4e JE du RJC ICCA
“Temps, rythmes et temporalités dans les secteurs culturels”
Cette journée aura lieu le vendredi 21 mai 2021 à la Maison de la Recherche de l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 (Paris 5e), si les conditions sanitaires le permettent. Dans le cas contraire, elle aura lieu à distance.
Pour soumettre une communication, merci d’envoyer avant le vendredi 12 février 2021 une proposition à l’adresse rjc.labexicca@gmail.com contenant les informations suivantes :
Les noms, prénoms et courriel de tous les co-auteur·trices/intervenant·es ;
Le titre de la communication ;
Un résumé de la communication de 400 mots maximum ;
5 mots-clés ;
Une brève biographie incluant votre université et laboratoire de rattachement ;
Une bibliographie sélective.
Le comité scientifique et d’organisation
Marion Ferrandery (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, CIM-CEISME)
Quentin Gilliotte (Université de Paris, Cerlis)
Emmanuelle Guittet (LabEx ICCA, Cerlis)
Salomé Hédin (Université Paris 2 - Panthéon Assas, CARISM)
Simon Renoir (LabSIC)
Argumentaire
Depuis une vingtaine d’années, de nombreux diagnostics (Castells, 1999 ; Virilio, 2009 ; Hartog, 2003 ; 2018) peignent une société de la « modernité tardive » qui serait caractérisée par une accélération sociale du temps (Rosa, 2010). Cette accélération se manifeste par la numérisation et la « plateformisation » de la culture, qui promettent une offre abondante, instantanée et détemporalisée.
Le développement du numérique se traduit notamment, dans le champ des industries culturelles et de la création artistique, par une intensification de la production de contenus et des rythmes de travail des professionnel·les de ces industries, la multiplication des formats, une réduction du temps de présence des produits et biens culturels dans les lieux de vente, tous secteurs confondus (Bouquillion et Combès, 2011), et des mutations dans les modalités de l’accès aux contenus.
La consommation et l’appropriation de ces biens d’expérience, dont la qualité est par définition incertaine (Karpik, 2007), reposent sur les expériences de consommation passées et sur la possibilité de bénéficier de temps libre (Bianchi, 2008). Les pratiques culturelles et la consommation des biens symboliques impliquent en effet pour les individus d’y consacrer du temps, ainsi qu’à la recherche et à l’échange d’information, d’avis, de conseils portant sur la nature des contenus et destinés à les aider dans leurs choix (Guibert, Rebillard, Rochelandet, 2016 ; Chapelain et Ducas, 2018).
Cette journée d’étude propose d’interroger les modalités de la production, mais également de la consommation et des pratiques culturelles et communicationnelles – et leurs possibles mutations – au regard du temps. Il s’agira par exemple de se demander comment les rapports entre passé, présent et futur s’articulent de manière spécifique pour les activités culturelles et créatives ? Ou encore, comment les caractéristiques de la temporalité, comme l’instant, la durée, la séquence, le rythme, sont investies et valorisées par les différents acteur·trices et jouent sur la consommation culturelle ?
Ainsi, nous entendons mener une réflexion collective sur l’articulation entre la dimension temporelle et les implications liées au développement du numérique dans les secteurs culturels, à travers les axes suivants :
1 – Quand les industries culturelles structurent le temps
Un premier axe propose d’étudier la manière dont les acteur·trices des différentes filières anticipent et se saisissent des contraintes temporelles supposées des publics. Ces dix dernières années ont été particulièrement marquées par le développement des portails numériques supposant une offre de contenus disponibles à la demande : « partout », « tout le temps ». C’est le cas notamment pour la télévision linéaire, dont la programmation peut être envisagée à la fois comme un « art de la rencontre » (Macé, 2003) entre des publics et des programmes, et un « art de la gestion du temps » : là où le cinéma suspendrait le temps social, la télévision structurerait notre temporalité (Jost, 2009). Nous pourrons donc nous demander dans quelle mesure la multiplication des canaux de diffusion induite par le numérique reconfigure les discours, les formats, les contenus et leurs rythmes ainsi que leurs modalités de programmation, de diffusion ou d’accessibilité. Par exemple, comment la chronologie – ou chronobiologie (Chantepie et Paris, 2019) – des médias se recompose-t-elle dans ce contexte ?
Dans toutes les filières, l’accélération de la rotation des produits conduit par ailleurs certain·es acteur·trices à réaffirmer leur positionnement, comme c’est – par exemple – le cas des libraires indépendants qui se font les allié·es du cycle de longue durée de la production restreinte (Noel, 2018). À cet égard, comment évoluent les stratégies des multiples acteurs au sein de chaque filière, ainsi que les rapports qu’ils entretiennent entre eux ?
2 – Les temporalités des récits
Les œuvres sont elles-mêmes structurées par diverses formes de temporalités. C’est particulièrement le cas des récits sériels, qui, comme le montre Jean Pierre Esquenazi (2016) en s’appuyant sur la distinction d’Émile Benveniste, oscillent entre temps calendaire (la succession des épisodes) et temps historique (celui des événements narrés). Les intrigues peuvent ainsi s’organiser autour de temporalités distinctes, celle d’un ou quelques épisodes, ou bien d’une saison (Mille, 2013). Ainsi, les personnages grandissent, évoluent, sur un temps plus ou moins long. Les récits peuvent aussi s’entremêler aux évènements réels et à la vie quotidienne. Comme l’explique Sarah Sepulchre à propos des séries de networks américaines (2011), la production en flux tendu permet aux scénaristes de « coller à l’actualité » et de suivre le calendrier social : les personnages, comme les téléspectateurs, fêtent Thanksgiving, Noël ou le Nouvel An. Enfin, le récit lui-même peut être envisagé comme une manière de découper, d’observer ou de voyager dans le temps, à travers divers procédés narratifs comme le flashback ou l’ellipse (Gaudreault, Jost, 1990 ; Beylot, 2005).
Par ailleurs, l’émergence – et le succès – des portails numériques enjoint les producteur·trices à se tourner vers de nouvelles formes de narration, plus ou moins brèves, tantôt fragmentées, éclatées, voire trans-médiatiques ou interactives. Sans nous prononcer sur le succès de ces stratégies, il nous semble également opportun de nous interroger sur ces formats, leur nouveauté supposée et l’influence du numérique sur les modalités de narration. Nous pourrons également nous demander quels sont les effets produits par ces formes de récits sur leur réception. Ainsi les propositions s’intéressant aux différentes temporalités qui constituent les récits – qu’ils soient fictionnels, sériels, journalistiques, documentaires etc. – sont encouragées.
3 – Les temps de la consécration et de la valorisation
Les industries culturelles et créatives sont traversées par une tension entre histoire et modernité (Bouquillion et Le Corf, 2010), patrimoine et contemporain, classique et nouveauté, cycle long et cycle court (Bourdieu et Delsaut, 1975). La consécration et la valorisation des œuvres se construit sur différentes temporalités, du temps long de la classicisation (Viala, 1993) à celui, plus court, de la médiatisation des nouveautés, en passant par la revalorisation de biens passés redécouverts dans le présent, comme avec l’exemple du vintage ou du customisé (Boltanski et Esquerre, 2017). Les acteur·trices des industries culturelles s’appuient sur ces différents « horizons temporels de valorisation » dans leurs stratégies (Bullich, 2011), notamment selon la dialectique du tube et du catalogue (Huet et al., 1978 ; Miège, 2000), qui permet, entre autres, aux éditeur·trices et aux producteur·trices d’étaler les revenus dans le temps, le fonds de catalogue assurant des revenus réguliers sur le long terme, les tubes apportant une rentabilité à court terme.
La culture numérique et les nouvelles technologies de l’information et de la communication, en portant la promesse d’un fonctionnement en temps réel, d’une instantanéité et d’une accélération des échanges (Schafer (dir.), 2018) sont-elles en train de transformer ces formes de valorisation ? Les réseaux socionumériques (RSN), notamment Facebook, Twitter et Instagram, changent les temporalités de la valorisation des contenus et permettent davantage d’interactivité. Cette interactivité prend notamment la forme d’un essor des pratiques conversationnelles en ligne (Boyd, Golder & Lotan, 2010) permettant à la fois de mettre en valeur les industries et leurs contenus, mais également les publics qui s’en font le relais. Partager les coulisses des tournages, demander leur avis aux publics sur l’évolution de l’intrigue ou proposer des dispositifs de live-tweet durant une émission sont autant de façons d’animer des communautés en ligne, de promouvoir les contenus et de valoriser les producteur·trices. On observe par exemple ce glissement des modalités de valorisation chez certains diffuseurs traditionnels de la télévision qui mettent de plus en plus en avant leurs stratégies numériques et l’innovation (Bourdon, 2011), parfois davantage que les contenus diffusés.
Comment penser la tension apparente entre, d’un côté, des rythmes d’usage et de valorisation qui semblent s’accélérer par le biais des technologies numériques et se jouer sur un temps court et événementiel, et de l’autre, des tendances profondes de l’économie de la culture à la valorisation dans le temps long ? Sous quelles formes apparaissent les rapports intimes entre innovation et patrimoine au sein des industries culturelles et créatives ?
4 – Les temps de la consommation et des pratiques culturelles
Les temps dédiés à la consommation et aux pratiques culturelles sont d’ordinaire pensés comme relevant du temps libre, en opposition aux temps contraints de la vie sociale : temps de travail, temps conjugal, temps familial, temps associatif, etc. (Dumazedier, 1974 ; Pronovost, 1998). Mais les consommations culturelles peuvent constituer des supports à des activités qui ne relèvent pas des pratiques culturelles : travail, sport, tâches domestiques. Comment ces activités se croisent, se superposent ou se substituent les unes aux autres ?
Il s’agit également d’interroger la manière dont les temps dédiés aux pratiques culturelles (et donc les lieux et réseaux relationnels qui y sont associés) influent sur la consommation culturelle, dans le quotidien comme l’extraquotidien, que ce soit au domicile, au travail, dans les transports ou sur les lieux de vacances. Les pairs jouent notamment un grand rôle dans la réception de l’offre culturelle par les publics, en l’accompagnant comme en la contraignant, et en ce qu’ils s’intègrent dans des réseaux familiaux et conjugaux (Pronovost, 1993 ; Singly, 2003), professionnels ou amicaux (Bidard, 2012). Comment s’articulent ces activités, entre temps collectif et temps individuel ?
Les pratiques culturelles des publics prennent ainsi place dans différents cadres spatiaux, temporels et relationnels, selon différentes modalités qui interrogent la distribution de ces pratiques culturelles dans l’espace social (Coulangeon, Menger, Roharik, 2002 ; Cardon, Granjon, 2003). Comment l’étude des temps dans lesquels sont prises les pratiques culturelles et de loisirs permet-elle d’en renouveler la compréhension ?
5 – Temporalités et engagements dans la consommation culturelle
Regarder un long film un soir de week-end, faire défiler son fil d’actualités sur les réseaux sociaux avant de se coucher, télécharger un podcast en prévision d’un trajet… Les temps dédiés aux pratiques culturelles interrogent la capacité réflexive des individus à négocier l’usage de leur temps libre, à anticiper et planifier leur consommation, alors qu’ils et elles sont également pris dans des routines, des habitudes et de l’inertie (Dubuisson-Quellier & Plessz, 2013 ; Coavoux, 2019). Cet axe propose de questionner la façon dont les individus choisissent des contenus consommés en contexte.
Avec le numérique, l’offre de biens culturels semble en effet se faire infinie (Bonneau & Roberge, 2015) et les contenus sont de plus en plus facilement accessibles pour un coût quasi nul, n’importe où et n’importe quand. Les individus maîtrisent plus facilement leur consommation, pouvant « binger » des contenus ou au contraire décider de recréer des routines indexées sur le temps habituellement dévoué à la consommation médiatique ordinaire (Granjon & Combes, 2007 ; Combes, 2013 ; Beuscart, Beauvisage & Maillard, 2012). Puisque la programmation ne contraint plus les publics de la même façon, comment s’organise le temps de la consommation quotidienne ?
Cette abondance s’accompagne également de la promesse de trouver des contenus adaptés, pas toujours choisis pour leurs caractéristiques narratives, leurs personnages, leur tonalité ou leur qualité esthétique, mais aussi parce qu’ils « conviennent » à des moments précis, notamment en termes de format ou de disponibilité. Comment les individus se dirigent-ils et elles vers des biens culturels en fonction de leur accessibilité à un moment donné (Marty, 2014) ou de leur format ? Comment des contenus sont-ils mobilisés pour équiper ou pour occuper des moments ?
Comprendre la superposition des activités impose également d’interroger le niveau d’attention (plus ou moins flottant) accordé aux pratiques (Citton, 2014 ; Auray, 2017), selon qu’elles sont des activités de premier plan ou de fond : tweeter et regarder un contenu télévisé, tricoter en regardant une série, travailler et écouter de la musique. Comment s’enchevêtrent et se structurent alors ces différentes consommations ?
6 – Méthodologie
Les enquêtes sociologiques telles que les enquêtes Emploi du temps (Pronovost, 2015), ont permis d’étudier les pratiques culturelles des publics sous un angle inédit : celui du temps passé et de la place que prennent les différentes activités dans le temps global à disposition des individus. Ces enquêtes ont également montré la nécessité et l’intérêt de discuter des enjeux méthodologiques traversés par la question du temps, et notamment les façons de mesurer celui-ci.
Le développement du numérique et des nouvelles technologies favorise également l’émergence de nombreuses questions méthodologiques et montre la nécessité, pour les chercheur·es, de s’équiper d’outils permettant d’étudier les industries culturelles sous l’angle du temps. Les communications articulées autour de ces questions – qu’elles traitent de l’analyse de la production, de la réception ou bien des œuvres elles-mêmes – sont donc particulièrement bienvenues.