Cette recension a déjà paru dans la Revue de l’Institut français d’histoire en Allemagne, le 1er janvier 2010.
R. von Malinckrodt (dir.), Bewegtes Leben. Körpertechniken in der Frühen Neuzeit, Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek (Ausstellungskataloge der Herzog August Bibliothek, 89), 2008, VIII-375 p.
Issu d’une exposition tenue à Wolfenbüttel en 2008, cet ouvrage présente de nombreux textes ayant trait aux usages du corps conservés dans les fonds de la bibliothèque du duc Auguste. Mais il va bien au-delà. Reprenant l’article de Marcel Mauss sur les « techniques du corps » paru en 1934, il s’attache aux « façons dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps ». Par là, il interroge de façon nouvelle les rapports au corps de l’époque moderne. La première partie, composée d’articles, développe des sujets neufs : ainsi, les représentations graphiques des manuels d’instruction (J. Wellmann), les traités de bonne conduite vers 1800 (K.O. Frieling), la danse comme propédeutique à la codification du corps et à la maîtrise des affects (M.-T. Mourey), le saut (S. Schmidt), la gymnastique (J. Gleyse), l’équitation (P.F. Cuneo), l’escrime dans le Saint-Empire (A. Schubert), le jeu de la paume (H. Gillmeister) et la natation (R. von Malinckrodt). Bien qu’assez largement pratiquée, la nage était d’ailleurs pour les contemporains un sujet contesté : on discutait sur le poids respectif de l’eau et du corps humain et sur la capacité de ce dernier à nager.
Ces sujets très divers sont traversés de questionnements similaires. Tous s’attachent d’abord à justifier des sujets contestés pour leur caractère sensuel, leur perméabilité aux affects ou passions de l’âme, leur superfluité ou leur dangerosité. Au XVIe siècle par exemple, l’équitation doit se parer de son utilité dans la guerre et pour la santé pour s’imposer comme un thème honorable. Cette aspiration s’insère dans des constellations socioculturelles précises. Livrer une étude scientifique du saut permet ainsi de le détacher du contexte des foires, voire de l’intégrer dans le canon des sept arts libéraux. Les ouvrages bourgeois de bonnes manières publiés vers 1800 se réapproprient un héritage aristocratique pour mieux se démarquer de ceux qui n’ont pas reçu d’éducation. La bourgeoisie urbaine allemande se réapproprie vers 1700 la « belle danse » d’origine française pour se démarquer du peuple et estomper les barrières d’avec la noblesse curiale. Ce souci de démarcation sociale et culturelle va souvent de pair avec l’ambition des auteurs de ces traités de transformer leur occupation en une réelle profession.
La deuxième grande tendance commune aux articles consiste en l’esthétisation de l’objet. Même la formation des armées et l’alignement des soldats peuvent susciter l’admiration (M. Sikora). Les représentations graphiques de manuels d’instruction sont fondées sur le principe esthétique de la répétition rythmique. Or la rhétorique, par là la dramaturgie (D. Hill), reposent sur une codification très précise des attitudes du corps. Tous les articles soulignent en effet la surcharge symbolique, parfois aussi religieuse, des gestes, des flexions de la main, des expressions du regard, voire du port du gant, qu’ils décrivent dans le moindre détail. Face à l’ampleur de ces traités se pose la question de leur correspondance avec une ou des pratiques, que ce soit pour codifier des pratiques ou pour les introduire, les créer. L’ancienne école d’escrime allemande, par exemple, n’a jamais existé. La question essentielle, toutefois, est moins celle de la relation entre norme et réalité, que celle des publics atteints par ces textes. On ne peut être qu’étonné de la fréquence des circulations d’un pays à l’autre – ainsi pour la danse et pour le jeu de la paume, transmis par des précepteurs français au public allemand. En disséquant le geste, en identifiant ses composantes et en définissant des normes, les représentations graphiques façonnent un nouveau rapport au corps.
Une dernière interrogation a trait à la chronologie. Un certain nombre de textes soulignent la rupture avec le XIXe siècle, tandis que le rapport au corps est orienté par la quête de la performance, la tension, la rapidité. Le XVIIe siècle est aussi souvent présenté comme une période de mutation, qu’il resterait à interpréter.
La deuxième partie, formée de sources commentées et remarquablement reproduites, complète la première. Certes, bien des thèmes évoqués par Marcel Mauss n’ont pas été explorés : les techniques de l’enfance, de l’adolescence, de la marche, de la course, du sommeil, du repos, de la montée, de la descente et du travail. L’un des mérites, et non le moindre, de cet ouvrage, est d’inviter à des recherches en ce sens.