : Jean-Paul Thibaud parle de « l’entrelacs du dire et du percevoir » (Thibaud, 2001, p. 82), et Michel Bernard d’« une intrication ou une imbrication souterraine, secrète et subtile de la sensation, de l’expression et de l’énonciation » (Bernard, 2007 [1998], p. 119) développant que l’articulation entre le sentir et le dire repose sur le « mécanisme commun de l’énonciation en tant que processus de projection d’un monde prétendu réel soit senti, soit intelligible » (p. 98). À ce titre, le projet Walk, Hands, Eyes (a city) me semble chercher à déployer d’une façon originale le rapport entre le sentir et le dire : en invitant d’abord au silence, retardant ainsi le dire, l’expérience intensifie un rapport à la sensation favorisant un mode d’énonciation à l’issue de la balade qui s’appuie d’abord sur le sensible, plutôt que sur l’intelligible. Des discussions se nouent inévitablement à l’issue de la balade et en font partie intégrante. Le livre publié par Myriam Lefkowitz tisse des bribes de ces échanges, insistant sur la dimension sensible, imaginaire et affective, plutôt sur les singularités topographiques. La structure du texte par bloc de sensations ou mini-récits tient d’abord du projet littéraire et non de l’enquête urbaine. Le mode de narration choisi permet d’épouser la logique de l’association d’idées ou de sensations, de jouer au contraire du contraste des expériences, de faire soudain surgir des sonorités, des odeurs, des images… autrement dit, de recomposer la partition même de la balade (son errance, son caractère à la fois immersif et fragmenté) à partir de l’expérience rapportée par des sujets multiples. On peut alors dire de ce projet littéraire, comme de la balade, qu’il s’agit de « quitter la description d’une réalité telle qu’elle est pour la charger d’une virtualité, d’un possible duquel on s’équipe pour revenir au monde en ayant entrevu une autre forme. Il s’agirait, d’une certaine façon, d’ouvrir des mondes, d’envisager une non ressemblance, une non identification avec ce qui est. » (Gonon, Lefkowitz, 2012)


En effet, la seconde articulation rapproche le sentir et l’imaginaire. L’imaginaire considéré comme un processus dynamique qui fonde le fonctionnement du sentir conduit Michel Bernard à défendre une « théorie “fictionnaire” de la sensation ». La citation commencée plus haut se poursuit en effet ainsi : « il y a […] une intrication ou une imbrication souterraine, secrète et subtile de la sensation, de l’expression et de l’énonciation dans la mesure où elles sont toutes trois habitées, animées et traversées par la même force singulière et permanente de production incessante de fictions. » (ibid., p. 119). Ces fictions, poursuit le philosophe, sont produites dans chaque organe sensoriel et retentissent sur les autres organes des sens (par le jeu d’une intersensorialité radicale). Autrement dit, « l’imaginaire est dans la sensation. » (p. 61). Cette théorie « fictionnaire » de la sensation, Michel Bernard la détache d’une logique linguistique afin d’insister sur la dynamique expressive et créatrice de fictions de la corporéité sentante. De même Jean-François Augoyard propose une théorie de l’expression qui « diffère nettement d’un processus linguistique » (Augoyard, 1979, 2010, p. 174). Il introduit « l’instance imaginaire » dans la compréhension de l’expression habitante (p. 153) : « En comprenant l’activité quotidienne à partir de son fond imaginaire, le monde commence autrement [13]. » (p. 191). En cela, se taire dans Walk, Hands, Eyes (a city) est aussi important que fermer les yeux, afin de laisser proliférer une production fictionnaire ou expressive nouées au sensoriel. À partir de ce fond imaginaire, il devient possible peut-être de réinventer sa ville.


 Bibliographie

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Notes

[1Depuis les années 1920, avec par exemple, la méthode Alexander, l’idéokinésie d’Irene Dowd, la méthode Feldenkrais, la Joan Skinner Releasing Technique, le Body-Mind Centering de Bonnie Bainbridge Cohen… Thomas Hanna définit dans les années 1970 par « somatics  » le champ des pratiques où le corps est considéré et perçu « à la première personne », et non pas observé de l’extérieur et de façon objective « à la troisième personne » (Hanna, 1995).

[2La phénoménologie de Erwin Strauss, Husserl, Merleau-Ponty ou Jan Patoĉka est largement convoquée par les chercheurs en danse et philosophie (parmi lesquels, en France, Laurence Louppe, Véronique Fabbri, Paule Gioffredi, Romain Bigé, Katharina Van Dyk) mais aussi lue par les danseurs. Cf. par exemple Katharina Van Dyk, 2014.

[3Équipe à géométrie variable : Jean-Philippe Derail, Julie Laporte, Yasmine Youcef…

[415 juin 2012. « La balade des yeux, machine à percevoir le réel ». Colloque Staging the Land – L’enjeu de la perception dans la création contemporaine in situ, université d’Avignon.

[5Christine Roquet et Isabelle Launay rappellent que le neurophysiologue F. Veldman distingue quatre sortes de tonus : le « tonus de fond », tension de base des muscles en attente « qui dépend de l’état psychique d’un individu » ; le « tonus de vigilance » relatif à la posture permettant l’adaptation des diverses parties du corps à une situation ; le « tonus d’extension » spécifique à l’activité musculaire du corps en contact avec un objet ; et enfin « l’eutonus » qui désigne une tension des muscles équilibrée ou adaptée au but. (Launay, Roquet, 2008)

[6Perception par chacun de son corps propre (son organisation interne, sa position), à partir de ses sensations kinesthésiques, posturales, gravitaires. Les capteurs proprioceptifs se situent dans l’oreille interne, les articulations, les tendons, les ligaments, et la peau.

[7« Quelques instants plus tard, elle vit son squelette. Elle eut une vision de son corps de derrière les paupières. Son regard alla se poser ailleurs qu’en face d’elle et elle put regarder à l’intérieur, vers son bassin. » (Lefkowitz. 2015, p. 57).

[8Paola Berenstein-Jacques (2008) a défini trois propriétés de l’errance urbaine à travers des figures de l’errance de l’histoire brésilienne et européenne : la prégnance de la corporéité, la capacité à se perdre et la lenteur. Seule la troisième propriété semble parfois faire défaut dans Walk, Hands, Eyes (a city) qui peut contenir des accélérations allant jusqu’à la course.

[9Dans son livre, Myriam Lefkowitz témoigne de ce regard porté par les habitants en alternant une narration portée par un guide, un guidé ou un passant.

[10Jean-Christophe Bailly insiste sur cette représentation de la ville moderne sous l’influence du cinéma : « C’est la logique du montage qui s’empare de la ville moderne, qui l’étire et la tisse ». (Bailly, 2013, p. 105) Myriam Lefkowitz fait de son côté référence à David Lynch lorsqu’elle me décrit le lieu industriel dont je fais la matrice de la balade (Lefkowitz, Perrin, 2014).

[11On préfère parfois le terme de « projet » tant la notion d’œuvre (comme de spectateur) a été bousculée par la dimension processuelle, in situ, relationnelle, ou encore sociale de l’art depuis les années 1960.

[12Centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain.

[13Cette phrase de Jean-François Augoyard est mise en valeur et commentée par Yves Winkin dans la préface à la réédition en 2010 de son livre Pas à pas : essai sur le cheminement quotidien en milieu urbain et dans « Relire Pas à pas aujourd’hui » (Thomas, 2010, p. 21-27).

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