Avant-propos : épreuves d’Etat. Une variation sur la définition wébérienne de l’État

Article publié le 26 avril 2014
Pour citer cet article : , « Avant-propos : épreuves d’Etat. Une variation sur la définition wébérienne de l’État  », Rhuthmos, 26 avril 2014 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article1176

Ce texte a déjà paru dans la revue Quaderni, N° 78, 2012, p. 5-22. Il est disponible en ligne également ici.


« Est réel ce qui résiste dans l’épreuve. »


Bruno Latour



Le lecteur trouvera rassemblées dans ce dossier quatre études de sociologie et d’anthropologie de l’État qui, par-delà la diversité des terrains traités, partagent un même horizon : elles examinent des processus dans et par lesquels l’État se redéfinit et se recompose relativement à des contextes et à des problèmes donnés. Ces processus forment autant d’épreuves d’État. Il convient d’entendre cette notion au sens fort. Car il ne s’agit pas seulement d’épreuves pour un État qui, dans sa confrontation avec un problème, se verrait obligé de s’ajuster à une nouvelle situation sans que sa réalité en soit affectée. En retenant la conception de l’épreuve proposée par Bruno Latour comme le lieu où le réel vient à résister [1], on considérera au contraire que c’est bien cette réalité de l’État qui est en tant que telle l’enjeu de chacune de ces épreuves. Ce parti pris ouvre des perspectives nouvelles pour l’étude de l’État que cet avant-propos a pour ambition d’expliciter.
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 La définition et l’enquête

Peu d’énoncés ont eu un impact semblable dans les sciences sociales à celui de la définition que Max Weber a donnée de l’État moderne. Rappelons sa tournure concise, désormais inscrite au fronton de la sociologie de l’État : « Nous appellerons État une “entreprise politique à caractère institutionnel” lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime. [2] »


Depuis sa première formulation et jusqu’à aujourd’hui, cette définition a donné lieu à d’interminables gloses. De ce concert, on peut retenir une tonalité dominante. Il a en effet souvent été observé que la conception de l’État portée par cette définition repose sur une articulation entre deux façons d’en faire l’expérience : il y aurait, d’un côté, une expérience ordinaire de l’État et, de l’autre, une expérience limite.


À l’expérience ordinaire de l’État correspond la première partie de la définition qui le caractérise comme une « entreprise à caractère institutionnel » [3]. En considérant cette mention à l’aune de celles de la « direction administrative » et de « l’application des règlements », il apparaît que M. Weber vise avec cette caractérisation l’existence bureaucratique de l’État. C’est bien la bureaucratie, forme tangible d’une rationalité légale formelle dont la modernité a signé le triomphe [4], qui, selon lui, donne à l’État moderne sa physionomie [5]. La seconde partie de la définition offre, quant à elle, un accès à l’expérience limite de l’État. À suivre M. Weber, pour qu’il puisse être question d’un État moderne, la bureaucratisation de l’administration doit en effet se doubler de la monopolisation de la violence légitime [6]. En vertu de cette monopolisation, la violence légitime devient le « moyen spécifique » [7] de l’État. Au plan conceptuel, la violence légitime fonctionne alors comme une « notion limite » [8] qui fournit le critère qui, en dernière instance, permet de distinguer l’État de toute autre formation sociale et institutionnelle [9].


La définition wébérienne de l’État moderne est sans doute indépassable. Mais, si elle fournit une orientation précieuse, elle n’est pas d’une utilité immédiate lorsqu’il s’agit de faire de l’État l’objet d’une enquête de sciences sociales. La raison en est simple : la définition est formelle et non substantielle. M. Weber s’en explique :

Qu’est-ce donc, du point de vue de l’analyse sociologique, qu’un “groupement politique” ? Qu’est-ce qu’un “État” ? Lui non plus ne se laisse pas définir sociologiquement par le contenu de ce qu’il fait. Il n’y a aucune tâche dont un groupement politique ne se soit chargé à un moment ou à un autre ; il n’y en a aucune non plus, d’autre part, dont on puisse dire qu’elle ait été à toute époque, plus exactement toujours exclusivement propre aux groupements que l’on caractérise comme politiques, aujourd’hui : les États […] [10].

Si la détermination formelle de l’État est ce qui confère à la définition wébérienne sa force, c’est donc au prix d’un contournement du problème analytique que posent à la fois l’étendue et la non spécificité des « tâches » que l’État assume ou est susceptible d’assumer.


Or, enquêter sur l’État dans une perspective sociologique, c’est nécessairement se confronter à ces « tâches ». On a beau écumer les bureaux aux teintes blafardes des administrations qui, de couloir gris en couloir gris, se ressemblent comme la fameuse paire de gouttes d’eau : ce qui intéressera le sociologue, l’anthropologue ou l’historien, c’est moins la forme bureaucratique qu’ils revêtent tous également que les activités aux contenus variables de ceux qui les occupent [11]. De la même manière, lorsqu’on s’attache à connaître la violence dont use l’État, ce n’est pas pour simplement réitérer le constat qu’elle suppose la monopolisation de son usage légitime, mais pour éclairer les manières dont, dans des circonstances précises et sous des conditions spécifiques, elle satisfait (ou non) des critères d’une monopolisation légitime [12].

 Empirisme radical

Ce constat cerne en réalité un obstacle sur lequel bute toute analyse sociologique de l’État : la difficulté de lier empiriquement l’expression d’un principe étatique et la diversité des manifestations étatiques qui s’offrent à l’observation. Tout principe étatique s’énonce sur le mode prédicatif : il est au sens propre une « abstraction » destinée à mettre au jour l’unité de l’État. Les manifestations de l’État sont, quant à elles, hétérogènes, renvoyant à toute l’étendue de ce que fait l’État, de ce qui le fait et de ce dont il est fait : or on sait l’extrême multiplicité de ses modalités d’intervention, de ses objets d’action et de ses moyens institutionnels [13].


La difficulté d’articuler la visée d’une réduction principielle de l’État et l’attention à la multiplicité de ses manifestations est depuis longtemps reconnue comme le problème central de la sociologie de l’État [14]. Il convient d’en prendre la pleine mesure. Car ce problème soulève la question du réalisme dont les sciences sociales se montrent capables à propos d’un objet comme l’État. En effet, l’État ne s’offre jamais en tant que tel à l’observation sur les terrains des anthropologues, au cours des enquêtes des sociologues et dans les archives des historiens : comme le notait Georges Burdeau, il « n’appartient pas à la phénoménologie tangible » [15]. En guise d’État, on n’a toujours accès, justement, qu’à certaines de ses manifestations. Mais tenir ces manifestations pour étatiques, c’est accomplir un pas de plus qui consiste à leur prêter la qualité de valoir pour l’État. Dans les sciences sociales, ce constat a conduit à cristalliser deux positions antagoniques. La première conteste la validité de ce pas supplémentaire et refuse par conséquent de rapporter les manifestations observables de l’État à un principe de réduction, arguant que cela conduirait forcément à imprimer à la réalité un effet d’hypostase. La seconde assume ce pas supplémentaire, au moins tacitement (cas le plus fréquent). Car le fait qu’à travers ces manifestations, c’est bien l’État en tant que tel qui se révèle, serait une donnée de l’expérience : faire comme s’il n’en était rien reviendrait à nier la réalité elle-même.


Ce dilemme ne peut trouver de solution tant qu’on s’en tiendra aux deux positions mutuellement exclusives qui le constituent. Celles-ci, bien qu’elles se revendiquent chacune également d’un réalisme de l’expérience, pèchent en réalité par une forme d’inconséquence empirique en réclamant qu’on les admette à la manière d’un préalable – avant enquête. Le déplacement qu’opère l’approche que nous défendons invite à se défaire de l’alternative dessinée par ces deux positions en faisant de la question qu’elles prétendent avoir déjà résolue un objet d’investigation à part entière. Conférer ou retirer la qualité étatique à des spécificités empiriques appartient en effet à l’ordre des opérations que les agents sociaux accomplissent avec régularité dans leurs activités.


Telle « bavure » est-elle le fait d’un policier à la personnalité fragile ou bien démontre-t-elle la vérité d’un État qui use de la brutalité avec d’autant plus de facilité qu’il bénéfice d’une garantie d’impunité ? Lorsque telle entreprise du CAC 40 enregistre un succès à l’exportation, faut-il en créditer le talent industriel et commercial de ses dirigeants ou bien l’État et la haute administration avec laquelle ces derniers entretiennent des rapports quasi organiques ? Lorsque le président de la République offre une belle réception pour des chefs de gouvernement étrangers, faut-il en conclure que l’État sait honorer ses hôtes ou bien faut-il louer les équipes techniques qui ont permis la réussite de la soirée ? Ce type de questions, dont on pourrait aisément multiplier les exemples, n’appellent, de la part de l’analyste, aucune réponse a priori. Cela conduirait en effet à faire fi d’un constat : que des questions de ce genre sont soulevées en situation par des acteurs sociaux à de nombreuses occasions. Ceux-ci y apportent des réponses différenciées. Ces questions et ces réponses fournissent donc les contenus de processus sociaux qu’il convient d’envisager comme tels. Et l’État, telle est l’hypothèse, se réalise, en tant qu’État, à travers ces processus collectifs et l’empilement qu’ils forment.


Encadré 1 – L’État en sociologie : entre « abandon » et « retour »


Il est frappant d’observer à quel point la sociologie de l’État, une fois qu’elle avait quitté le confort de la « période naïve » de ses débuts, lorsqu’on supposait encore qu’il était possible de traiter de l’État comme tout autre objet sociologique, est devenue l’objet d’un embarras dont le signe le plus visible est le va-et-vient continuel entre deux positions qui entretiennent entre elles un rapport critique.


La première position se caractérise par un abandon de l’État. Elle consiste à traiter l’État au mieux comme une idée ou une croyance, au pire comme une erreur et une méprise. Dans tous les cas, il s’agit de lui dénier toute existence réelle. Cet abandon de l’État parcourt toute l’histoire des sciences sociales, formant un fil qui mène de l’antiétatisme spencérien affirmant le droit pratique et théorique « d’ignorer l’État » jusqu’aux « stateless theories of the state » contemporaines, en passant par la « théorie pluraliste de l’État », en vogue dans les années 1920, et les approches systémofonctionnalistes des années 1950 et 1960. Sur le fond, ces différentes approches partagent l’idée selon laquelle l’établissement d’un lien d’inclusion entre certaines entités tangibles et un État, dont la réalité ne peut être selon elles que postulée, constitue toujours un saut spéculatif qui est incompatible avec les conditions d’élaboration et de validation des connaissances dans les sciences sociales.


La seconde position se révèle, à l’inverse, dans l’exigence d’un retour à l’État. La réaffirmation de l’existence réelle de l’État est alors indexée à son importance comme facteur de façonnement des sociétés. Se constituant en réaction au premier, ce schème parcourt, là encore, toute l’histoire des sciences sociales, depuis les développements néohégéliens de la théorie de l’État au tournant du XXe siècle jusqu’au « stato-centrisme » contemporain tel qu’il est défendu par exemple par Michael Mann, en passant par les approches étatistes de la science politique américaine naissante, les courants néo-wébériens et néo-marxistes, puis les travaux qui se revendiquent du néo-institutionnalisme [16]. Ces différentes approches affirment donc que sans l’hypothèse de la réalité étatique, des pans entiers de la réalité sociale ne pourraient être rendus intelligibles. Dès lors, l’identification de certaines entités tangibles à l’État se révèle comme une nécessité empirique, car en elle réside la possibilité de reconnaître l’État comme le déterminant causal d’un grand nombre de faits sociaux.

 Règles de la méthode

Résumé en quelques mots, voilà qui justifie le sens que nous donnons au projet d’une sociologie des épreuves d’État. Nous voudrions ici esquisser, d’une façon très générale et sans doute encore inaboutie, les contours d’un vocabulaire susceptible de cadrer avec ce projet et mettre en même temps en discussion ce qui peut s’apparenter à des règles de méthode pour mener à bien ce type d’études sociologiques de l’État.


« Épreuves d’État »


Un mot d’abord sur la façon dont on peut entendre la notion pivot d’épreuve d’État. Par ces épreuves, nous visons des séquences qui se détachent de la trame du procès social et qui ont pour caractéristique que l’État y devient l’objet d’une incertitude et d’une scrutation collectives. Ces séquences peuvent être d’une durée, d’une intensité et d’une extension variables. Certaines peuvent être coextensives à des sociétés entières et dessiner des évolutions à dimension historique. D’autres peuvent n’opérer que dans des contextes sociaux confinés et avoir pour effet essentiel non pas une transformation radicale de l’État, mais des glissements progressifs voire même simplement son maintien. Certaines peuvent appeler l’intervention de publics nombreux et variés. D’autres ne retenir l’attention que d’acteurs spécialisés. Certaines peuvent donner lieu à des ébranlements sociaux et politiques importants. D’autres n’apparaître que dans la lumière d’un traitement quasiment routinier.


Dans la mesure où les épreuves d’État sont un outil destiné à permettre de poser sur des données un certain regard – et non de désigner des réalités qui se trouveraient comme telles dans le monde –, l’isolement des séquences qui les constituent doit être envisagé à partir de critères empiriques. Pour prendre quelques exemples récents, les effets de l’ouragan Katrina, l’affaire dite de Karachi, la crise des dettes souveraines ou la controverse sur la sortie du nucléaire peuvent aussi bien être lues comme des épreuves d’État que la mise en œuvre de la RGPP, le nouveau procès de Carlos ou même un arbitrage rendu par un ministre. Il n’y a aucun critère a priori si ce n’est celui-ci : que l’État en tant que tel soit frappé dans ces séquences, à un certain degré, d’indétermination pour des acteurs engagés dans des situations ou des ensembles reliés de situations caractérisées par une unité de temps et de lieu dont la pertinence est indexée aux intérêts de l’enquête [17].


« Manifestations de l’État »


Toutefois, cette indétermination n’est pas abstraite ; elle est toujours relative à un problème, au sens deweyien du terme [18], et aux mobilisations qu’il enclenche. Pour qu’un problème se constitue en épreuve d’État, l’État doit se trouver convoqué par ce problème et se trouver convoqué sous la forme de manifestations spécifiques qui, dès lors, se constituent en foyers de l’épreuve. On voudrait proposer ici de caractériser ces foyers comme des manifestations chaudes de l’État au sens où elles deviennent, collectivement, des objets d’attention et de concernement, se trouvent examinés et manipulés, donnent lieu à des explicitations, appellent des jugements et conduisent, le plus souvent, à l’expression de disputes avant qu’éventuellement un nouvel accord apparaisse.


Il est important, d’un point de vue méthodologique, de souligner une propriété remarquable de cette intensification de l’épreuve et de la focalisation sur ces manifestations chaudes de l’État. Si l’on se place du point de vue d’une épreuve donnée, on est en effet amené à constater un phénomène d’inversion méréologique. Ce phénomène peut être compris de la façon suivante : alors que l’État, comme totalité, est réputé englober ses manifestations particulières, dans l’épreuve, l’État vient à se concentrer dans ces manifestations. Non pas l’État dans sa totalité, mais bien l’État en tant que tel qui, dans l’accomplissement de l’épreuve, apparaît comme contenu par l’épreuve. La qualité d’État – au sens de ce que la langue allemande permet d’exprimer grâce au mot Staatlichkeit – se trouve alors toute entière encapsulée, le temps de l’épreuve et relativement à l’épreuve, dans les manifestations de l’État qui en sont les foyers. Pour le dire autrement encore : la réponse à la question « qu’est-ce que l’État ? » dépend, dans l’épreuve, de ces discontinuités qui le rendent manifestes.


La focalisation sur les manifestations de l’État dans l’épreuve donne lieu à des reconfigurations allant dans le sens des contraintes qui se sont collectivement exprimées pour que ces manifestations puissent réclamer leur qualité d’État. Le critère de légitimité auquel M. Weber attache avec raison tant d’importance joue ici un rôle central. À mesure que les manifestations de l’État, par les modifications qui les affectent, se voient reconnues comme légitimes, la question de l’État tend à se dé-problématiser : l’épreuve s’achemine alors vers sa clôture et les manifestations de l’État tendent à refroidir. Il se produit alors, les concernant, une normalisation méréologique : les manifestations de l’État telles qu’elles sont apparues et telles qu’elles ont été configurées durant une épreuve ne peuvent plus, une fois saisies hors épreuve, englober l’État ; au contraire, elles rentrent dans le rang et prennent leur place dans une totalité étatique qui, désormais, les dépasse et dont elles seront réputées former un aspect ou une partie. Le fait même qu’elles manifestent l’État devient alors transparent : il s’agit d’une évidence qui est maintenant partagée si bien que le relever pour soi ou pour autrui serait une redondance susceptible d’apparaître comme une incongruité.


Encadré 2 – Un usage particulier de la notion d’épreuve


L’usage que nous faisons ici de la notion d’épreuve se distingue de la plupart des usages courants. Si au sens strict, notre usage nous paraît fidèle au moins à la lettre de la définition proposée par Bruno Latour (rappelée en exergue de cet avant-propos), il s’écarte de celui qu’on trouve dans les travaux de Luc Boltanski et de ceux qui s’inscrivent dans leur ligne, qui tendent à en faire une notion pour décrire des configurations situées (un jugement public, un examen scolaire, une inscription comptable, etc.) [19]. Or, la notion d’épreuve d’État, telle que nous l’entendons, se rapproche bien plus de notions désignant des formes plus macrosociologiques qui ont également été beaucoup travaillées dans la sociologie pragmatique, telles que les controverses, les affaires ou les scandales [20]. Justement, les épreuves d’État peuvent très bien correspondre à des controverses, des affaires et des scandales. Mais elles peuvent également correspondre à d’autres formes telles que des crises, des réformes, des enquêtes, des émeutes, des guerres civiles, etc. La notion d’épreuve d’État, même si l’expression est peut-être malheureuse au regard des travaux existants, doit donc être comprise comme un générique, susceptible d’englober différents types d’effervescence collective dans lesquels l’État se constitue en problème.

« Mémoire des épreuves »


Les manifestations de l’État, dans la forme dans laquelle elles se stabilisent, gardent la trace des épreuves dans lesquelles elles ont été configurées ou reconfigurées : elles forment ainsi une mémoire des épreuves. C’est cet effet de mémoire qui rend à la fois évident et transparent le caractère étatique de ces manifestations froides qui fournissent maintenant des points d’appuis conventionnels pour désigner l’État [21]. Cette mémoire prend un tour technique lorsqu’elle s’inscrit dans les plis matériels des dispositifs, des objets, des fonctions, des organisations, des instruments de l’État dans lesquels se sont ancrées les contraintes qui, relativement à la question de l’État, ont été explicitées dans les épreuves qui les ont forgées [22]. Le droit et ses spécifications jouent aussi, souvent, le rôle d’espace d’inscription de la mémoire des épreuves [23]. Mais, plus généralement, cette mémoire est également véhiculée par des séries d’énoncés qui peuvent être de nature très hétérogène, prendre la forme non seulement de règles juridiques formelles, mais aussi de préceptes, d’instructions, de démonstrations, de doctrines, de systèmes ou de théories. Ces énoncés synthétisent l’expérience de l’épreuve, mais en même temps, peuvent s’en abstraire et construire des ponts avec l’expérience d’autres épreuves jusqu’à donner lieu à la formulation de ce que nous avons appelé plus haut des principes étatiques qui prétendent à validité générale (à l’image de la définition wébérienne elle-même).

 L’unité au pluriel

Étudier l’État dans la succession de ses épreuves, c’est accepter la maxime de John Dewey selon laquelle « l’expérience doit toujours être reprise ; l’État doit toujours être redécouvert » [24]. En ce sens l’approche qui vient d’être esquissée peut effectivement se réclamer du pragmatisme. Elle le peut d’autant plus facilement qu’elle tente également de tirer profit de l’appel de William James à un « empirisme radical », qui étendrait son domaine des seules entités aux relations qu’elles entretiennent [25] : c’est bien ce qui justifie l’intérêt pour les manifestations de l’État en tant qu’elles portent dans l’expérience elle-même le rapport entre des « choses » et l’État en tant que tel, qui, sans cela, resterait une idée nue, dépourvue de toute confirmation dans l’expérience, alors qu’on aura compris qu’il nous semble qu’il convient de la traiter comme une idée réelle au sens où, justement, elle trouve des confirmations dans l’expérience.


Toutefois, l’approche défendue s’éloigne sur une question essentielle de la pensée pragmatiste du politique, en tout cas dans la version portée par J. Dewey. Ce dernier adopte en effet une attitude critique à l’égard des théories de l’État qu’il qualifie de « monistes ». Par-là, il vise des pans entiers de la pensée politique dans lesquels il identifie un entêtement à traiter l’État comme une « unité englobante et régulatrice » [26]. Il se rapproche ainsi, comme il le reconnaît lui-même, de la « conception pluraliste de l’État » [27]. Or, cette conception pluraliste de l’État, très en vogue dans les départements universitaires anglo-saxons dans les années 1920, poursuit explicitement l’objectif d’établir en théorie la possibilité de se défaire de l’idée de l’État, qu’elle juge fausse, et d’éradiquer les effets délétères qu’elle est supposée produire sur la réalité.


Encadré 3 – Construction sociale de l’État ?


En quoi l’approche par les épreuves d’État se différencie-t-elle du socio-constructivisme ? La question mérite d’autant plus d’être posée qu’elle partage avec lui une caractéristique commune : dans les deux cas, l’État est objectivé comme le résultat de processus sociaux. Pour éclairer la distance qui néanmoins sépare les deux types d’approches, considérons la position de Pierre Bourdieu qui propose sans doute la version la plus sophistiquée d’une approche socio-constructiviste de l’État. Voici la définition de l’État qui constitue le point de départ de son raisonnement : « L’État est un X (à déterminer) qui revendique avec succès le monopole de l’usage légitime de la violence physique et symbolique sur un territoire déterminé et sur l’ensemble de la population correspondante » [28].


On remarquera sans mal que cette formulation calque celle de M. Weber. Mais elle présente, par rapport à cette dernière, deux spécificités. Tout d’abord, elle adjoint à la revendication de l’usage légitime de la violence physique celle de l’usage légitime de la violence symbolique. Ensuite, elle ne définit pas l’État comme une « entreprise politique à caractère institutionnelle ». À la place de cette forme déterminée, on trouve un placeholder énigmatique : l’État serait un « X (à déterminer) ». Il convient de comprendre que ces deux modifications entretiennent un lien logique qui est au cœur de la compréhension bourdieusienne de l’État. En effet, la détermination du « X » qu’est l’État n’incombe pas, ne doit pas incomber au sociologue : ce « X » se détermine dans les luttes pour la définition légitime de l’État ; il est l’enjeu des luttes symboliques pour et autour de l’État et la résultante de l’usage de la violence symbolique. On comprend pourquoi le sociologue se doit de refuser de dire cette réalité étatique : en s’adonnant au jeu de la « pensée d’État » il prendrait le risque de participer à cette violence symbolique et, ce faisant, de « méconnaître la vérité fondamentale de l’État » [29].


L’approche que nous défendons se place sous le sceau du déplacement opéré par P. Bourdieu par rapport à Weber : les définitions, les savoirs, les théories relatives à l’État fournissent les contenus de ce qu’une sociologie de l’État est amenée à étudier. Mais, pour P. Bourdieu, l’imposition des représentations légitimes de l’État est assimilée à l’exercice d’une violence symbolique dont le succès est indexé à la possession, par ceux qui l’exercent, de cette espèce particulière de capital symbolique qu’il nomme le capital étatique. Par conséquent, la réalité sous laquelle l’État se présente à nous se joue dans un rapport de force social. Sans nier la distribution différentielle du pouvoir de définition, une approche pragmatiste de l’État attache de l’importance aux choses elles-mêmes [30], telles qu’elles se rendent réelles dans les épreuves. Considérer que les choses contribuent à déterminer ce qu’il est possible d’en dire permet d’éviter de se laisser glisser sur la pente relativiste (un risque qui n’est pas à exclure si l’on admet jusqu’à ses conséquences la voie ouverte par P. Bourdieu) ou alors de se laisser aller au « charcutage ontologique » [31] (ce qui est le cas de P. Bourdieu lorsqu’il fait entrer par la petite porte, avec des notions de « capital étatique » et d’« esprits d’État », une caractérisation sociologiquement « vraie » de l’État).

Dans cet esprit, les théories de l’État doivent être abandonnées au profit d’une pensée du pluralisme des groupes ou des publics. Mais l’abandon des théories de l’État signifie l’abandon de l’État lui-même : le terme ne désigne plus alors qu’une association particulière chargée de certaines fonctions de coordination – et non plus ce qui est pourtant inscrit dans sa signification : l’unité d’un collectif politique [32].


En procédant de la sorte, on nie la possibilité même que l’on puisse faire l’expérience de l’unité politique. Or c’est précisément de cela qu’il s’agit dans les épreuves d’État : l’unité s’y éprouve, non pas de façon abstraite, non pas comme si elle était toujours déjà donnée, mais justement comme ce qui se rend à l’expérience dans le contexte particulier d’une épreuve et relativement à cette épreuve. Ce point de vue peut négliger de promouvoir l’alternative pluraliste face à un monisme erroné. Il permet d’élargir le pluralisme en envisageant un pluralisme de l’unité. Si l’on admet ce déplacement, les théories « monistes » de l’État ne peuvent être considérées comme « fausses » : il suffit de les comprendre, dans leur diversité, comme le signe de différentes manières de tirer des conclusions d’une variété d’expériences de l’unité.

 « Généraliser Weber » : un point de vue plurigénétique sur la construction de l’État

Cette démarche a une vertu supplémentaire : elle permet de renouer avec une véritable sociologie historique de l’État. Pour le montrer, revenons à la définition wébérienne de l’État et soulignons-en une caractéristique qui n’a jusqu’ici que peu retenu l’attention. En posant qu’il n’y a d’État que lorsqu’il « revendique avec succès […] le monopole de la contrainte physique légitime », la définition proposée par M. Weber rapporte la réalité de l’État à une performance. Ce constat laisse entrevoir un plan de convergence entre la conception wébérienne de l’État et celle qu’implique la catégorie d’épreuve d’État. Si on admet qu’une définition a pour objet de dire la réalité d’un phénomène, il apparaît en effet que celle que M. Weber donne de l’État indexe la réalité de l’État précisément à ce que nous appelons ici une épreuve : un accomplissement qui peut réussir ou échouer. Le problème est que cette épreuve relève d’un type unique – il s’agit toujours d’une revendication du monopole de la contrainte physique légitime – subie par une entité à l’identité stable – il s’agit toujours d’une « entreprise à caractère institutionnel ».


Si cette réduction ignore, comme M. Weber l’admet, la multiplicité des manifestations de l’État, la mise au jour de la structure sous-jacente à la définition wébérienne indique pourtant le véritable sens de notre démarche : généraliser le point de vue wébérien, et notamment sous l’aspect souligné d’entrée qui relie l’expérience ordinaire de l’État à son expérience limite via une performance, mais en posant un pluralisme des épreuves. En d’autres termes, il s’agit de décrire comment, à travers une pluralité d’expériences limites (les épreuves d’État), s’engendre une diversité de formes (les manifestations de l’État) susceptibles de rendre compte des expériences que nous sommes amenés à faire de l’État. L’avantage de cet élargissement réside, on le voit, dans la possibilité de ne pas avoir à dissocier la réalité de l’État de l’étendue de ses « tâches » et de pouvoir traduire, sur le plan conceptuel, ce fait élémentaire : l’État ne se limite pas à l’alliance de la circulaire et de la matraque.


De là, une dernière conséquence : l’approche défendue conduit à reconsidérer la question de la sociogenèse de l’État. Pour le dire d’un mot, les théories disponibles présentent un défaut similaire à celui que nous avons constaté à propos de la définition wébérienne de l’État : elles sont monogénétiques. En simplifiant, elles reposent sur le schème suivant : l’État étant devenu au cours de son histoire une entité si complexe qu’elle en devient difficile à appréhender, il convient de se simplifier la tâche en remontant à un moment initial qui permette de mettre en lumière un petit nombre d’éléments qui caractériseraient la réalité de l’État dès sa naissance et qui, par un effet d’inertie, resteraient valables ultérieurement. Ce mode de raisonnement se condamne ainsi à endosser un postulat de maintien dans le temps, un postulat de reproduction de l’État. C’est le cas, en effet, du « monopole de la violence légitime » qui caractérise l’État tant qu’il peut le « revendiquer avec succès ». À ce titre, il n’y aurait d’une certaine manière rien à apprendre de l’histoire de l’État si ce n’est que s’y réitère avec régularité une même et unique épreuve.


Pourtant, on sait l’ampleur des transformations que l’État a subie au cours de son histoire (quoi de commun entre l’État absolutiste et l’État industriel, entre l’État libéral et l’État providence ?). L’approche par les épreuves d’État permet justement d’en tenir compte en considérant la construction de l’État comme l’enchevêtrement d’une multiplicité d’épreuves de nature différente et échelonnées dans le temps. Elle installe ainsi la possibilité de penser l’histoire de l’État comme un phénomène plurigénétique : une suite de nombreuses « petites genèses » qui s’imbriquent et s’empilent de telle sorte que l’agencement étatique tel qu’il se présente à un moment donné apparaît comme un composé historique dans lequel sont amalgamées des temporalités très différentes, comme le feuilleté provisoire des mémoires générées par ces multiples genèses. Dès lors, comprendre l’État revient d’abord à le déplier en ramenant chacune des manifestations de l’État aux épreuves au cours desquelles elle a été configurée.

 Conclusion : l’exception à froid

Que nous soit permise, en guise de conclusion, une dernière remarque. Le lecteur pourrait être tenté de rapprocher la notion d’épreuve d’État d’un ensemble d’énoncés, très en vogue aujourd’hui, tendant à voir dans les accomplissements actuels de l’État la marque d’un État d’exception rendu permanent [33]. En un certain sens, un tel rapprochement peut ne pas apparaître absurde, surtout lorsqu’on se souvient que le point de rencontre entre la pensée politique de M. Weber et celles d’un Carl Schmitt ou d’un Walter Benjamin réside bien dans leur prétention à faire preuve de réalisme [34]. Or, c’est bien ce qu’il convient de voir également dans l’approche par les épreuves d’État en ce qu’elle se revendique comme un dépassement réaliste du constructivisme (pour être pompeux : elle est un post-constructivisme néoréaliste).


Si donc la notion d’épreuve d’État reconduit une façon de concevoir l’institution de l’État depuis des moments que l’on peut dire d’exception, il n’en reste pourtant pas moins qu’elle veut se débarrasser de certaines des apories qui caractérisent les réflexions autour de l’État d’exception, qui semblent plus déterminées par l’urgence politique que par le regard analytique. Ainsi, par exemple, l’idée selon laquelle l’exception serait rendue permanente ne nous semble pas, analytiquement, convaincante. Il en va de même de l’idée connexe selon laquelle l’ordre juridique se réaliserait dans sa suspension. Le charme que ces paradoxes peuvent exercer sur l’esprit procède d’énoncés qui, au sens strict, sont des contradictions logiques [35]. Dès lors, elles brouillent les pistes plutôt qu’elles ne contribuent à l’intelligence des situations. Plus fondamentalement encore, elles reposent, selon nous, sur une idée erronée : qu’un ordre dont la normativité se verrait respectée en toute circonstance serait une garantie pour la qualité de la vie qui s’y déroule. Or les dispositifs visés par les analyses qui opèrent avec la notion d’exception ne suspendent pas, en permanence, l’ordre normatif : ils tendent à s’institutionnaliser et à pérenniser un certain ordre en l’inscrivant dans le droit. Cela ne les rend pas moins critiquables. Cela est même plus inquiétant. Mais pour que la critique soit effective, le diagnostic doit être juste : c’est la condition pour que la critique puisse engendrer de bonnes épreuves.


Après ces développements théoriques, les quatre contributions qui composent le dossier permettront de donner un appui empirique aux arguments jusqu’ici avancés. Chacune d’entre elles aborde un cas particulier d’épreuve ou de suite d’épreuves et le soumet à un examen approfondi. En outre, elles s’installent toutes sur un terrain qu’on pourrait dire wébérien puisqu’elles traitent de situations de violence dans lesquelles la légitimité de la force de l’État se constitue en problème. À un premier niveau, elles confirment le point de vue wébérien selon lequel l’État s’affirme en « revendiquant avec succès son monopole de la violence légitime ». Mais, à un second niveau, par la plongée dans le cœur des épreuves, elles documentent les voies à chaque fois singulières par lesquelles l’État se réalise à travers des activités, des dispositifs et des événements propres à chaque épreuve ou ensemble d’épreuves. Si la violence légitime est le « moyen spécifique » de l’État, elles montrent ainsi que ce « moyen » gagne lui-même à être envisagé dans la pluralité de ses manifestations qui n’ont de sens que relativement aux épreuves dans lesquelles elles se déploient.


Deborah Puccio-Den nous offre une étude de l’épreuve qu’a constituée, en Italie, la lutte contre la mafia. Elle suit le développement de cette épreuve à travers l’affaire Impastato, du nom d’un jeune militant d’extrême gauche, mort au milieu des années 1970 dans un attentat dans la ville sicilienne de Cinisi. L’affaire donne lieu à une longue suite de mobilisations, de scandales et de procès qui décrivent, sur une trentaine d’années, les transformations profondes subies par l’État italien et le rapport que les citoyens entretiennent avec lui. Dans un premier temps, l’État se manifeste dans son rapport de collusion avec l’association mafieuse Cosa Nostra : des carabiniers corrompus qui bâclent leurs enquêtes et les concluent dans le sens voulu, des juges qui ne condamnent jamais les mafieux, des municipalités gangrenées par la puissance du syndicat du crime, le tout baigné dans l’omerta. Dans ce contexte, l’affaire Impastato est d’abord purement et simplement classée : il s’agirait du pathétique attentat suicide d’un terroriste. C’est sans compter sur la mobilisation de la famille et de militants de l’antimafia qui dénoncent la situation et accusent la mafia d’avoir assassiné le militant. Cette mobilisation rencontre le soutien d’acteurs qui, à l’intérieur d’un État qu’ils considèrent discrédité, s’engagent dans sa transformation. Cet État commence alors à se manifester sous de toutes autres formes : des juges décidés à confronter la mafia au péril de leur vie, des représentants prêts à voter les lois susceptibles d’armer cette lutte (comme la loi sur les repentis), de nouveaux dispositifs tels que les pools antimafia ou des opérations spectaculaires telles que Mani pulite. Progressivement, l’État regagne, dans sa lutte contre la mafia, une nouvelle légitimité et obtient le soutien de la population pour la cause antimafia. Se dessine ainsi un nouveau visage de l’État italien qui, à terme, a rendu possible le renversement de l’énoncé « Giuseppe Impastato est un terroriste » en l’énoncé « Giuseppe Impastato est la victime du terrorisme de la mafia ».


L’étude présentée par Paul Jobin s’inscrit elle-aussi dans un cadre stato-national. Elle porte sur les transformations de l’État japonais, envisagées depuis les épreuves que constituent de grands accidents et crises sanitaires et industriels (Minamata, Fukushima, Sennan). Un point commun réunit ces épreuves : elles concernent des industries placées sous le sceau de l’État et manifestent à ce titre une figure historique de l’État japonais, l’État industriel dont le puissant MITI est le symbole et l’« État développeur », le dernier avatar. Dès lors l’existence de victimes, mise au jour notamment par les enquêtes épidémiologiques, devient le moment d’une mise en accusation de l’État qui prend la forme d’importantes mobilisations et de retentissants procès. Ces processus amènent l’État à se manifester autrement. Par exemple via la mise en place de dispositifs d’indemnisation des victimes. L’État en vient également à être pensé différemment en amendant le projet de développement industriel par l’introduction de logiques écologiques et démocratiques. Reste de ces épreuves un problème non résolu, celui de sa responsabilité à l’égard des victimes – un problème dont il est probable qu’il soit relancé par l’épreuve ouverte par la catastrophe de Fukushima.


Dans sa contribution, Élisabeth Claverie nous guide dans les replis d’une scène particulière, complexe, peuplée de spécialistes pointus : les cours pénales internationales dans lesquelles s’élaborent aujourd’hui les procédures capables de juger les auteurs de crimes de masse. Ces crimes ont pour caractéristiques d’être le plus souvent accomplis dans le cadre et avec les moyens de ce qui, sur la scène internationale, se présente comme un État. Or, un État ne peut être jugé par une cour pénale, pas plus qu’un chef ou même un agent de cet État ne peut y être jugé ès qualité. Le dilemme des procureurs et des juges et de leurs équipes est bien celui-ci : comment juger les responsables de crimes collectifs d’une brutalité et d’une ampleur inouïes qui se réclament de l’autorité légitime d’un État souverain ? De deux choses l’une : ou bien on se centre sur l’individu privé et ses actes immédiats, sans considérer qu’il a participé et contribué à un crime organisé à grande échelle, mais alors il est impossible de le rendre comptable de cette contribution à une organisation industrielle de la mort ; ou bien on tient compte du caractère organisé du crime, mais on bute sur le caractère protecteur de l’État qui vient se superposer à cette organisation. Élisabeth Claverie montre comment ce dilemme a été résolu par l’élaboration d’une nouvelle catégorie juridique : « l’entreprise criminelle collective ». Le travail de catégorisation juridique consiste à définir les critères qui permettent de distinguer une entreprise criminelle collective d’un État bien qu’elle apparaisse a priori se confondre avec lui. L’entreprise criminelle apparaît alors comme un État déclassé. Et à ce titre il n’en est plus un, ce qui permet que ses responsables et ses agents soient jugés puisqu’ils ne peuvent plus se réclamer de la protection qu’il offre. D’un point de vue théorique, le cas analysé par Élisabeth Claverie est précieux en ce qu’il ouvre la perspective de la prise en considération d’épreuves d’État négatives [36]. Dans les cours pénales internationales s’énonce en effet, avec l’élaboration de la catégorie d’entreprise criminelle collective, la forme dans laquelle un État ne peut pas se manifester : celle d’une organisation assassinant et violant en masse des catégories entières de sa population.


Avec l’article de Cédric Moreau de Bellaing, les épreuves d’État envisagées changent d’échelle et de nature. L’analyse porte sur le traitement par l’Inspection générale des services des fautes commises par des policiers. Elle démontre comment dans chacun de ces dossiers se rejoue d’une façon spécifique la question de la légitimité de la force publique et de l’État. Le résultat n’est pas dans ce cas une transformation spectaculaire, mais le maintien, à travers chacune des affaires et la série qu’elles forment, d’une certaine figure de l’État et de sa police. C’est la raison pour laquelle Cédric Moreau de Bellaing introduit une distinction importante : il différencie les épreuves d’État proprement dites de ce qu’il appelle des épreuves dans l’État, suggérant ainsi la possibilité d’une extension et d’un approfondissement de l’approche par les épreuves d’État : en appliquant la notion d’épreuve à des événements de faible envergure, opérant en flux continu dans les entrailles des bureaucraties modernes, on est amené à admettre que les situations qui nous paraissent les plus routinières sont en réalité faites d’une suite continue de petites épreuves qui permettent, par les micro-ajustements qu’elles opèrent, d’entretenir les manifestations de l’État dans le cadre des contraintes qui lui ont été imprimées, et en rendant du même coup ces contraintes descriptibles dans l’expérience.

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Notes

[1Bruno Latour, Les microbes : guerre et paix, suivi de Irréductions, Paris, Métailié, 1984, p. 244.

[2Max Weber, Économie et Société, t. 1 : Les catégories de la sociologie, Paris, Plon, 1971 [1920], p. 97 (soulignements dans l’original).

[3On traduit par-là l’expression « politischer Anstaltsbetrieb » dont l’origine dans le droit canon appellerait à elle seule de longs commentaires. Sur cette question, voir Siegfried Hermes, « Der Staat als “Anstalt” : Max Webers soziologische Begriffsbildung im Kontext der Rechts- und Staatswissenschaften », in Klaus Licht-Blau (dir.), Max Webers « Grundbegriffe » : Kategorien der kultur- und sozialwissenschaftlichen Forschung, Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2006, p. 184-216.

[4Voir Stephen Kalberg, Les idées, les valeurs et les intérêts. Introduction à la sociologie de Max Weber, traduit par Philippe Chanial, Paris, La Découverte, 2010.

[5Hubert Treiber, « Moderner Staat und moderne Bürokratie bei Max Weber », in Andreas Anter, Stefan Breuer (dir.), Max Webers Staatssoziologie : Positionen und Perspektiven, Baden-Baden, Nomos Verlagsgesellschaft, 2007, p. 121-155.

[6Il faut faire l’hypothèse que, chez M. Weber, le lien entre la bureaucratisation de l’administration et la monopolisation de la violence n’est pas d’ordre logique mais d’ordre historique : le pouvoir des fonctionnaires découle de l’instauration du rapport de domination qui s’est initialement installée par les armes, les nouveaux maîtres s’accaparant par la voie du « monopole de la violence » un « monopole des offices (Ämtermonopol) » qui, progressivement, par la transformation de la force en droit, se passe du recours à la violence sans, pour autant, suspendre l’éventualité du recours à la violence.

[7Max Weber, Le savant et le politique : une nouvelle traduction, traduit par Catherine Colliot-Thélène, Paris, La Découverte, 2003 [1919], p. 118 (soulignement dans l’original).

[8Carl Schmitt, Théologie politique. 1922, 1969, traduit par Jean-Louis Schlegel, Paris, Gallimard, 1988, p. 15.

[9On ajoutera qu’elle est aussi ce qui donne à l’État sa détermination proprement politique.

[10Max Weber, Le savant et le politique…, op. cit. (soulignement dans l’original).

[11C’est bien cet intérêt-là qui se trouve à l’origine du développement des recherches sur l’action publique, sur ce qu’on a dit, un temps, appartenir à « l’État au concret » (J.-G. Padioleau) ou encore à « l’État en action » (B. Jobert, P. Muller). Or, c’est de ces travaux et de leurs développements qu’émergent aujourd’hui de nouveaux questionnements relatifs à la sociologie de l’État et de ses transformations. Voir Desmond King, Patrick Le Galès, « Sociologie de l’État en recomposition », Revue française de sociologie, vol. 52, n° 3, 2011, p. 453-480.

[12Voir Cédric Moreau de Bellaing, « Enquêter sur la violence légitime », La Vie des idées, 21 mars 2011, http://www.laviedesidees.fr/Enqueter-sur-la-violence-legitime.html.

[13C’est ainsi qu’il convient de comprendre l’importance que certaines théories sociologiques de l’État accordent aux fonctions étatiques : comme une volonté de saisir l’État dans sa complexité interne. On sait en effet que cette notion a servi à la sociologie américaine de l’après-guerre comme cheval de bataille pour disqualifier les conceptions souverainistes de l’État (auxquelles peut être rattachée la définition de M. Weber). La « notion limite » de la violence légitime a explicitement été critiquée comme une « notion limitante » (« limiting concept ») parce que, justement, elle ne prend pas en compte la pluralité des manifestations de l’État (voir à ce propos, J. P. Nettl, « The State as a Conceptual Variable », World Politics, 1968, vol. 20, n° 4, p. 559-592). On ajoutera toutefois qu’avec la notion de manifestation, nous ne visons pas un retour au fonctionnalisme : la catégorie de manifestation se conçoit à la fois comme plus ouverte et comme moins spécifique que la catégorie de fonction, en incluant toute forme, de quelque nature qu’elle soit, qui dans des situations réelles se rend descriptible comme étant de qualité étatique

[14Pour s’en tenir à quelques contributions relativement récentes : Philip Abrams, « Notes on the Difficulty of Studying the State », Journal of Historical Sociology, vol. 1, n° 1, 1988, p. 58-89 ; Bob Jessop, « Bringing the State Back In (Yet Again) : Reviews, Re-visions, Rejections, and Redirections », International Review of Sociology, vol. 11, n° 2, 2001, p. 149-173 ; Oleg Kharkhordine, « What is the State ? The Russian Concept of Gosudarstvo in the European Context », History and Theory, vol. 40, n° 2, 2001, p. 206-240 ; Dominique Linhardt, « L’État et ses épreuves. Éléments d’une sociologie des agencements étatiques », Clio@Themis, n° 1, 2009 ; Peter Miller, Niklas Rose, « Political Power Beyond the State : Problematics of Government », British Journal of Sociology, vol. 43, n° 2, 1992, p. 173-205 ; Timothy Mitchell, « The Limits of the State : Beyond Statist Approaches and Their Critics », American Political Science Review, vol. 85, n° 1, 1991, p. 77-96.

[15Georges Burdeau, L’État, Paris, éd. du Seuil, 1970, p. 14.

[16À l’origine duquel se trouve un ouvrage qui a connu beaucoup de succès et porte un titre caractéristique : Dieter Rueschemeyer, Theda Skocpol, Peter Evans (eds.), Bringing the State Back In, Cambridge, Cambridge University Press, 1985.

[17Les épreuves peuvent être ainsi comprises comme des « drames », si on entend le terme comme Gabriel Tarde : « L’histoire, à analyser de près, se décompose en véritables drames tout faits, mais entrelacés et noués entre eux, que l’art de l’historien doit dégager comme l’art du dramaturge a le droit de les reproduire en les accentuant. [...)] Mais, un drame, est-ce autre chose qu’un nœud suivi d’un dénouement, une question suivie d’une réponse, la solution d’un problème ? » (Gabriel Tarde, Les transformations du pouvoir, Paris, Les empêcheurs de penser en rond-Seuil, 2003 [1899], p. 43). On soulignera la correspondance entre l’art du dramaturge évoqué par Tarde et le travail du sociologue qui, lui aussi, doit « dégager » les épreuves du tissu continue de l’histoire en train de se faire, quitte à en accentuer les traits.

[18Pour retracer les évolutions que Luc Boltanski a imprimées, avec d’autres, à la notion d’épreuve, il faut se reporter à ces trois ouvrages : Luc Boltanski, Laurent Thévenot, De la justification, Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991 ; Luc Boltanski, Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, Luc Boltanski, De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard, 2009.

[19John Dewey, Œuvres philosophiques, t. II : Le public et ses problèmes, traduit par Joëlle Zask, Pau-Tours-Paris, Publications de l’Université de Pau-Léo Scheer, 2003 [1927].

[20Pour les affaires et les scandales, voir par exemple Luc Boltanski, Élisabeth Claverie, Nicolas Offenstadt, Stéphane Van Damme (dir.), Affaires, scandales et grandes causes. De Socrate à Pinochet, Paris, Stock, 2007. Pour les controverses, voir par exemple Bruno Latour, Changer de société – refaire de la sociologie, Paris, La Découverte, 2006.

[21À ce titre, ce moment témoigne de la force proprement instituante des épreuves d’état. Ce point de l’analyse entretient un écho manifeste avec la manière dont Virginie Tournay rend compte de la naissance des institutions des flux de la matière sociale. Voir Virginie Tournay, Vie et mort des agencements sociaux. De l’origine des institutions, Paris, Presses universitaires de France, 2009.

[22On peut prendre ici l’exemple du bel article d’Alain Desrosières dans lequel il relie, dans leur progression historique, des conceptions de l’intervention légitime de l’État à des techniques statistiques. Mais que ces techniques puissent exprimer des conceptions de l’État indique que les dernières ont été inscrites dans les secondes dans les épreuves dans lesquelles elles ont été configurées. Voir Alain Desrosières, « Historiciser l’action publique : l’état, le marché et les statistiques », in Pascale Laborier, Danny Trom (dir.), Historicités de l’action publique, Paris, Presses universitaires de France, 2003, p. 207-221.

[23Pour une version juridique du droit parfaitement compatible avec une approche sociologique des épreuves d’État, voir Pierre Moor, Pour une théorie micropolitique du droit, Paris, Presses universitaires de France, 2006.

[24John Dewey, Le public et ses problèmes, op. cit., p. 75.

[25William James, Essais d’empirisme radical, trad. et prés. par Guillaume Garreta et Mathias Girel, Paris, Agone, 2005. On ignorera ici l’affirmation de W. James selon laquelle pragmatisme et empirisme radical peuvent être entièrement dissociés, l’un pouvant être admis sans admettre l’autre.

[26John Dewey, Le public et ses problèmes, op. cit., p. 79.

[27Ibid., p. 102.

[28Pierre Bourdieu, « Esprits d’état. Genèse et structure du champ bureaucratique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 96-97, 1993, p. 51 (soulignement dans l’original).

[29Ibid., p. 49.

[30Voir Bruno Latour, « When Things Strike Back : a Possible Contribution of “Science Studies” to the Social Sciences », British Journal of Sociology, vol. 51, n° 1, 2000, p. 107-123.

[31Steve Woolgar, Dorothy Pawluch, « Ontological Gerrymandering : The Anatomy of Social Problems Explanations », Social Problems, vol. 32, n° 3, 1985, p. 214-227.

[32Sur cette question, voir Dominique Linhardt, « L’embarras de la sociologie avec l’état. Groupes sociaux et collectifs politiques au prisme de l’argument pluraliste », in Laurence Kaufmann, Danny Trom (dir.), Qu’est-ce qu’un collectif ? Du commun au politique, Paris, éd. de l’école des hautes études en sciences sociales, 2010 (« Raisons pratiques », n° 20), p. 295-329.

[33Pour un inventaire utile et un bilan provisoire, voir Samuel Hayat, Lucie Tangy, « Exception(s) », Tracés, n° 20, 2011, p. 5-27.

[34Voir Wolfgang J. Mommsen, Max Weber und die deutsche Politik 1890-1920, Tübingen, Mohr (Siebeck), 1959.

[35Par exemple : « L’exception est le dispositif original grâce auquel le droit se réfère à la vie et l’inclut en lui du fait même de sa propre suspension. » – Giorgio Agamben, Homo sacer, t. II : L’État d’exception, Paris, éd. du Seuil, 2003, p. 10.

[36Une catégorie qu’on peut retrouver dans des contextes de nature très différente, par exemple dans celui de la réforme de la LOLF en France depuis 2001. Voir Dominique Linhardt, Fabian Muniesa, « Du ministère à l’agence. Étude d’un processus d’altération politique », Politix, n° 95, 2011, p. 73-102.

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