Une émission radiophonique consacrée au thème : « Est-ce que les rythmes sociaux nous maltraitent ? » – France culture – 19 octobre 2022

Rhuthmos
Article publié le 1er novembre 2022
Pour citer cet article : Rhuthmos , « Une émission radiophonique consacrée au thème : « Est-ce que les rythmes sociaux nous maltraitent ? » – France culture – 19 octobre 2022  », Rhuthmos, 1er novembre 2022 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article2932
Est-ce que les rythmes sociaux nous maltraitent ?


France culture


19 octobre 2022



Comment les rythmes imposés par la société (le travail, l’école, les obligations domestiques) affectent-ils nos vies ? De quelles manières affectent-ils notre bien-être psychique ? Comment se réapproprier ces rythmes dictés par des paramètres sociaux en dehors de notre maîtrise ?


Avec


  • Robert Chenavier Agrégé de philosophie, président de l’Association pour l’étude de la pensée de Simone Weil, directeur de la publication des « Cahiers Simone Weil »
  • Adèle Sueur Doctorante en 3e année au Laboratoire de Changement social et Politique, à l’Université Paris Cité, en philosophie sociale et politique et en études féministes.
  • Carmen Schröder Professeur de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, spécialiste du sommeil et des rythmes biologiques et chercheuse affiliée au CNRS.


La cadence ouvrière selon Simone Weil


Simone Weil notait l’alliance qui existe entre vitesse, répétition et soumission à des ordres dans le travail. Dans le cas des témoignages des femmes de ménages à l’hôtel Ibis, il y a en plus des moments d’improvisation qui mettent la pagaille dans la cadence puisqu’il y a des chambres incroyablement sales qui prennent plus de temps et qui leur font nécessairement déborder la cadence imposée. On peut donc dire qu’il y a à la fois le mal du taylorisme, mais aussi ces moments où l’on est sûr de ne pas tenir le rythme.


Robert Chenavier précise que « Simone Weil disait que le temps et le rythme sont les facteurs les plus importants du temps ouvrier. Le contrôle du temps de travail est un élément essentiel de la domination ». Elle insistait aussi sur « l’alternance conflictuelle entre la monotonie et le hasard. Il faut à la fois s’endormir dans la monotonie et en même temps rester conscient, situation extrêmement difficile à vivre ». Elle a travaillé dans trois usines où elle a occupé des postes de manœuvres sur des machines ou des fraiseuses pour chercher à comprendre et non à faire la révolution qu’elle considère à l’époque comme un idéal.


Simone Weil était très sensible aux cadences imposées aux ouvriers dans les années 1930 mais il est possible de se demander si la question du temps n’est pas toujours centrale, quoique se donnant différemment aujourd’hui. Y compris pour penser la situation de beaucoup de cadres. L’autonomie donnée à beaucoup de cadres semble une nouvelle manière d’exercer une emprise sur leur temps libre. Pour Rober Chevanier, « le taylorisme imposait un contrôle de la force de travail dans une usine, aujourd’hui on a une mobilisation totale de la subjectivité en tant que personne. L’autonomie n’est jamais un choix libre mais pris à l’intérieur d’un projet et des méthodes conçus par la direction. Elle est seulement le fait d’avoir des possibilités de variations ».


Les différents rythmes sociaux


Le rythme du travail est-il destructeur pour le rythme veille sommeille ? « Le rythme est une propriété fondamentale du vivant puisqu’il doit s’adapter à l’alternance de la lumière et de l’obscurité » explique Carmen Schröder. Le processus circadien, un rythme d’environ vingt-quatre heures, explique que nous sommes programmés pour avoir des moments de vigilance et de veille. « L’homme a choisi la niche de l’obscurité pour dormir et de la luminosité pure être réveillé et faire ses différentes activités. Mais on essaie aujourd’hui de s’affranchir de cela de plus en plus. » Un temps normal permet d’adapter la temporalité interne à la temporalité externe, mais parfois il y a un conflit qui crée un « jetlag social » qui a des effets sur notre vie psychique.


Dans certains métiers, l’attention aux autres est une donnée qui fait partie du métier lui-même. Adèle Sueur s’intéresse aux métiers qui relèvent du soin : « La question du temps au travail se pose dans les métiers du care où il y a une souffrance éthique liée à une impression de ne pas pouvoir bien faire son travail et d’être à la fois maltraité par l’organisation du travail et donc aussi potentiellement maltraitant des personnes dont on s’occupe. L’abandon du travail peut même apparaître comme une décision éthique d’arrêter cette maltraitance ». Le care n’est pas une spécificité féminine mais concerne, de fait, davantage les femmes du fait de la division sexuelle du travail. Et, ce n’est pas tout, les femmes supportent aussi un travail domestique important.


« Dans le féminisme matérialiste, la spécificité est de reprendre les concepts marxiens pour penser l’oppression patriarcale », analyse Adèle Sueur. Christine Delphy, sociologue féministe, analyse le patriarcat comme système d’aliénation spécifique. Pour elle, « le problème n’est pas l’allongement de la journée de travail mais l’absence de mesure du travail domestique ». La mesure du temps du travail domestique possède un effet infini contrairement au temps travaillé.


Pour des temporalités diverses


Il est important de parler de temporalités. Selon Robert Chenavier, « il y a une méconnaissance entretenue sur les niveaux de temporalités. La société n’a pas assez pensé le temps à soi ou le travail à soi. Nous continuons à penser en terme d’aplatissement, notamment avec le gouvernement par les nombres et par l’horloge qui continue à dominer nos existences ». Il faudrait penser un temps de travail et un temps d’activité autre : « l’idéal serait que l’individu puisse vivre sur des niveaux d’activités différents ».


Bibliographie


  • R. Chenavier, Simone Weil, une Juive antisémite ? Éteindre les polémiques, Gallimard, 2021.
  • R. Chenavier, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, de Simone Weil, Libertalia, 2022.
  • Monnier L. & Schröder CM. « Troubles du sommeil chez l’adolescent » in Traité EMC Psychiatrie, Eds. N Franck. Elsevier, 2022.
  • Bioulac S. & Schröder CM. « Sommeil, rythmes et fatigue dans le rapport à la route chez les jeunes générations » in Les Jeunes au volant (dir. : David Le Breton), Edition erès 2021.
  • Schröder CM., Kilic-Huck U., Ruppert E., Bourgin P. « Circadian rhythm sleep disorders – neurocognitive and psychiatric comorbidities » in : European Sleep Medicine Textbook, Eds D. Skene & C. Gronfier, ESRS, 2021.
  • Saadi S. & Schröder CM. « Troubles du sommeil chez l’enfant et l’adolescent », Revue du Praticien, 2020.
  • Schröder CM., Micoulaud-Franchi JA., Bourgin P. « Psychiatrie et sommeil » in Les Troubles du Sommeil, Masson, Eds. M Billiard et Y Dauvilliers, Masson, 3e édition 2019.
  • Schröder CM. et Poirot I. (Eds de livre). Sommeil, rythmes et psychiatrie. [Ouvrage de référence sur les interactions fonctionnelles entre sommeil, chronobiologie et psychiatrie.] Dunod, 2016.
  • Schröder CM. « Désordre circadien du sommeil de l’adolescent : rôle du multimédia », Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 2015, Oct ;199(7) :1099-1113. Paru en 2016.
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