Ce texte a déjà paru dans la Revue philosophique de Louvain, 108(3), 2010, p. 527-548. Nous remercions Susanna Lindberg de nous avoir autorisés à le reproduire ici.
Mon sujet sera le motif du « rythme » d’après des textes de Philippe Lacoue-Labarthe. Bien sûr, j’aurais aimé parler du rythme de Philippe Lacoue-Labarthe, du dictamen de sa phrase. Rythme admirable, oui, mais sujet pour moi intraitable dans le cadre d’un essai philosophique. Le rythme de la phrase de Lacoue-Labarthe se fait au creux d’autres rythmes et s’amplifie en chambre d’échos des voix qu’il met en scène, de sorte qu’on sait rarement de manière univoque qui parle. Se dissimulant dans cette incertitude, la phrase semble aimantée par un impossible, non celui d’un silence, mais celui d’un pur rythme sans voix ni image. L’exposition d’une intimité telle me semble inviter le lecteur à une discrétion particulière.
C’est pourquoi mon approche sera beaucoup plus simple. Je reconstruirai, voire construirai ce qui ne s’est jamais édifié comme un système doctrinaire : une hypothèse sur le rythme. Ce qui suit n’est donc pas exactement une théorie-de-Lacoue-Labarthe : sa modalité ne l’est nullement, dans la mesure où Lacoue-Labarthe présente la problématique du rythme surtout obliquement par ses effets, et non pas par une thèse positive. Cependant, mon hypothèse provient de ses textes — dans la mesure bien sûr où j’ai su leur rester suffisamment fidèle (rien d’autre n’a pourtant été mon objectif). Je montrerai donc comment Lacoue-Labarthe, par une critique de la conception ontologique du « rythme » qu’on peut trouver chez Heidegger, projette à sa place une idée originale d’une transcendance rythmique, dont je montrerai, dans ce qui suit, l’élaboration graduelle et le sens. [...]