Dix-huitième atelier du groupe F
Gruyères, Auberge La Halle, devant les pierres de mesure de blé
Samedi 18 octobre 2014
S’il semble à moitié acquis (Leeman, orationis ratio, 1963) que, depuis les derniers souffles de la république romaine, la forme (en prose d’abord, mais aussi en poésie) est l’expression d’une position politique (la forma finita = forme du sénat, forme anti-impériale ; la forme ouverte = forme de César et du système impérial), aucun travail ne traite du langage politico-formel de la démocratie attique au Ve siècle. Et pourtant, au niveau de la musique, du rythme et de la performance poétique classiques, les deux formes opposées que sont le catalogue et le récit bouclé, héritées du combat entre les chantres de l’Odyssée et Hésiode ou les chantres du Cycle, sont nettement réinvesties dans le combat entre oligarchie (structure annulaire, iambeion) et démocratie (catalogue, trimètre). Si l’époque mycénienne (wa-na-ke) et les dark ages des basileees sont marqués par le catalogue et sa forme narrative, le cycle, le VIIe siècle voit la destitution des rois et des tyrans, l’arrivée d’une nouvelle aristocratie capable de vivre dans les poleis, et ce mouvement se lie à la revalorisation de la structure annulaire dans l’Odyssée, qui apprend aux oligarques comment s’affirmer dans un milieu institutionnel. La démocratie du Ve siècle change le rythme et la musique en système sériel (Euripide-Warhol), mais doit se mesurer sans cesse à l’ancienne muse, au rythme du vers héroïque ou des iambeia (Sophocle). Au moment où la démocratie semble avoir imposé son rythme à tout, elle est elle-même intégrée à des monarchies en renforçant la forme catalogique pour la poésie (Alexandrie), tout en gardant la forme fermée pour la prose. La république romaine reprend ce modèle, mais lui fait subir une permutation des étiquettes, aboutissant à une opposition entre atticisme et asianisme, avec César et Auguste ; surtout, le modèle des enantia se transforme en norme privative (impériale, atticisme sériel) avec des écarts (l’asianisme fermé). Quand un courant veut contester le système, les chrétiens par exemple, il utilise les structures annulaires.
Mais l’usage de ce mot cruel en français, « contestataire », mot qui, tout en se voulant neutre, poli (le terme classique de stasis était plus civil), nie à la racine toute possibilité d’autonomie à ce qui n’est pas le système, qui place d’emblée la « différence » dans la case de l’écart par rapport à une norme justifiée, met déjà en évidence le problème : nous dépendons de notre normativité, qui se veut démocratique, et il n’est pas aisé d’attribuer aux étiquettes monarchique, oligarchique, démocratique des référents ou des signifiés stables. Le système du sénat républicain ressemble à l’oligarchie des Grecs, mais comparé au principat, il peut acquérir une auréole plus démocratique (Hansen, Knoepfler). Les formes de performance ou de littérature ont des traditions indépendantes, et c’est le jeu du pouvoir qui décide parfois de leur goût politique sur la langue (d’où la citation de Jandl : manche meinen, lechts und rinks kann man nicht velwechsern : werch ein illtum).
12h30 Sylvain Perrot : « Di-tyran-be : le dithyrambe archaïque à l’épreuve de la démocratie »
13h00 Fabrice Hadjadj : « ‘Prière et efficacité’ à partir de saint Thomas d’Aquin »
13h30 Alessandra Lukinovich : « Héraclite anti-héroïque »
14h00 pause café
14h30 Maxime Laurent : « (= pour lire les calligrammes d’Apollonios, dit :) »
15h00 Vincent Roch : « Mensonges d’Homère, mensonges de Dion ? »
15h30 Anne-Iris Muñoz : « Con-tourner le pouvoir : Sénèque le tragique »
16h00 pause clope ou bouffée d’air
16h15 Silvain Bocksberger : « Pindare et le droit de maltraiter la mythologie : à propos de la 7e Olympique »
16h45 Anouk Waber-Némitz : « Être pédagogique, être démocratique, ou comment le mélange assure la transmission du savoir »
17h15 pause clope
17h30 Janika Päll : « Formes dans l’adresse » (Démosthène)
18h00 Martin Steinrück : « Forme et politique dans l’Antiquité grecque classique »