Sous l’égide du CEREG – Université Paris 3
Maison de la Recherche
4 rue des Irlandais, 75005 PARIS
Lundi 4 juin 2012
Entrée libre dans la limite des places disponibles
Un intérêt croissant pour les questions rythmiques se manifeste dans de nombreuses disciplines des sciences de l’homme et de la société, ainsi qu’en philosophie et dans certaines sciences de la nature. Une mutation qui pourrait transformer durablement la scène intellectuelle semble sur le point de se produire. Cette première journée d’études RHUTHMOS sera l’occasion de faire un premier bilan de ces transformations et de poser les bases d’une collaboration plus systématique entre les disciplines concernées.
9h00 – Pierre Sauvanet : « “Rythme” ou “rythmes” ? Comment la question du singulier ou du pluriel oriente a priori toute recherche rythmanalytique »
Depuis une vingtaine d’années maintenant, nous menons une recherche en philosophie et en esthétique, afin de défendre une approche philosophique des phénomènes rythmiques. Ce nécessaire pluriel, qui est le temps de l’approche empirique (et pratique), exige aussi la construction d’un concept paradoxal (et combinatoire) de rythme au singulier. C’est ce point de vue philosophique qu’il faudra expliciter (littéralement : “déplier”, “mettre à plat”), en espérant beaucoup de l’échange avec d’autres hypothèses, et de la discussion à venir...
9h30 – Olivier Hanse : « La Lebensreform et son utilisation du concept de rythme »
Notre contribution donnera un aperçu de la vogue connue par le concept de rythme dans les milieux réactionnaires-progressistes du tournant du siècle en Allemagne. Elle s’attachera, dans une perspective d’histoire des concepts, à définir les articulations qui ont existé entre théoriciens (Steiner, Klages, Wundt, etc.) et projets réformistes (écoles de danse, etc.) et interrogera les motivations collectives des tentatives de fonder une véritable « éthique du rythme » en réaction aux modèles dominants.
10h00 – Clémence Couturier-Heinrich : « Technicité et émancipation. Le terme rythme en Allemagne des années 1760 aux années 1820 »
Parallèlement à son emploi dans le vocabulaire médical, attesté dès la première moitié du XVIIIe siècle, le mot rythme est apparu au milieu des années 1760 en Allemagne dans la théorie des arts du déroulement dans le temps ou arts diachroniques (littérature, musique, danse). Il a d’abord constitué un terme technique doté, selon les emplois, de trois types de sens. Il pouvait désigner soit un segment plus ou moins long de la chaîne des phénomènes qui se succèdent de manière organisée (syllabes, sons, mouvements), soit une entité abstraite. Dans le second cas, il renvoyait ou bien à une catégorie partielle – l’un seulement des facteurs qui déterminent l’organisation de phénomènes dans leur succession – ou à un principe global regroupant l’ensemble des déterminations temporelles d’un mouvement sonore ou visuel. Au tournant du XIXe siècle, néanmoins, le mot rythme a commencé à sortir à la fois de son statut de terme technique et de son champ d’utilisation attitré, notamment pour prendre le sens de « méthode » poétique ou philosophique chez Hölderlin, Novalis et Hegel.
10h30-11h00 – Discussion / 11h00-11h15 – Pause
11h15 – Marie Formarier : « Rythme, plaisir de l’écoute et conversion chez Augustin »
La prédication d’Augustin est l’héritière de l’éloquence classique ; mais elle inaugure aussi de nouvelles méthodes de communication. Suivant les principes cicéroniens, Augustin est particulièrement conscient de la force persuasive des rythmes, des intonations et des gestes. Selon la doctrine classique, lorsque ceux-ci sont appropriés, l’orateur est en mesure de fléchir les croyances et les émotions de l’auditoire, lettré ou illettré. Néanmoins, l’intentionnalité propre au sermon, qui a pour objectif à la fois de convertir et de prescrire par le biais d’une leçon salutaire, modifie profondément les paradigmes de la musicalité oratoire, notamment rythmiques. Dès lors, comment Augustin parvient-il à concilier les exigences esthétiques de l’art oratoire, en particulier l’usage du numerus, et la nécessité d’émettre un discours compréhensible par tous ? Dans quelle mesure les choix rythmiques dans les sermons d’Augustin illustrent-ils ce mouvement dialectique qui entrelace tradition et mouvement ? Après une brève mise au point sur la théorie rythmique d’Augustin, présentée dans le De Doctrina Christiana et le De Musica et une présentation de mon modèle d’analyse, je proposerai une lecture rythmique de quelques extraits significatifs de sermons issus du manuscrit de Mayence (édité par F. Dolbeau).
11h45 – Jean-Claude Schmitt : « Histoire des rythmes. Des rythmes dans l’histoire aux rythmes de l’histoire ? »
Comme tout un chacun, les historiens parlent de rythmes, mais ils n’en n’ont pas fait un concept (à l’inverse du temps), à l’exception d’études particulières comme l’histoire de la musique ou l’histoire de la littérature. C’est aux sociologues et aux anthropologues (Durkheim, Mauss, Simmel, jusqu’à Bourdieu) et aux artistes théoriciens de l’art moderne (tel Paul Klee), que l’on doit d’avoir conceptualisé la notion de rythme dans le champ des sciences humaines et sociales. On se propose d’écrire une « Histoire des rythmes ». Mais comment ? On plaidera pour une anthropologie historique utilisant la notion de rythme comme un outil transversal d’analyse de l’ensemble des aspects sociaux et culturels d’une société (en l’occurrence la société européenne entre le Ve et le XVIe siècle). Des champs d’analyse et des formes rythmiques majeures seront à cette fin définis. Mais – et on se souviendra ici des « trois temps » de Fernand Braudel – comment les articuler dans la « longue durée » ? Comment passer de l’étude de rythmes dans l’histoire aux rythmes de l’histoire ?
12h15-12h45 – Discussion / 12h45-14h15 – Repas
14h15 – Maie Gérardot : « Les enjeux du rythme pour la géographie »
Peu défini, peu employé, le rythme n’est pas (encore) un outil pour le géographe. Or, envisager la géographie en termes de rythme l’enrichit considérablement. En s’aidant d’autres sciences et disciplines, il est possible d’en construire une définition. En s’appuyant sur les travaux de Lefebvre, l’enjeu est de rythmanalyser des lieux, en prenant dans cette contribution l’exemple de lieux de la métropole parisienne, analysés à travers le prisme du tourisme.
14h45 – Benjamin Pradel : « Pour une rythmanalyse des grandes métropoles »
Dans les grandes métropoles, les rythmes urbains n’ont plus la régularité des rythmes qui organisaient la vie dans les petites sociétés urbaines, mais ils ne sont pas non plus totalement dissous dans ce que l’on présente trop souvent comme un mouvement brownien, sans terme ni forme. Ces rythmes constituent de nouvelles manières de produire du lien social qui combinent des traits hypermodernes (par exemple le tissage incessant de liens faibles) et des traits anciens réactualisés (les rassemblements festifs réguliers). Il est ainsi possible de mettre en place une véritable rythmanalyse sociale qui nous permet de mieux comprendre le destin des identités singulières et collectives au sein des grandes métropoles.
Discussion : 14h45 – 15h15
15h15 – Claude Calame : « Rythmes et constructions culturelles de l’humain : de l’identité narrative à l’identité énonciative »
On partira des apories auxquelles conduisent les réflexions de Paul Ricœur autant sur l’identité narrative (Temps et récit I et III) que sur la pragmatique des discours (Soi-même comme un autre) pour focaliser l’attention sur le sujet de discours. Sujet d’énonciation, le sujet de discours se construit aussi bien dans les rythmes de sa parole, entre “récit” et “discours”, que dans le faire “anthropopoiétique” impliqué dans la communication avec autrui : constructions rythmées et culturelles de l’homme conduisant à des formes de subjectivation dynamiques, d’ordre symbolique, à la fois individuelles et collectives ; production d’individualités plus ou moins émancipées par l’indispensable action discursive et anthropopoiétique des autres, dans des rythmes de discours et de vie communs.
15h45 – Pascal Michon : « Rythme, rythmanalyse, rythmologie : un paradigme en émergence ? »
Qu’il soit utilisé comme concept opératoire, vu comme phénomène ou pris comme objet de réflexion général, le rythme est devenu au cours de ces dernières années une préoccupation majeure dans de très nombreuses disciplines des sciences de l’homme et de la société, mais aussi des sciences de la nature et de la philosophie. Un nouveau paradigme scientifique fondé sur la triade « rythme, rythmanalyse, rythmologie » semble en train de se constituer. Pourtant, la diversité des approches reste grande, les interactions entre disciplines sont toujours très limitées et il n’existe encore aucun lieu institutionnel où puisse être discuté et illustré ce nouveau mouvement du savoir. On tentera de proposer un bilan des forces et des faiblesses de la mutation en cours.
16h15 – Discussion, bilan de la journée et perspectives d’avenir