Laurent Guido, L’âge du rythme. Cinéma, musicalité et culture du corps dans les théories françaises des années 1910-1930, 1re éd. 2007, Paris, L’Age d’homme, 2014, 544 p.
– Au tournant du XXe siècle, l’émergence du cinéma suscite des discours passionnés visant à lui assurer une légitimité artistique et sociale. Ces débats intenses culminent dans la France des années 1910-1930, où de nombreux cinéastes, critiques et théoriciens (Abel Gance, Jean Epstein, Germaine Dulac, Louis Delluc, Ricciotto Canudo, Léon Moussinac, Elie Faure…) envisagent le film comme le médium emblématique du monde contemporain. D’une part, il renvoie par sa nature scientifique et mécanique aux nouvelles techniques issues de l’industrialisation ; d’autre part, il accomplit un ancien fantasme esthétique en conférant aux arts plastiques la dimension du mouvement.
Le cinéma se situe d’emblée à la croisée de réflexions artistiques générales qui touchent également à l’art pictural et la musique ainsi qu’à la culture du corps qui marque en profondeur l’entre-deux-guerres (danse, éducation physique, sport). Dans ces différents domaines, la notion de rythme s’avère alors essentielle dans le sens où elle sous-entend une structuration particulière du temps également capable de définir l’organisation de l’espace. L’élaboration des principes esthétiques de ce nouvel art du mouvement accorde fréquemment un rôle déterminant au modèle de la composition musicale, prolongeant des idées développées dans les arts plastiques par Wassily Kandinsky et Frantisek Kupka.
À côté d’une première tendance qui utilise dans un sens métaphorique certaines notions empruntées à la musique, un courant plus radical voit les fondements du cinéma (mise en scène, cadrage, montage) régis par des structures analogiques à celles de l’art musical. Exprimant les différentes facettes de la « vie moderne », notamment la vitesse associée aux nouveaux moyens de communication internationaux, le cinéma est enfin perçu comme l’accomplissement du Gesamtkunstwerk prôné par Wagner, actualisant ainsi le rêve d’une résurgence au cœur de la modernité des fonctions sociales et morales de la tragédie antique.
Issu pour une large part des expérimentations physiologiques du mouvement humain (Muybridge, Marey), le film rencontre ainsi les préoccupations des rénovateurs de la danse et des arts mimiques – de la Rythmique d’Émile Jaques-Dalcroze à Isadora Duncan ou Loïe Fuller – et croise des recherches comme celles de Marcel Jousse sur le geste rythmique, pour forger les bases d’un médium audiovisuel fondé sur le synchronisme rythmique de tous ses éléments fondamentaux. C’est dans ce contexte qu’émerge le grand spectacle cinématographique accompagné de musique.
– Laurent Guido est professeur des Universités (Lille Nord de France). Associant l’esthétique à des questions sociohistoriques, il travaille principalement sur les liens entre film, corporéité et musique, ainsi que sur les théories du spectaculaire dans le contexte de la culture de masse. Il a notamment publié Rythmer/Rhythmize (Intermédialités, 2010, avec M. Cowan), Fixe/Animé. Croisements de la photographie et du cinéma au XXe siècle (L’Age d’Homme, 2010 ; éd. anglaise : John Libbey/Univ. of Indiana Press, 2012, avec O. Lugon) et De Wagner au cinéma (Hermann, à paraître).