Mobilité, célérité et société. Essai de rythmanalyse sur la polychronie sociale

Benjamin Pradel
Article publié le 2 avril 2016
Pour citer cet article : Benjamin Pradel , « Mobilité, célérité et société. Essai de rythmanalyse sur la polychronie sociale  », Rhuthmos, 2 avril 2016 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article1746

Benjamin Pradel est sociologue spécialisé dans les mobilités durables et les études urbaines. Il est consultant-chercheur à Kaleido’Scop – b.pradel@kaleido-scop.eu.


Résumé : Le concept de mobilité embrasse à la fois la grande échelle des mouvements des personnes, objets, capitaux et informations à travers le monde et les processus plus locaux des déplacements quotidiens, des mouvements dans les espaces publics et du transport des objets au jour le jour (Hannam, Sheller, Urry, 2006). La mobilité serait devenue le marqueur majeur du fonctionnement des sociétés contemporaines, un terme central du XXIe siècle et un élément de discours puissant qui crée ses propres effets et environnements. Nous serions entrés dans une organisation sociale caractérisée par le mouvement, déconstruisant et réinterrogeant alors notre rapport aux temps et aux rythmes. L’enjeu ici est de questionner, sous forme de synthèse, le rapport analytique entre la mobilité et le rythme pris comme concept, méthode et paradigme.



Depuis une trentaine d’années, les dispositifs stables et homogènes, qui avaient dominé les sociétés développées depuis la Seconde Guerre mondiale, ont progressivement disparu au profit de formes d’organisation à la fois plus diversifiées et plus labiles. L’accélération, l’individualisation, la différenciation et la croissance des mouvements et flux de biens, d’informations et de personnes à toutes les échelles qualifient une société faite d’individus et d’organisations entretenant avec l’espace, le temps et le social des rapports plus incertains, fluctuants et peu solides. Ce mouvement permanent a fait émerger le paradigme de la fluidité pour décrire la modernité. La société hyper-mobile et liquide (Bauman, 2007) caractérise un « monde flottant » (Michon, 2005) qui interroge la forme du social. Dès lors, Paul Virilio ou Pierre Sansot déplorent l’avènement d’un individu sans attache, flottant dans le corps social autant que dans l’espace-temps, alors que Jean Chesnaux voit dans la question problématique du temps accéléré une crise de civilisation (in Godard, 2003a).


La morphologie sociale, spatiale et temporelle des groupements humains change sous le coup d’une tendance à la « mobilité géographique généralisée » (Knafou, 1998) et à « l’accélération des vitesses » (Rosa, 2010). La « transition mobilitaire » (Knafou, 2000) aujourd’hui engagée semble accompagner la fin des approches morphologiques qui ont prévalu dans la sociologie au début du XXe siècle. Nous proposons d’explorer ici les implications de ce « nouveau paradigme de la mobilité » (Sheller, Urry, 2006) sur la manière de lire la structuration du corps social à travers une approche rythmanalytique (Lefebvre, 1992). La « rythmanalyse » d’Henri Lefebvre décrit le fonctionnement des sociétés en partant de l’abstrait du concept de rythme pour atteindre le concret des faits. La richesse du rythme lui permet de rendre compte de la relation entre le logique et le dialectique, l’identique et le contradictoire, mais également entre le système qui se cristallise dans des formes sociales stables et l’individu qui oscille entre ce cadre stable et ses nécessités propres.


Il s’agit sur cette base programmatique de relativiser la liquéfaction du monde et de tenter de redonner de la consistance au concept de morphologie sociale face à une multiplication des possibilités de localisation-délocalisation-relocalisation et de synchronisation-désynchronisation-resynchronisation des activités et des individus qui transformeraient radicalement le régime rythmique de la société : « c’est-à-dire la perception et l’organisation de l’espace et du temps dans la vie sociale » (Rosa, 2010). Le temps comme construction sociale (Elias, 1996) devient ainsi un révélateur et un marqueur de ce changement de régime. En quoi le développement de la mobilité transforme le rapport des sociétés au temps et ses représentations et, au-delà, peut-il s’interpréter comme un changement de régime rythmique ou une nouvelle approche idéelle voire idéologique du mouvement des sociétés ?


Le diagnostic, souvent extrême, d’une société fluide, ne peut évacuer la question des nouvelles immobilités et lenteurs, inégalités et résistances, qui agissent comme autant de phénomènes intrinsèques et consubstantiels à la fluidification du social. Ils amènent à adopter une pensée critique de l’accélération et la fluidification du corps social et une approche dialectique liant changement et permanence, vitesse et lenteur, fluidité et périodicité, mobilité et immobilité dans l’interprétation du fonctionnement et de l’organisation des sociétés. Dès lors, il s’agit de penser les sociétés dans la complexité rythmique de leur morphologie sociale, dans une polychronie questionnant la tendance à un modèle unique de représentation d’un temps asynchrone.


Nous cherchons de manière programmatique à intégrer ces évolutions portées par les processus de rationalisation, différenciation, individualisation et marchandisation intensifiés par la mobilité moderne à un paradigme rythmique à l’équilibre prenant en compte ces couples perçus au premier abord comme antagonistes. Pourquoi la rythmanalyse apparaît-elle heuristique pour décrire la complexité d’une société qui s’organise entre fluidité et solidité ? Au-delà, comment penser dans une approche critique la richesse de la polychronie sociale dans une société semblant valoriser et ériger en valeur de la modernité la vitesse et le mouvement au détriment des lieux, des liens et des moments stables ?

 Mobilité, célérité, continuité et labilité : vers une société liquide ?

Dans son introduction de La vie quotidienne dans le monde moderne, Lefebvre souligne que le temps n’a pas de structure mais que la « vie universelle » l’investit en lui donnant une ampleur théâtrale, en revêtant le quotidien des masques, costumes et décors qui servent de récit et de référentiel aux hommes (1968, p. 12). Sous le coup de la mobilité, ce référentiel semble aujourd’hui être celui de l’instantanéité et de l’accélération, tendant vers une fluidité sociale. Il est porté par une acception tronquée du rythme à laquelle correspondent les représentations d’un temps individualisé, linéaire, scientifique et continu triomphant selon nous un peu trop rapidement dans les paradigmes analytiques.


Hypersynchronisation mondiale et temps linéaire


À l’échelle macro, la mobilité participe de l’intégration mondiale des territoires et de leur mise en réseaux au sein desquels les activités fonctionnent sur un principe de continuité et de synchronisation (Castells, 1996) permis par le développement d’un temps universel, technique et homogène. Ce temps scientifique s’est développé en parallèle d’une croissance des mobilités et des communications. Le chemin de fer, le transport maritime, le télégraphe, le téléphone, puis le transport aérien et aujourd’hui Internet ont démultiplié les possibilités de délocalisation/relocalisation mais aussi les potentiels de synchronisation/désynchronisation des activités individuelles et collectives. À mesure que la mobilité permettait de franchir les distances, la mise en correspondance des standards temporels s’engageait pour permettre de coordonner et d’organiser les activités, notamment productives et économiques (Zérubavel, 1982). Les premières horloges synchronisées ont ainsi fait leur apparition dans les gares au XIXe siècle et le raffinement constant des unités de mesure du temps a permis une synchronisation toujours plus fine et mondialisée. Le temps moyen de Greenwich, le temps universel (1928), le temps atomique international (1955) et le temps universel coordonné (1972) ainsi que la diffusion du calendrier grégorien accompagne la réticularisation du monde. Ce temps comptable, s’éloignant de ses références naturelles, sociales et territoriales, participe d’une représentation d’un temps désenchanté, de nature linéaire et homogène. Ce temps, faussement arythmique (ou acyclique) correspond à l’image tronquée d’une linéarité qui, dans un mouvement de rationalisation du rapport au monde, évacue trop rapidement l’idée de stabilité et de cycle.


Ce temps universel pèse plus fortement sur le rythme quotidien des activités que ne le faisait l’alternance naturelle des jours et des nuits et des saisons dans les civilisations agraires. Il correspond à la fin du modèle de production fordiste avec ses rythmes massifs et à la diffusion d’un modèle fondé sur la continuité productive. La mise en réseau de la production, ses principes de flux tendu et son principe du « following the sun » pour les multinationales pèse sur l’organisation du travail et sur la vie sociale. La vitesse de réponse à la demande devenant un atout compétitif, l’adaptabilité de la production et de l’offre selon un modèle flexible dissocie la durée de la périodicité et de la répétition : le travail de nuit progresse, le repos dominical est remis en question, les horaires atypiques se multiplient [1]. Ce temps linéaire et discipliné est aussi celui de la finance qui, à partir des grandes places boursières, organise des échanges dématérialisés via de supercalculateurs fonctionnant sur un rythme dépassant la sensibilité humaine. Ce temps accompagne également une dématérialisation de l’économie et des échanges à partir de réseaux numériques fonctionnant 24h/24. Sur le réseau Internet, les commerces ne dorment jamais, les commandes peuvent être passées à n’importe quel moment, la production se pilote à distance et l’information produite en direct est diffusée en continu. En 1998, la tentative de commercialisation d’un temps internet par l’entreprise Swatch fondé sur l’absence de fuseaux horaires et le concours lancé par les Nations Unies pour remplacer un calendrier grégorien compliquant la programmation des activités économiques, industrielles, financières et comptables illustrent la tendance : « Le temps accéléré du marché, de la technique et du progrès, et le temps “objectif” linéaire de la science s’unissent pour dessaisir “le monde de la vieˮ (Zaccai-Reyners, 1995). » (Dobre, 2003, p. 120)


L’accélération des rythmes de l’échange et de la production a des conséquences sur la manière dont les pays organisent leurs économies et leurs rythmes sociaux. Le lien entre accélération, linéarisation et continuité du temps et développement d’une économie mondiale est en substance ce que Simmel soulignait à propos de la monnaie qui « ne contient pas la plus petite suggestion d’une organisation rythmique du contenu de la vie ; elle offre toujours avec la même fraîcheur et la même efficacité ; grâce à ses effets de longue portée et à son pouvoir de réduction des choses à un même et seul critère de valeur » (Simmel in [Michon, 2005], Trautman, 2007). Le temps technique, scientifique et mondialisé correspond à un système monde de réseaux hypersynchornisés qui fonctionnent sur un temps linéaire, « vide et homogène » (Walter Benjamin in Urry, 2005), déterritorialisé, faisant fi des cycles naturels et des rythmes périodiques et massifs qui scandaient la vie des sociétés locales.


Accélération et individualisation du temps


À l’échelle micro, la mobilité alimente l’image d’un individu entretenant avec l’espace, le temps et les groupes des rapports labiles et erratiques, régis par la vitesse et le changement permanent. Aux lieux massivement pratiqués et aux rythmes collectifs (religieux, politiques, festifs, agraires, familiaux) se substitue une multiplicité de rythmes de vie et de micro-récits. La conscience moderne du temps repose sur sa plus grande maîtrise individuelle et sa rationalisation, travaillant la désynchronisation, multiplication et atomisation des rythmes individuels : « Le temps n’est plus où la vie urbaine était rythmée : au quotidien par les horaires d’entrée et de sortie des usines, bureaux ou écoles, chaque semaine par le repos dominical, avec ses moments forts (messe, tiercé, repas familial, etc.), chaque année par de longues semaines de vacances invitant à quitter la ville ou à investir différemment ses espaces publics. » (Marconis, 2005) Le calendrier, l’almanach puis l’agenda et le Google Calendar ; l’horloge publique ou privée, la montre puis la Google Watch ; le magnétoscope, le DVD gravable puis le disque dur ; le téléphone portable associé au Personnel Digital Assistant (PDA) puis les Smartphones sont autant de technologies d’individualisation de la perception et de la gestion du temps. Elles permettent de multiplier et d’enchaîner rapidement les séquences d’activités, de collectionner les lieux et les appartenances sociales, y compris à distance, voire de manière ubiquiste. Elles permettent la désynchronisation/resynchronisation par l’enregistrement et l’accès en direct (Ascher, 2003). Elles accélèrent la transmission de l’information et l’émergence d’un rapport plus réflexif au temps mais également plus instantané en ouvrant la possibilité de différer, multiplier et élaborer des programmes d’action personnels plus complexes. Le temps devient une ressource à gérer et l’expression « le temps c’est de l’argent » remplace celle « il y a un temps pour tout ». La performance s’érige alors dans la capacité à en faire plus en moins de temps, en lien avec une injonction à une productivité toujours plus accrue du travail.


C’est alors la figure de l’individu branché, pressé, flexible qui est mise en avant pour décrire le citadin moderne cherchant à s’extraire des rythmes collectifs : « La dynamique des réseaux techniques tend à se substituer ainsi à la statique des lieux bâtis pour conditionner les mentalités et les comportements urbains. » (Choay, 1994, p. 32) À l’éclatement de l’organisation industrielle du temps correspondrait un individu se défendant de suivre toute organisation institutionnelle ou prédéfinie des temps sociaux pour choisir ses propres schémas organisationnels. L’individu hypermoderne se pense ou se croit hyper-indépendant des temps du groupe (Castel, 2006), conçoit le fait de vivre en société comme un contexte dans lequel évoluer de manière autonome et déployer sa personnalité propre, et non comme une responsabilité. Pour Alain Ehrenberg « la fatigue d’être soi » et « l’individu incertain » (2000) qui se profile à l’horizon correspond à la figure de « l’homme présent » (Laïdi, 2002) qui évolue suivant un « temps instantané » (Urry, 2005), s’adaptant continuellement à des situations non prévues et programmant moins ses actions. Jauréguiberry évoque le « syndrome de l’homme branché » constitué d’un ensemble de symptômes du mal latent qui guette ceux qui vivent leur expérience d’ubiquité médiatique selon une logique de pure rentabilité, et qui se traduit par la peur de rater quelque chose d’important, de ne plus être connecté. L’urgence devient un symptôme (Aubert, 2000) et le stress la maladie de toute une époque. Les pays occidentaux deviennent des consommateurs acharnés d’antidépresseurs et d’anxiolytiques pour dépasser les contraintes d’un corps fini. La consommation poussée de substances licites (energy drink, médicaments pour dormir ou tenir éveillé) ou illicites (cocaïne, amphétamine, ecstasy) est un moyen de tricher avec le temps.


Cependant, de quel individu parlons-nous ? Si le projecteur est souvent braqué sur les plus mobiles et connectés pour décrire cette société fluide, ces derniers ne ressentent pas l’urgence de la même manière et nombreux sont ceux ne ressentant pas un manque de temps flagrant ou une accélération mortifère (Godard, 2002). Ainsi, si le processus est historique, il doit s’interpréter avec prudence et recul. Rationalisation, individualisation et mondialisation du temps via le développement de la mobilité s’articulent certes avec une hypersynchronisation mondiale et un fonctionnement métropolitain qui reposent davantage sur la continuité et la célérité des activités sociales et productives. Mais si cette tendance porte l’existence d’une « nouvelle société urbaine ou d’une cité globale en continu de moins en moins en phase avec les rythmes de la ville traditionnelle et de dame Nature » (Gwiazdzinski, 2002, p. 13) sur le devant de la scène, gardons à l’esprit que des mouvements contraires voire complémentaires existent au cœur même du processus.


Arythmie et ville en continu


Néanmoins, c’est bien le modèle urbain qui incarne le mieux ce changement de paradigme rythmique : « De la vieille cité industrielle à la nouvelle mégalopole tertiaire nous passons d’un monde temporel à un autre. » (Godard, 2001, p. 200) C’est face à ce modèle que se positionnait déjà Henri Lefebvre en 1967 dans sa sociologie de La vie quotidienne dans le monde moderne, rendant compte de la dislocation des rythmes, de l’accélération du tempo de la vie, de la montée du risque et de l’incertitude, de l’individualisation du temps social et de la séparation « homme/nature » dans les sociétés modernes urbanisées.


Les villes comme nœuds de croisements et de commutations de flux multiples et continus lié au système global (Veltz, 2000) se font réceptacles autant que prescriptrices de la continuité et l’accélération temporelle. En tant que centres de commandement du capitalisme planétaire et des réseaux, les métropoles assurent les fonctions de coordination, de prévision et de gestion mondialisée d’un système de production délocalisé et accéléré. Têtes de pont des réseaux mondiaux, les métropoles concentrent les sièges des sociétés internationales financières, bancaires et commerciales qui prennent de plus en plus une ampleur globale sur le fonctionnement des villes à mesure que les prestataires s’efforcent de répondre aux besoins de clients eux-mêmes mondialisés (Peter & Hall, in Taylor, 2004 ; Sassen, 1991). Elles deviennent des « centres de services mondiaux » dont le rapport au temps n’est pas le même que le temps local, pressant ce dernier à s’accorder pour répondre à des impératifs de productivité, de fonctionnalité économique en se subordonnant à des systèmes organisationnels de production souples et continus (Chanlat, 2007). La ville mondiale est une « ville en continu » (Millet, 2002) ou une « ville 24h sur 24 » (Gwiazdzinski, 2002) qui ouvre la réflexion sur une possible « ville de garde » (Ascher, 2000a) qui augmente toujours plus sa durée d’ouverture dans une continuité temporelle arythmique.


Cette ville participe de l’annulation des temps de suspension calendaire et soumet la composition du temps social à une logique d’adaptation total du local à un ordre réticulaire soumis au just in time. Le présent devient paradoxalement un horizon temporel en renouvellement constant s’incarnant dans une continuité des activités devant contenter autant que stimuler une demande atomisée et linéaire. Les services ouvrent 24h/24. La vie nocturne se développe et empiète sur la vie diurne. L’éclatement des vacances atténue l’idée d’une ville qui se vide et s’arrête en été. La consommation des fruits et légumes de saison devient annuelle grâce aux modes de conservation et à la performance des transports. Les commerces préparent Noël dès octobre et les fournitures scolaires apparaissent dans les rayons dès juillet. Le service minimum en cas de grève et la remise en cause de la pause dominicale assurent une continuité des activités. La consommation par Internet se fait de jour comme de nuit. Les transports fonctionnent 24h/24. « La ville vingt-quatre heures sur vingt-quatre n’est certainement pas pour demain, mais l’évolution commencée avec l’éclairage artificiel des habitations, des lieux de travail puis des rues a toutes les chances de se poursuivre avec les TIC et de faire vivre la ville nuit et jour. » (Ascher, 2000b, p. 186) La continuité de l’échange et de l’activité se nourrit d’une mobilité toujours possible des capitaux, produits et hommes en tant qu’elle engendre des attentes d’instantanéité dans la réponse à la demande. La pause dans le flux, l’immobilisation et l’attente deviennent les symptômes d’un dysfonctionnement et non un élément complémentaire de l’accélération et la continuité.


L’arrêt d’un aéroport pour cause d’intempérie ou la fermeture d’une gare pour cause de sécurité deviennent des événements nationaux. En France, l’épisode neigeux de janvier 2009 qui a paralysé deux jours la ville de Marseille a entraîné le déclenchement d’un audit technique à la demande du gouvernement. En 2010, l’éruption d’un volcan islandais perturbant le trafic aérien européen a fait les gros titres pendant plus d’une semaine. C’est que les sociétés urbaines ont cherché la continuité productive en travaillant à la dénaturalisation des rythmes par la production d’un environnement protecteur des cycles naturels. Les innovations technologiques ont, de par leur pouvoir calorifique, lumineux ou drainant, contribué à réduire dans les villes les repères temporels naturels. Le chauffage des intérieurs et des terrasses atténue la sensibilité aux variations de température, l’éclairage public permet l’activité nocturne dans les centres villes, l’assainissement permet de lutter contre l’humidité en toute saison, les matériaux de construction modernes accumulent la chaleur et la restitue, mettent un terme à la poussière des rues et l’amélioration de l’étanchéité rend hermétique aux éléments les intérieurs (Guillerme, 1997). Les villes s’éloignent du sol (gratte-ciel, métro surélevé), elles s’enterrent (égouts, téléphone, pneumatiques, chemin de fer urbain, production d’énergie, passages sous les immeubles…) et développent des mégastructures qui abolissent les saisons. Ces évolutions accompagnent la dénaturalisation des références temporelles des activités humaines qui, en parallèle, prennent pour référence le temps continu des réseaux : « Cette intensification de la vie métropolitaine s’oppose au caractère traditionnel de la vie rurale et urbaine communautaire fondée sur un rythme lent, régulier et cyclique. La sensibilité (Gemut), comme fondement synthétique des rapports sociaux désormais effacés, s’oppose à la vie nerveuse sociétaire associée à l’intellect. » (Simmel in Jonas, 1995, p. 54)

 Rythme écoulement, rythme périodique et idiorrythmie : le rythme comme morphologie dynamique ?

L’hypersynchronisation mondiale, la ville en continu, l’individualisation des modes de vie et leurs reflets dans un temps linéaire et continu seraient les marqueurs d’une modernité devenue liquide (Bauman, 2007), où le principe de mobilité permettant un changement permanent de position spatiale, sociale et temporelle rejoint et alimente l’individualisation des modes de vie. Pour Zygmunt Bauman, théoricien de la modernité liquide, de l’amour liquide, de la vie liquide, du temps liquide, de la peur liquide, les liens humains produisant la société seraient caractérisés par une dynamique de changement constant (2004). L’étalement des villes voire leur éclatement en Métapolis reflète une organisation sociale qui, par la mobilité, semble se passer de formes sociales, temporelles et spatiales stables. Ce monde fluide est traversé de manière plus ou moins homogène de flux erratiques. Dans ce cadre, les formes sociales et les institutions n’ont pas le temps de devenir solides. Elles ne peuvent plus servir de cadre de référence pour les actions individuelles et de base pour se projeter dans l’avenir. La modernité avancée se caractériserait alors par un rythme accéléré du renouvellement des relations que l’homme entretient avec les êtres, les choses, les lieux (Toffler in Mercure, 1995), forgeant un régime rythmique renvoyant à la métaphore de l’écoulement rapide et continu car toujours changeant. Le rythme écoulement repose sur une forme de mobilisme universel (Sauvanet, 2007) et « renvoie surtout à la cadence, à l’allure, à la vitesse ou à la rapidité avec laquelle se succèdent des événements et des états différents [et fait référence] le plus souvent à l’accélération des rythmes de vie, du train de vie ou du tempo de l’existence » (Mercure, 1995, p. 36).


L’accélération et la continuité portées par la mobilité généralisée ne produit pas une société « arythmique » (Rosa, 2010), mais une société dont le fonctionnement s’éloigne de la notion de rythme entendue traditionnellement fondée sur l’idée de périodicité, cycle et répétition, celle donnée par Platon. Le rythme depuis ce dernier associe la forme du mouvement et la mesure : « C’est l’ordre dans le mouvement, le procès entier de l’arrangement harmonieux des attitudes corporelles combiné avec un mètre qui s’appelle désormais rhuthmos.  » (Benveniste, 1974, p. 334) Le rythme est ici entendu comme une succession de périodes marquées par des ruptures significatives et régulières dans le déroulement continu des phénomènes. Cette définition est utilisée par Marcel Mauss, Émile Durkheim ou Maurice Halbwachs dans leurs analyses de la morphologie des sociétés, notamment agraires (Michon, 2005). Ils voient dans la périodicité et l’alternance de phases de concentration et de dispersion du corps social une loi qui préserve la société et la fonde et qui s’impose aux conduites individuelles (Mauss et Beuchat, 1905 ; Durkheim, 2002, Halbwachs, 1939). Or, cette loi semble disparaître dans la modernité caractérisée par la fluidité. Loin de toute arythmie, la fluidité du social renvoie à une seconde acception du rythme, celle relative à l’écoulement défendue par Héraclite en son temps. Le rythme héraclitéen est une configuration particulière du mouvant et s’oppose au rythme platonicien [2]. Il permet de décrire le tempo actuel accéléré et continu de la vie individuelle et collective et renvoie à la racine étymologique du verbe « rhein » qui signifie couler. Le rythme est un phénomène proprement dissymétrique, une disposition sans fixité, et il résulte d’un arrangement toujours sujet à changer.


Néanmoins, la synthèse entre ces deux acceptions du terme semble possible. Elle est même à la base de l’acception du terme par Benveniste pour qui le rythme est une forme assumée par ce qui est mouvant et fluide, c’est-à-dire « l’ordre dans le mouvement, le procès entier de l’arrangement harmonieux des attitudes corporelles combiné avec un mètre qui s’appelle désormais rhuthmos » (Benveniste, 1974, p. 334). Ce rhuthmos n’est alors qu’une convention venue de l’extérieur pour en mesurer les fluctuations et formes intrinsèques et sous-jacentes à sa définition même. Le choix de porter l’accent sur le mouvement comme caractéristique première du rythme moderne des sociétés revient à donner aux objets techniques le pouvoir d’orienter notre rapport culturel au temps et d’orienter la recherche plus que de refléter, selon nous, la complexité de la réalité sociale. C’est ce que souligne Benveniste pour qui la généralisation linguistique de l’emploi du rythme pour désigner les périodicités d’un phénomène est la condition, et non la conséquence, de l’unification rythmique de l’homme et de la nature (Benveniste, 1974). Ainsi, notre utilisation courante du terme, associée à l’idée de périodicité, ne serait qu’une déformation d’usage de la part d’un homme construisant socialement la catégorie « temps » en découpant la durée en autant de séquences qui se répètent sur des bases avant tout rationnelles et technicistes (Pradel, 2010).


Ainsi reconnaître que la fluidification de la vie sociale ne signifie pas l’absence de régularité et son accélération et que continuité ne signifie pas l’absence de ruptures et de pauses, c’est redonner de la complexité à la lecture du mouvement des sociétés modernes. En effet, selon Gurvitch, « le rythme est une accélération des durées et des intervalles, un équilibre recherche entre la continuité et la discontinuité dans les temps » (1963). Parce que le rythme concilie l’idée de mouvement et celle de structure, il rend compte de l’interdépendance entre le renouvellement des formes sociales collectives et l’individualisation des sociétés, et non leur disparition. Le rythme permet de penser la persistance de structures temporelles collectives orientant l’action individuelle et la plus grande autonomie d’action de l’individu au sein de ce temps social car il « réunit en lui, paradoxalement, les traits propres aux structures rigides, qui l’apparente à un mécanisme, et les conditions de la variation, de la novation, de la création d’effets différenciés » (Wunenburger, 1992). Il faut ainsi nuancer la radicalité des deux interprétations du rythme et de leurs conséquences sur l’explication du fonctionnement des sociétés pour penser ensemble « structure » et « fluidité » dans un rapport d’interaction et de complémentarité rendant compte de la complexité du monde moderne. L’opposition apparente de la notion de rythme social « exprime bien l’ambiguïté même de la réalité sociale  » (Mercure, 1995, p. 18) soulignée par Lefebvre pour qui si « la répétition cyclique et le répétitif linéaire se distinguent à l’analyse, dans la réalité [ils] interférent constamment » (Lefebvre, 1992, p. 16).


La relation est davantage compréhensible en utilisant le concept de société idiorrythmique de Roland Barthes (in Coste, 2008) utilisé avant tout comme métaphore qui permet la compréhension. Entre la préservation d’un rythme propre à l’individu et l’imposition par le pouvoir d’un rythme de vie et d’un rythme de temps collectifs, Barthes cherche à découvrir « la possibilité d’un style de vie médian où des groupements d’individus pourraient vivre ensemble sans exclure la possibilité d’une liberté individuelle qui ne les marginaliserait pas » (Bert, 2002). Le modèle de l’idiorrythmie repose sur une conception souple de la contrainte : pas de règle, mais des indications qui impliquent, via la mobilité et la disponibilité des individus, la possibilité d’un passage choisi vers le communautarisme ou vers la solitude absolue. Dans cette idiorrythmie se dessine ainsi un modèle qui semble tendre vers un équilibre où la liquéfaction du monde et le rapport continu et changeant des individus et sociétés au temps, à l’espace et au social ne présage pas de la fin des permanences et de l’organisation de rythmes collectifs, de lieux partagés et identitaires et de groupements sociaux stables. Elle permet également de penser des vitesses différenciées et des périodicités préservées ou nouvelles qui donnent consistance et structures à la morphologie sociale dans son mouvement de liquéfaction et individualisation. Il s’agit alors d’analyser la complexité et multiplicité des « manières de fluer » (Michon, 2005, 1re éd. 2007, 2015) individuelles et leurs possibles synchronisations. La manière de fluer possède une dimension active et programmatique. Elle porte sur la qualité de l’engagement de l’individu dans le temps et le processus d’individuation. Elle peut se comprendre comme une théorie de l’action dans laquelle l’individu maîtrise l’agencement de ses différentes activité au sein duquel, par synchronisation, des formes collectives peuvent exister (Michon, 2005, 1re éd. 2007, 2015). Dans ce cadre, l’immobilité est pensée comme complémentaire et intrinsèque de la mobilité, la lenteur de la célérité et la périodicité de la fluidité à l’image des deux faces d’une pièce de monnaie, l’une ne se définissant pas sans l’autre. C’est ce que souligne Giddens pour qui « le temps réversible des institutions est à la fois la condition et le résultat des pratiques organisées et accomplies dans la continuité de la vie quotidienne, la principale manifestation de la dualité du structurel » (Giddens, 1987, p. 85).

 Des inégalités temporelles à la polychronie sociale : un changement de regard ?

Repenser cette dualité intrinsèque au concept de rythme permet de saisir la fluidification du corps social en tant que structure duale et non l’hégémonie d’un ordre sur un autre. Il faut ainsi lire les interprétations exposées en première partie avec prudence et comme un postulat à partir duquel nous adoptons un recul critique. En effet, la ville est polychronique (Lefebvre, 1992) et le mouvement engagé par la mobilité ne concerne pas tous les individus de la même façon (Bacqué et Fol, 2008 ; Ollivro, 2009). Là où Henri Lefebvre défendait cette polychronie sociale, la mobilité comme valeur de la modernité a fait de la lenteur et de l’immobilité des rythmes asynchrones à la norme, des anachronismes, marqueurs de moindre performance et compétence individuelle, d’inadaptation à la société d’aujourd’hui. Ne penser que l’accélération et la fluidité, c’est marginaliser des rythmes individuels et collectifs qui participent pourtant de la structuration du corps social ; c’est prendre comme référence des principes économiques fondés sur l’importance d’une productivité accrue, du développement du marché et de l’adéquation offre/demande comme moteur du progrès et bien être. Or, « le rythme apparaît comme un temps réglé, régi par des lois rationnelles, mais en liaison avec le moins rationnel de l’être humain : le vécu, le charnel, le corps » (Lefebvre, 1992, p.18). C’est ainsi que le rythme permet de réunir les aspects les plus quantitatifs mis en avant par un système de production qui marque les représentations du temps autour d’une mobilité généralisée et les aspects qualitatifs, qui relient, qui fondent les ensembles qui en résultent et qui doivent être réinsérés dans une analyse critique de cette accélération tout azimut qui caractériserait les sociétés modernes.


Le « temps des décrochages et du chassé-croisé » (Ollivro, 2000) n’est pas vécu de la même manière par tous. Il est construit de manière différenciée selon la motilité (Kaufmann, 2001) de chacun en fonction des appartenances sociales, lieux de résidence, ressources économiques, capacités d’organisation, etc. Les individus se construisent ainsi dans une société hyper-mobile selon des différences et inégalités dans le rapport qu’ils entretiennent à l’espace, dans la maîtrise de leurs temps et l’organisation de leurs appartenances sociales. On constate ainsi la montée d’un individualisme négatif, un « individu par défaut » (Castel, 2006), qui découle d’une contrainte d’adaptation des modes de vie à une donne temporelle dominée par l’idée de vitesse, continuité et flexibilité. L’arythmie collective imposée et la continuité des activités marginalisent ceux qui ne peuvent rester branchés, joignables et réactifs et/ou qui ne peuvent négocier l’organisation de leurs espaces-temps. On peut distinguer le type « employé-marié à une ouvrière-d’une PME de province-selon des horaires de travail réguliers » du type « cadre-vivant seul(e)-dans des entreprises parisiennes-haut de gamme-selon des horaires totalement flexibilisés » (Godard, 2002). À ces « oubliés de la civilisation du temps » (Godard, 2003) s’opposent ceux capables de redéfinir, dans un tel contexte d’accélération, la force de leurs rapports avec l’idée de charpente temporelle collective et d’ancrage spatial. Leur maîtrise et l’accès aux technologies de délocalisation/relocalisation et désynchronisation/resynchronisation se traduit par une amélioration de la mobilité et de l’accès à l’information, qui leur assure une flexibilité et une qualité de vie moins soumises aux contraintes spatio-temporelles collectives (Gaber & Gruer, 2002). Dans cette veine, certains distinguent les mobiles, immobiles et les ubiquistes au sein des entreprises internationales (Gherardi, Pierre, 2010). D’autres soulignent la formation d’une « kinetic elite » (Wood et Graham, 2006) faite de grands voyageurs, d’affaire ou de loisirs, maîtrisant la mobilité à longue distance, ses systèmes de réservation, ses lieux avec ses contrôles et ses normes, par exemple les aéroports. Ces hyper-mobiles accumulent les privilèges de par leur fidélité aux entreprises de transport (cartes grands voyageurs SNCF, cartes Flying Blue, etc.) leur facilitant un peu plus le déplacement (accès aux salles d’attente VIP, réductions, facilités de paiement, etc.), détourant les contours d’une élite qui se différencie des « low speed » et de la « low mobility majority ».


Ces différences de mobilité reflètent davantage aujourd’hui des structures et des hiérarchies de pouvoir et de positions qui ont quelque chose à voir avec la vitesse et qui distinguent ceux qui suivent de ceux qui restent derrière (Rosa, 2010). La norme mobilitaire devient un horizon à atteindre et sa transformation en quasi-injonction politique est construite sur une représentation spécifique de la mobilité relative aux manières d’analyser mais aussi d’agir sur la société. Or, certaines populations hypermobiles ne sont pas considérées comme telles et restent stigmatisées : les Roms, les migrants, les travailleurs saisonniers, les teufeurs adeptes des rave parties semblent rester dans les discours politiques à la marge de la société hypermobile en ne correspondant pas à la norme acceptée d’une mobilité de loisirs et quotidienne en plein essor. De même, des populations réputées peu mobiles le sont plus qu’on ne le croit : les adolescents des Zones Urbaines Sensibles développent des mobilités longues distances, des compétences dans le déplacement qui participent pleinement de leur socialisation (Oppenchaim, 2011) ; certaines populations précaires désignées, voire condamnées, car pas assez mobiles, montrent en fait une importante capacité de mobilité sous forte contrainte (Jouffe, 2007). Enfin, des populations réputées hypermobiles le sont finalement moins que d’autres : les habitants des espaces périurbains semblent tenir le haut du pavé de la mobilité quotidienne de par leur éloignement aux lieux de travail et leur dépendance à la voiture. Ils ont été montrés du doigt face à l’idée de développement durable dans le cadre des objectifs de réduction des gaz à effet de serre relativement aux populations des centres, utilisant les transports en commun dans une proximité entre travail et domicile. Or, en prenant l’ensemble des déplacements (loisirs et travail), ces derniers se déplacent en moyenne plus et plus loin que les périurbains, notamment dans leurs mobilités de loisirs et d’affaires, allant chercher hors des villes des lieux de loisirs : ce phénomène a été dénommé « l’effet barbecue » ou « mobilité de compensation » (Orfeuil et Soleyret, 2002).


On le voit, la tendance à la fluidification du social et l’hypermobilité n’est pas homogène et les valeurs qui les supportent ne sont pas univoques. L’idéalisation du mouvement et de la vitesse, comme corollaires de la modernité et pour certains fétiches, renvoie alors des populations à leur immobilité, lenteur ou mobilité différentes de la norme et souligne qu’ils ne sont pas aussi libres que d’autres, selon une norme construite. Le « droit à la mobilité » devient une injonction à prendre le train du mouvement là où une pensée en termes de ralentissement revaloriserait les individus qui ne suivent pas le rythme et faciliterait leur intégration sociale. Si la « rapidité différenciée » (Ollivro, 2000) peut refléter une inégalité face à la mobilité et au temps, elle peut être également abordée comme une forme de préservation, dans la fluidité, d’une certaine consistance à la morphologie sociale, une granularité au cœur de la liquidité. Il s’agit alors d’accompagner ces différences, de leur donner à chacune une valeur propre en acceptant une société polychronique dont l’accessibilité aux ressources (travail, loisirs, culture, etc.) peut prendre des formes variées et s’accorder aux rythmes variés des individus.


Dans cette même veine visant à relativiser la puissance du paradigme mobilitaire et, avec lui, de la fluidité, plusieurs analyses tendent à prouver que le rythme périodique n’a pas quitté nos sociétés. Sa présence s’est au contraire accrue sous des formes renouvelées. D’abord, il existe toujours des rythmes collectifs. Ils se multiplient même à mesure qu’ils se recomposent. Si les grandes cérémonies nationales perdent en audience, les événements cycliques festifs se multiplient dans les villes et métropoles devenues le lieu de vie de la majorité de la population dans les pays développés (Pradel, 2010 ; Gui Méo, 2005). Les visiteurs reviennent alors, dans une relation cyclique aux lieux festifs, conditionnée en grande partie par la promesse d’éprouver et de participer à une ambiance sociale spécifique (Pradel, 2012). Et le succès de fréquentation, médiatique et d’attention des grands événements internationaux ne se dément pas. Ensuite, le principe de routines continue de structurer l’action tout en étant plus adaptatives (De Conninck & Guillot, 2007, Pradel & Chardonnel, 2014). Parce que les horaires atypiques peuvent conduire à une réelle détérioration de la vie sociale, on observe une tendance des actifs occupés à recomposer le modèle des cinq jours travaillés et deux jours chômés dans le cadre de la flexibilité, afin de se synchroniser avec les rythmes des membres de leur famille (Lallement, 2002). De même, la synchronisation alimentaire autour du repas du soir persiste (Saint Pol, 2006), notamment de la part des ouvriers, alors que les cadres cherchent à préserver le petit déjeuner en famille (Chenu & Herpin, 2002). Enfin, des synchronisations collectives et spatiales produisant des formes stables au cœur du mouvement structurent la vie sociale. Les « lieux-moments » (Pradel, 2010) sont le fait d’un agencement des trajectoires spatiales (déplacements) et temporelles (agendas) personnelles qui se synchronisent pour produire des situations de coprésence dans des lieux et des moments déterminés. Ce phénomène peut s’inscrire dans le mouvement même, donnant naissance à des « places of movement » (Hetherington, 1997), véritables lieux construits par et dans le mouvement. La synchronisation, le rendez-vous répété, peuvent même être une ressource du déplacement pour l’organiser et le rendre plus simple, rapide, agréable, donnant naissance à des identités collectives, « identités de mouvement », dans les pratiques de co-déplacement (Pradel et al., 2014). Ce type de nœuds sociaux programmés et périodiques continue de structurer la vie individuelle et collective dans tous les domaines de la vie sociale. Tout n’est pas fluide et, dans la fluidité, des formes apparaissent et se maintiennent. L’immobilité, l’ancrage, la lenteur structurent encore nos sociétés en profondeur.

 La polychronie sociale, une valeur à défendre ?

L’accélération et l’emprise de la mobilité sur le fonctionnement des sociétés participent d’une réorganisation des liens qu’elles entretiennent avec l’espace et le temps. Tous les ouvrages sur le sujet mentionnent ce changement profond tout en participant du mouvement (Rosa, 2010). Cette accélération et ce mobilisme universel se muent parfois en nouveau récit collectif dont on ne peut s’échapper au risque de rester au bord de la route car, derrière, se déploie une certaine représentation du progrès portée par la technique et les logiques économiques de marché. Les réseaux sont devenus les nouveaux meneurs rythmiques auxquels les sociétés locales doivent s’accorder sur un mode de continuité et célérité pour ne pas rester en reste de la croissance de l’économie monde. Ils valorisent une performance rythmique individuelle accélérée, reposant sur des performances rythmiques techniques, qui engendrent de nouvelles inégalités et de nouvelles impossibilités pour des corps mus par des rythmes finis et organiques.


Le paradigme de la fluidité décrit cette tendance globalisante qui donne alors au concept de morphologie une résonance anachronique car rendant compte d’une structure trop figée, même si le concept de morphologie chez Mauss était déjà temporalisé. La question rythmique et le modèle idiorrythmique invitent à repenser l’approche morphologique des sociétés en intégrant pleinement les différentiels de vitesse et de mobilité des individus et des groupes et les moments de cristallisation des espaces-temps sociaux au milieu du flux. Ces différentiels rendent compte d’une mobilité en tant qu’indicateur autant qu’idéologie d’une discipline du temps dictée par les rythmes de la production et d’une économie et qui requiert des individus plus ou moins mobiles et fonde une hiérarchie des célérités. Si le retournement de cette hiérarchie ou son lissage peut constituer un horizon d’attente, il est aussi possible de penser une société offrant les moyens à chacun de s’intégrer selon ses capacités rythmiques.


La polychronie sociale peut être envisagée comme une complexité à aplanir dans un rythme unique, un écoulement permanent des êtres et des choses. Il s’agit alors d’organiser des mécanismes compensatoires permettant à chacun d’accéder à ce rythme accéléré. C’est en partie dans ce sens que se déploient les aides à la mobilité individuelle à travers le concept de « management de la mobilité » (Rocci, 2009) où chacun doit pouvoir accéder aux rythmes intégratifs, notamment du travail, en augmentant sa capacité d’accélération et de déplacement. Mais cette seule solution individualisée ne peut seule exister, au risque d’accélérer toujours plus le fonctionnement social et de laisser toujours plus d’individus à la marge. Les différentiels rythmiques peuvent alors aussi être intégrés comme une donnée fondatrice de la polychronie sociale abordée comme une richesse. Il s’agit de ralentir et ouvrir le fonctionnement des sociétés à la pluralité des rythmes. Il s’agit de redonner aux sociétés des rythmes plus tendus en articulant temps collectifs et temps individuels et en respectant la nature plurielle, allochrone (irrégulier) et isochrone (régulier), lente et rapide, de la société et de ses individus.


Ce n’est pas tant à l’individu de fournir seul l’effort de s’accrocher aux rythmes intégratifs des sociétés modernes, mais aussi à ces dernières de les multiplier à destination de tous et de les rendre accessibles. C’est également à elles d’aider à la sécurisation des rythmes de vie différenciés en mettant en place des mécanismes réassurant les temporalités asynchrones dans leur singularité et en organisant des compensations capables de les préserver d’une trop grande accélération. En se mettant au niveau des tensions produites par des rythmes de vie de plus en plus accélérés et différenciés, cette vision porterait à agir concrètement sur l’organisation sociale du temps en offrant les moyens d’une résistance aux effets négatifs de la modernité liquide (Michon, 2005, 1re éd. 2007). Déjà, quelques mouvements inverses émergent en contrepoint autour du « slow » (slow food, slow city, slow life) faisant écho au Droit à la paresse de Paul Lafargue dénonçant, déjà en 1880, l’asservissement du rythme humain à celui de la machine productive et au régime temporel imposé par l’industrie triomphante. Ainsi émerge la reconnaissance d’un « droit au temps » face à une néolibéralisation des rythmes urbains et de la diversité des territoires temporels (Mallet, 2014). La reprise en main de son temps fait alors écho à la revendication d’un droit à l’immobilité et à la lenteur sans qu’elle ne soit synonyme de marginalisation sociale pour celui qui la défend et la met en œuvre.

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Notes

[1Les rythmes de travail se multiplient. 53 % des actifs travaillent occasionnellement le samedi, 47 % déclarent le faire au moins une fois par mois, 25 % d’entre eux le dimanche et 19 % travaillent au moins une nuit par mois. Les emplois du temps et les horaires fixes sont en recul. Ils concernaient 65 % des salariés en 1978 et 52 % en 1991. Les horaires journaliers tendent à devenir flexibles et les horaires atypiques se cumulent : 37 % des salariés ne travaillent pas le même nombre d’heures chaque jour, 22% ne travaillent pas le même nombre de jours chaque semaine et 24 % voient leurs horaires de travail changer au cours du mois. La journée de travail s’étend en soirée, les gens se couchent en moyenne plus tard (23h de nos jours contre 21h en 1950). Près d’un actif parisien sur deux travaille régulièrement ou occasionnellement entre 20h et minuit. Un salarié parisien sur trois a des horaires de travail décalés en soirée ou le week-end.

[2Le débat oppose les positions héraclitéennes et atomistes, d’une part, et les positions platoniciennes et aristotéliciennes, d’autre part. Pour les premières, l’univers est toujours en mouvement, il s’écoule, et le rythme ne s’accommode pas de l’idée de mesure, de régularité, de cycle qui sont des concepts propres à l’homme ; pour les seconds, il n’est pas de changement sans quelques persistances et régularités, et le rythme possède intrinsèquement une dimension périodique, relative à l’homme. Le rythme héraclitéen est plutôt de nature allochrone parce qu’il insiste sur l’irrégularité des phénomènes. Il peut s’appliquer à la nature animale de l’homme. Le rythme platonicien est plutôt de nature isochrone parce qu’il introduit une égalité de durée entre différentes séquences qui se succèdent dans l’observation de ces mêmes phénomènes. Il peut s’appliquer à la nature sociale de l’homme.

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