Benoît GRÉAN & Luisa GARDINI, Sonnets des satiétés

François Richard
Article publié le 25 avril 2022
Pour citer cet article : François Richard , « Benoît GRÉAN & Luisa GARDINI, Sonnets des satiétés  », Rhuthmos, 25 avril 2022 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article2840

Cette note de lecture a déjà paru sur Poezibao. L’actualité éditoriale de la poésie, le 22 avril 2022.


Pendant ce temps, pendant tout le bruit du monde, Benoît Gréan poursuit sa perforation poétique, et passe cette fois, avec Sonnets des satiétés, clairement de trace à empreinte, en vis-à-vis direct de la représentation du monde. Cette notion de l’impression-forte, de l’empreinte, du saisissement instantané glacé aussi (au plus vertige de l’instant saisi), d’une puissance de langage en miroir de celle de son référent, est renforcée par les incipits de Luisa Gardini toujours aussi majestueux, à la lisière des dessins de silhouettes d’horizons, et de la signature insistée de la main créatrice.


Benoît Gréan, dans le paysage de la poésie contemporaine, a signé depuis plus de vingt ans plusieurs livres importants, et certaines pages des plus saisissantes de ce paysage – je m’en souviens pour avoir été happé sans prévenance dans Monstres tièdes en 2003. Ici, ce n’est plus le poète d’un grand recueil mais définitivement le recueil d’un grand poète. Quelque part s’est affermie, s’est durcie et ne reviendra pas en arrière quant à cette force résolue. Elle envoie, frissonne et gifle, depuis toute profondeur phréatique aux succédanés de ce « réel » aux émanations d’irréel que l’on vit en enchainé. Dans un espace où les inspirations lacèrent, lacèrent autant qu’elles ravissent, dans ces voltes que lui seul sait faire émerger. Elle envoie. Sûre de sa puissance féroce et liminale.


Ou défripant ses

vents de tête

lisser les plumes sous l’insulte

renvoyer l’obèse et l’ascète

voire en plein vol

creuser son trou


L’art de Benoît Gréan a toujours résidé dans cet art, d’abord de simultanément capter et traduire un instant du réel non dissocié de la sensation qui sous-tend cette capture, qui sidère. Ensuite (dans le même mouvement) de les restituer dans une forme à l’inverse proche de l’éternité, l’héraldisme. Cet art qu’il a inventé et consacré à l’intérieur de l’art poétique, il atteint cette fois à la capacité à s’en affranchir lui-même, sans jamais le trahir et du coup en l’amenant après des limites repoussées. Comment, précisément à mon sens par deux gestes reliés : enfoncer le clou encore plus loin dans ces caractéristiques – l’effroi posé de Monstres tièdes est devenu une langue d’attaque à l’endroit et l’instant mêmes de cet effroi ; les blasons en suspension sont devenus mouvants, des lignes d’armature toujours espacées et denses à chaque grappe de mots mais là bel et bien en mouvements vifs –, et la mise à chaque jet de dé sur cette certitude d’une puissance intégrée entière enfin, laquelle paie et impacte à chaque page. Des intuitions inexplicables viennent nourrir le jeu de contrastes et en font les signes d’une singularité qui appelle, présente là, dans l’espace de lire.


Voire épaissir

une plaine mouvante

assoupir funambule et rebelle

sous les dépouilles redondantes

épingler le squelette héroïque


Vers l’issue du recueil, qui semble la relation en creux d’une scène aussi diablement familière qu’indescriptible, à force d’incision l’on se demandait jusqu’où le poète irait. Là est sa grandeur ultime : d’avoir dévoilé les pages encore plus belles sur la fin. Un envol des oiseaux en nuée du pavé de la ville sale.


L’on s’est dit dans la décantation que là, quelque chose de fort et secret s’était joué, résonne encore. Et qu’il faudrait bien que cet à-dire, d’une plus grande ombre, soit su, et dit. Et prononcé.


Tel autre croule

en vestiaire vorace

y laisse une peau pointilleuse

éructant dénis et remords

épouse le pire et le pour


Benoît Gréan & Luisa Gardini, Sonnets des satiétés, Paris, Rhuthmos, 2020, 68 p., 12€.

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