Rythmes en Sciences Sociales
Colloque à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne
9 et 10 mai 2019
Depuis quelques années la question du rythme est de retour dans les publications en sciences sociales : accélération (Rosa 2010), tyrannie et culte de l’urgence (Auber 2009), burn out (Coeugnet et al. 2011) et pressions temporelles (Szollos 2009). La notion de rythme est également mobilisée comme prisme de lecture des temporalités urbaines (Amin et Thrift 2002) du rapport entre corps et espace (Edensor 2012) et des différences culturelles (Levine 1997).
Dans ses définitions usuelles, le rythme renvoie à une idée d’ordre et de régularité. Envisagé comme un mouvement régulier, périodique, cadencé, le rythme fait référence à des retours, et à des intervalles réguliers dans le temps, d’un fait, d’un phénomène ou d’un comportement. L’enjeu du colloque est de montrer que le rythme est une notion bien plus riche, polysémique, complexe et fluctuante (Michon 2010) en prenant nos distances avec une conception qui se limite à l’ordre du mouvement. Il apparaît possible de repartir du terme « rhuthmos » qui permet d’intégrer les mouvements irréguliers, spontanés ou d’autres formes d’organisations des temps. Le rythme s’impose comme une notion heuristique pour analyser, observer, représenter, et re-penser une « société liquide » (Bauman 2013), des « mondes » en « mouvement » (Drevon et al 2017) et leurs « paradoxes » (Kaufmann 2008), une notion qui permet de dépasser le tournant de la mobilité (Urry 2012) et de concevoir de nouvelles grilles de lecture des sociétés contemporaines.
La notion de rythme se situe également au centre des approches critiques de la postmodernité. Le rythme y est principalement utilisé comme un révélateur de l’accélération. Hartmut Rosa par exemple, dénonce l’accélération technique et sociale qui amènent à l’aliénation des individus (Rosa 2013). Ces formes de l’aliénation renvoient notamment au culte de l’urgence (Auber 2009), aux pressions temporelles multiples (Szollos 2009) et plus largement à la saturation (Citton 2014) au-delà du métissage des temps (vie professionnelle vs vie familiale) et de l’expansion de certains budgets temps d’activités comme les loisirs (Viard 2002), les chercheurs observent une densification des rythmes de vie amplifiée par les multiples injonctions aux changements d’ordre professionnel, familiale et spatial (Kaufmann 2008).
Du point de vue théorique, l’approche par les rythmes permettrait de jeter un regard neuf sur les modes de vie au sujet desquels les contours des typologies classiques (consommation, mobilité, aspirations) deviennent de plus en plus flous. Des approches rythmiques permettraient de révéler les traits temporels des sociétés et d’en dégager les harmonies ainsi que les dissonances et leurs implications sur les individus et les collectifs.
Le rythme apparait également comme un révélateur de controverses. En réaction à l’accélération des rythmes de vie, des initiatives qui s’inscrivent dans le mouvement slow (Heike et Knox 2006) apparaissent de plus ne plus saillantes. Ces initiatives proposent de ralentir le rythme au travers de l’éloge de la lenteur, des interstices et de la vacance. Les rythmes de « ville » apparaissent également comme des éléments d’accroche de ces initiatives. Elles militent pour un ralentissement et un apaisement en particulier dans les espaces publics. Ces initiatives se situe à la base des discussions autour de l’apaisement et de la fabrique de nouveaux communs temporels (Gwiazdzinski 2016) dans une perspective de retour à la lenteur (Sansot 1998).
Les controverses qui se matérialisent au travers de ces mouvements antagonistes à l’accélération témoignent des enjeux politiques soulevés par la notion de rythme qui donne à imaginer de nouvelles pistes pour le renfoncement des politiques publiques temporelles et le développement du chrono-aménagement (Gwiazdzinski 2014, 2018). La notion de rythme pose différemment une question centrale des sciences sociales autour de la composition d’une vie en société, dans un « monde liquide » (Bauman 2013), marqué par l’individualisation et la cohabitation des modes de vie.
Le colloque fait le pari que la mobilisation du rythme dans les sciences sociales à partir d’une conception large de la notion est heuristique. Le rythme revêt une dimension sensible et expérientielle mais aussi critique des parcours dans le prisme spatio-temporel de la « Time Geography » (Hägerstraand 1970) et des budgets-temps quotidiens, les essais de « politiques des temps » (Mallet 2013), de « chronopolitique » voire « d’urbanisme temporaire et temporel » (Pradel, 2012 ; Gwiazdzinski 2007). Elle ouvre à l’éprouver, au sens, à la présence, à la « corporéité et à « l’exister » au sens d’Henry Maldiney. Elle permet d’éclairer la dynamique des relations entre individus, espaces et sociétés, offrant un regard original sur les questions d’émancipation et de domination. Elle met en évidence les tensions dans nos vies et dans nos villes entre « répétition » (Deleuze 1972) et « innovation », besoin de stabilité et besoin de perturbation. Elle concrétise et unifie le champ de l’analyse des mobilités en permettant de réconcilier la définition de la mobilité comme franchissement de l’espace propre à la géographie avec celle de la sociologie comme transformation dans le temps (Kaufmann 2014).
Les propositions de communication traiteront de l’utilisation de la notion de rythme dans les domaines, de la Sociologie, de la Géographie, des Sciences Politiques, de l’Économie et de la Psychologie. Les propositions sont d’ordre théorique, méthodologique et artistiques. Les approches critiques et les controverses sont particulièrement attendues pour nourrir le débat. Les communications prendront différentes formes :
- Un résumé long de 5 000 signes
- Une image accompagnée d’un texte explicatif de la réflexion
- Une vidéo de 3 minutes
- Une proposition de performance chorégraphique ou artistique
- Une musique accompagnée d’un texte explicatif de la réflexion Les communications prendront la forme de séances de discussion par groupe thématique. Chaque communicant sera amené à présenter brièvement sa réflexion sous la forme qu’il juge la plus adaptée.
Les contributions seront publiées dans la revue espacestemps.net
Les propositions de communications sont attendues avant le 22 février.
Elle devront être envoyées à cette adresse : guillaume.drevon@epfl.ch
Elles seront évaluées par le comité scientifique de la revue espacestemps.net.
Les auteurs seront informés de la décision du comité scientifique avant le 15 mars.
Le colloque aura lieu les 9 et 10 mai 2019 à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne.