Recherches de facture chez Rimbaud et Cézanne – 1

Yves Letournel
Article publié le 7 août 2017
Pour citer cet article : Yves Letournel , « Recherches de facture chez Rimbaud et Cézanne – 1  », Rhuthmos, 7 août 2017 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article2062

Ce texte a paru pour la première fois dans Parade sauvage, n° 14, Classiques Garnier, 1997. Nous remercions Yves Letournel de nous avoir autorisé à le reproduire ici.

Premiere section – Le dégagement des formes anciennes

Ipse ego cana legam tenera lanugine mala, castaneasque nuces, mea quas Amaryllis amabat ; addam cerea pruna ; […] et vos, o lauri, carpam, et te, proxima myrte, sic positae quoniam suauis miscetis odores (Virgile, IIe Bucolique, v. 51-55)


Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. (Rimbaud, Jeunesse IV, Illuminations)


C’est effrayant, la vie ! (Cézanne)

Zola, non sans pertinence, raillait les « recherches de facture » [1] dans lesquelles se débattait son ami Cézanne. Celui-ci, de son propre aveu, s’ingéniait à trouver sa « voie picturale » [2]. Quelques années auparavant, avec le même acharnement, Rimbaud cherchait une nouvelle langue, convaincu que le renouveau de la poésie impliquait un renouvellement formel : « les inventions d’inconnu réclament des formes nouvelles » [3].


Le peintre et le poète emprunteront la même voie. Cézanne sut assimiler l’apport de Delacroix et Courbet comme Rimbaud celui de Victor Hugo et des Parnassiens ; de même, tous deux sauront, tout en l’intégrant à leur système de représentations, ne pas se satisfaire de la leçon impressionniste.


La similarité de leurs parcours, que nous essaierons de mettre en évidence, révèle, semble-t-il, une identité de conceptions : une même lucidité devant le réel, une même tentative pour le rendre avec rigueur, non tel que la raison le reconstitue, mais tel qu’il s’impose d’emblée aux sens et à l’intelligence. La première tâche, à leur yeux, consiste donc à reproduire scrupuleusement ce qui existe, même ce qui est de l’ordre de l’invisible : ainsi, le sens de telle aquarelle tardive ou de tel poème des « Vers nouveaux » réside-t-il moins dans son degré de conformité à la réalité que dans la fidélité pointilleuse que tous deux observent à l’égard de la sensation éprouvée, dût-elle relever du monde de l’informel. Aussi importe-t-il de poser des jalons dans l’évolution créatrice de Cézanne et Rimbaud [4], afin de mettre en relief la parenté de recherches formelles permettant la création d’un langage plastique neuf, apte à explorer l’invisible comme le visible et à les révéler avec acuité.


Cézanne commence par peindre du Delacroix, de même que Rimbaud écrira du Hugo. Ils explorent ainsi ce que Baudelaire nomma le « [...] je ne sais quoi de mystérieux [...], l’invisible, l’impalpable, le rêve [...], les nerfs [...], l’âme » [5].


Ce sont les premières peintures à l’huile des années 1860, chargées de violence et d’émotion, aux « éperduments de style » très flaubertiens. L’Enlèvement (C.R.12) [6], Le Festin (C.R.14), Le Meurtre (C.R.16), autant de toiles sensuelles, fastueuses ou macabres qui reprennent sous une forme « exaspérée » les leçons formelles du romantisme et du réalisme. L’emploi du couteau à palette, le travail « à pleine pâte » à la manière de Courbet, produisent des œuvres sombres et denses : la gamme des couleurs est réduite, les touches épaisses et irrégulières. Dans les Portraits de l’oncle Dominique (C.R.6, 7), la leçon de Manet et de Degas est outrée : les heurts de blanc et noir, les empâtements épais, la touche irrégulière, traduisent, chez Cézanne, la volonté d’exagérer les formes pour en assimiler plus vite la leçon et les dépasser.



Fig. A – Sucrier, poires et tasse bleue, 1865-1866

Huile sur toile, 30 x 41 cm

Musée Granet, Aix-en-Provence


Les natures mortes de la même période révèlent cette fébrilité stylistique. Pain et œufs (C.R.3) [7], ainsi que Sucrier, poires et tasse bleue (C.R.4, Fig. A) proposent un traitement formel similaire – une touche inégale et épaisse, la couleur maçonnant les fruits [8]. La matière colorée, comme l’émotion, forme des excroissances ; un peu comme le Flaubert de La Tentation de Saint-Antoine, dont Cézanne admit s’être souvenu pour composer Le Festin, l’âme boursoufle la toile, saturée de sens et de culture. On comprend les dégoûts futurs du peintre devant ces espèces de mutants picturaux de sa première période qui, tout en s’imprégnant d’une plastique jusqu’à l’exalter, la rend du même coup caduque et dérisoire. Une fois leur fonction accomplie, Cézanne lacérait ces « vieilles énormités crevées » [9], purulentes de mythologie et de poncifs romantiques, ou – ce fut le sort de son tableau L’Eternel féminin (C.R.42) –, les crevait à coups de pied. De même, Rimbaud suppliera-t-il en vain Demeny de brûler le « Cahier de Douai » [10], ainsi le peintre et le poète mettront-ils, à détruire leurs inaugurales et fécondes imitations, la même rage qui présida à leur création.


Presque au même moment, au seuil des années 1870, Rimbaud opère le même travail de dépassement : Les Etrennes des orphelins, Ophélie, Le Forgeron, explorent toutes les ressources de la facture hugolienne pour mieux la périmer. Dans Les Etrennes des orphelins (1869), le vocabulaire, le rythme et certains mots-rimes sont empruntés à Victor Hugo, au point que l’on peut parler de pastiche ; l’inspiration satirique et les images fortement contrastées du Forgeron sont des reprises presque parodiques des Châtiments et de La Légende des siècles. Verlaine, le premier et le plus averti des analystes formels de Rimbaud, a souligné la dette parnassienne dans la facture des premiers poèmes, tout en notant son caractère outré : « Il s’en servit d’après la formule parnassienne exagérée » [11]. Des pièces plus tardives, Les Effarés, Tête de faune, et même Le Bateau ivre, portent encore les traces des expériences parnassiennes (rimes pour l’œil, symbolique...).


L’année 1870 marquera un tournant dans leur œuvre. Pour Rimbaud, ce sera, au mois d’octobre, la constitution du « Cahier de Douai » : s’il contient Soleil et Chair (reprise édulcorée de Credo in unam) et quelques pièces hugoliennes, Rimbaud n’y a pas recopié Les Etrennes des orphelins, conscient peut-être qu’un tel pastiche, si réussi soit-il, n’avait plus sa raison d’être parmi des textes où, déjà, apparaissent des motifs impressionnistes et dans lesquels les tons bleus prévalent. Rimbaud avait lu et apprécié les Fêtes galantes de Verlaine (cf. sa lettre à Izambard du 25 août 1870). Des poèmes d’extérieur apparaissent où la lumière, comme dans les toiles impressionnistes, joue le premier rôle : les cheveux « bleus » de la dryade et le sol vert qui « palpite » dans Credo in unam significativement rebaptisé Soleil et Chair ; les cafés aux « lustres éclatants » qui, à la fin du poème, se muent en « cafés éclatants » dans Roman ; le rayon de soleil « couleur de cire » de Première Soirée ou « arriéré » de Au Cabaret-Vert, le « bleu » du matin et de l’herbe dans Les Reparties de Nina [12], la lumière qui « pleut » dans un « val qui mousse de rayons » (Le Dormeur du val) ou encore « l’air bleu [qui] baigne un fouillis de fleurs » dans Les Chercheuses de poux... nous sommes déjà dans l’univers de taches colorées et des confusions de sensations visuelles, auditives et tactiles des toiles de Monet ou du Moulin de la Galette de Renoir (1876).


Le poème Sensation revêt à cet égard une importance particulière, ne serait-ce que par son titre, une nouveauté du « Cahier de Douai », qui tend, sous ce terme générique, à condenser les impressions du poème sous la forme ramassée de la perception physique immédiate. Il s’agit bien de l’expérience impressionniste et les corrections nous l’assurent encore davantage : les soirs, de « beaux » deviennent « bleus », l’amour n’ « entre » plus dans l’âme, il y « monte » [13].


Pour Cézanne, les années 1870 sont celles du travail avec Pissarro ; l’Aixois s’installe à Pontoise en 1872. Sa palette s’éclaircit, il se décide à travailler en plein air, sur le motif. Peu à peu, il délaisse les sujets littéraires et s’attache à rendre avec délicatesse les variations de couleur produites par la lumière changeante ; pour autant ne fera-t-il jamais siens les papillotements lumineux de Monet ; ses compositions restent structurées avec soin et cette exigence de rigueur apparaît dans son Paysage de la mer à l’Estaque (C.R.44, 1876), où il se démarque des fractionnements colorés des paysages impressionnistes. Loin d’analyser infiniment les mutations des formes sous l’action de la lumière, Cézanne tente une synthèse, un condensé de sensations. Dans une lettre sarcastique mais perspicace adressée à Pissarro, Gauguin soupçonne le sens de la recherche formelle de Cézanne, sa quête de la « formule » permettant de « comprimer l’expression outrée de toutes ses sensations dans un seul et unique procédé » [14].


D’où cette pesanteur du monde cézannien, créé avant tout en vue de restituer le réel dans son intégralité, et non tel que notre perception immédiate le restreint. Monde actif de sensations concrètes et non d’impressions fugaces et passives, aussi éloigné des évanescences d’un Monet que les derniers vers de Rimbaud des reflets verlainiens [15].


Cézanne ne s’engagera donc pas dans ce qui lui paraît, de son point de vue de plasticien, l’impasse impressionniste. « Je m’ingénie toujours à trouver ma voie picturale », écrit-il à Zola [16]. Au début des années 1880, il découvre la touche dite « constructive », lecture nouvelle et décisive du réel puisqu’elle parvient à le définir fidèlement sans le copier. C’est l’époque du Pont de Maincy (C.R.57), du Château de Médan (C.R.69), des Maisons en Provence (C.R.71) : les volumes s’expriment en termes de rythmes et de plans colorés, l’espace est entièrement décomposé, puis reconstruit selon un principe d’organisation qui privilégie le rendu de la sensation au détriment des données réelles. « Peindre d’après nature, ce n’est pas copier l’objectif, c’est réaliser ses sensations. » [17] La formule, souvent reprise par Cézanne dans sa Correspondance, exprime sous forme paradoxale toute la difficulté de son art [18]. Les Sainte-Victoire de 1882-1890 (C.R.89-92-93-95) ne se contentent plus de mimer le réel comme le ferait un paysage de Pissarro, elles en proposent une lecture intellectuelle, fondée sur « la logique des sensations organisées » [19].


Le problème du rapport entre la sensation et le réel, au cœur de la recherche cézannienne, est celui même que soulève Rimbaud dans les lettres dites du « voyant » : « Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens » (Lettre à Demeny du 15 mai 1871, nous soulignons). Ces épithètes, omises dans la lettre à Izambard écrite peu avant, soulignent l’importance de la recherche formelle et la nécessité paradoxale d’une logique au sein même de la sensation. Celle-ci, chez le peintre comme le poète, possède un ordre propre, impérieux, en travail dans chaque œuvre de leur dernière période et qui leur permettra, nous le verrons, de dépasser les contraintes du sens et d’explorer l’invisible et l’inconnu. En 1871, l’expérience rimbaldienne de la « voyance » est donc commencée : les exercices rhétoriques des années d’apprentissage et les palpitations colorées du « Cahier de Douai » ne sont plus de rigueur quand il s’agit de « chercher » son âme, de la « tenter », de « l’apprendre » (cf. sa Lettre du 15 mai 1871). Les poèmes de la fin de l’année 1871 et du début de 1872 [20] révélaient déjà une certaine liberté métrique (Tête de faune) et une nouveauté dans le choix des images (Le Bateau ivre), annonciatrices des œuvres ultimes. Quant aux vers de 1872, qui se caractérisent par le choix de l’impair, une versification et un sens très libres, ils nous semblent davantage relever, à ne considérer que leur seule facture, de l’esthétique des Illuminations plutôt que de celle des poèmes de l’année précédente. C’est pourquoi, en dépit du bilan proposé par Rimbaud dans Alchimie du verbe (Une Saison en enfer) [21], nous choisissons d’étudier ces « Vers nouveaux », non tel le fruit d’un art ancien qu’il semblerait congédier, mais comme l’expérience entreprise sous les espèces du vers, pour certaines pièces du moins, de la formule tentée dans ce que Verlaine qualifiait de « la plus haute ambition arrivée de style » [22] : Les Illuminations.


Cézanne et Rimbaud, on le voit, n’ont jamais cessé d’éprouver des formes et de modifier leur propre façon, pressés tous deux de trouver la « formule » (l’expression leur est commune). Ils reçoivent l’héritage romantique et découvrent les expériences réalistes et parnassiennes [23] en même temps, dans les années 1860 ; factures autour desquelles ils s’empressent et qu’ils exaltent jusqu’à les laisser moribondes. De même, adapteront-ils les techniques impressionnistes à leur propre système de représentation, à partir de 1870 [24]. La plastique « ancienne », celle d’un Delacroix ou d’un Victor Hugo, a été travaillée jusqu’à l’outrance du pastiche ; au contraire de Verlaine englué dans ses colloques sentimentaux ou de Renoir successeur avoué de la peinture décorative du XVIIIe siècle [25], Cézanne et Rimbaud ne cessent de défaire des formes et d’en composer de nouvelles, comme s’ils pressentaient que, de cette poursuite plastique incessante, pouvait résulter une meilleure appréhension du réel, une véritable « réalisation des sensations » pour reprendre l’expression cézannienne. Toutes ces recherches qui s’enfantent sans trêve finissent par aboutir aux dernières œuvres de Cézanne, celles des années 1890-1906, et aux « Vers nouveaux » comme aux Illuminations de Rimbaud qu’on date très approximativement des années 1872-1873 [26].


Les « Vers nouveaux » et les Illuminations de Rimbaud, comparés aux dernières huiles et aquarelles de Cézanne des années 1880 jusqu’à sa mort, offrent, aux problèmes de facture, des solutions d’une similitude troublante. Nous les rangerons sous trois chefs, en reprenant des formules du poète et du peintre : « L’informe », « La naissance éternelle », « Le chaos irisé » [27].



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Notes

[1M. Paul Cézanne, un tempérament de grand peintre qui se débat encore dans des recherches de facture, reste plus près de Courbet et Delacroix » ; in Zola, « Le Naturalisme au Salon », 19 juin 1880 ; repris dans Lettre de Cézanne à Zola, 19 juin 1880, in Cézanne, Correspondance, éd. Rewald, Grasset 1978, p.192.

[2Lettre de Cézanne à Zola, 24 septembre 1879, Correspondance, ibid., p. 185.

[3Lettre de Rimbaud à Demeny, 15 mai 1872, in Rimbaud, Œuvres, éd. S. Bernard -A. Guyaux, Garnier, 1991, p. 351.

[4Cf. notre Tableau ci-dessous qui, rapprochant quelques étapes à nos yeux significatives, met leurs recherches en parallèle. La chronologie cézannienne étant presque aussi incertaine que celle de Rimbaud, il va de soi que les dates proposées sont sujettes à caution. S’agissant de la datation rimbaldienne, nous suivons de près, jusqu’à la Saison, celle procurée par J.-L. Steinmetz pour les éd. Garnier-Flammarion (1989).

[5Baudelaire, « L’œuvre et la vie d’Eugène Delacroix » (1863), article nécrologique repris dans Curiosités esthétiques, éd. H. Lemaître, Garnier, 1962, p. 424.

[6Les titres des tableaux sont ceux du Catalogue de l’Exposition Cézanne (Paris, Londres, Philadelphie), établi par F. Cachin et J. Rishel, éd. de la Réunion des Musées nationaux, 1995. Ces références (notées C.R. dans la présente étude) sont elles-mêmes fondées sur le travail de J. Rewald, The paintings of Paul Cézanne, a catalogue raisonné, New-York, Harry H. Abrams, 1996. Que les Commissaires de cette exposition, Françoise Cachin et Joseph Rishel, ainsi qu’Elizabeth Easton, Conservateur associé au Département de peinture et sculpture européennes du Musée Brooklyn à New-York, Sae Hayashi, Vice-Conservateur du Musée d’art moderne de Yokohama et Yoshio Abe, Directeur de l’institut de littérature française à l’Université Sophia de Tokyo, trouvent ici l’expression de mes remerciements pour l’aide qu’ils m’ont accordée tout au long de ce travail. Toute ma gratitude va également à trois grands rimbaldiens, Pierre Brunel Professeur à l’Université Paris-IV, Steve Murphy, Rédacteur en chef de Parade sauvage et Yves Bonnefoy Professeur au Collège de France, pour leurs encouragements et leur soutien.

[7« Nature morte accaparée par le noir », écrit Rilke à son épouse Clara, Lettre du 4 novembre 1907, in Rilke, Lettres sur Cézanne (1952), coll. « L’Ecole des lettres » (trad. Jaccottet), Le Seuil, 1995, p. 123.

[8On se souvient de Huysmans décrivant la frénésie de la première facture cézannienne : « Dans des compotiers de porcelaine ou sur de blanches nappes, des poires et des pommes brutales, frustes, maçonnées avec une truelle, rebroussées par des roulis de pouce », in « Trois peintres », La Cravache, 4 août 1888, repris dans Certains (Garnier-Flammarion, 1975, p. 308).

[9C’est la formule rimbaldienne désignant la poétique des Châtiments ; cf. Lettre du 15 mai 1871, op. cit., p. 350. Leurs goûts littéraires ne différaient guère, si l’on en croit le témoignage d’Emile Bernard : l’admiration de Cézanne pour Baudelaire était aussi grande que sa lassitude devant « la boursouflure » de La Légende des siècles ; cf. Conversations avec Cézanne, éd. P. M. Doran, Macula, 1991, p. 71.

[10Cf. Lettre du 10 juin 1871, éd. J.-L. Steinmetz, G.F., p. 167.

[11« Une facture solide, même un peu trop, qui dit l’extrême jeunesse de l’auteur quand il s’en servit d’après la formule parnassienne exagérée. » ; Préface aux Poésies complètes de Rimbaud, (1895), in Verlaine, Œuvres en prose complètes, éd. J. Borel, Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p. 966.

[12La prééminence du bleu dans le chromatisme rimbaldien mériterait à elle seule une étude comparée avec les bleutés cézanniens, au sein d’une « histoire du bleu » dont rêvait Rilke, cf. sa Lettre du 8 octobre 1907 op. cit., p. 55.

[13Pour ces corrections, cf. l’éd. S. Bernard-A. Guyaux, op. cit., p. 39.

[14Lettre de Gauguin à Pissarro (juillet 1881), Merlhés, 1984, n° 16, p. 21.

[15Rimbaud, lui aussi, cherche à résumer le « tout » ; cf. Lettre à Demeny, op. cit., p. 349 : « Cette langue sera de l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. »

[16Op. cit., Lettre de Cézanne à Zola du 24 septembre 1879, Corr. p. 85.

[17Emile Bernard, Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 36.

[18Cf. Merleau-Ponty : « Sa peinture serait un paradoxe : rechercher la réalité sans quitter la sensation », in « Le doute de Cézanne » (1945), Sens et Non-sens, Gallimard, « Bibliothèque de philosophie », 1996, p. 17.

[19Emile Bernard, Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 36. Pour cette période cruciale du travail cézannien, cf. R. Shiff : « The association of natural light with bright hues became so strong for him that such color, even in a pattern of harsh contrasts with few if any “broken” passages, seemed itself to unify a picture » ; in Cezanne and the End of Impressionism, The University of Chicago Press, 1986, p. 208.

[20Nous suivons ici la datation adoptée par J.-L. Steinmetz (éd.G.F., op. cit.).

[21Une Saison en enfer, que nous n’examinerons pas comme une étape formelle, mais que nous envisageons comme « une espèce de prodigieuse autobiographie psychologique » (Verlaine, in « Arthur Rimbaud [1884] », Œuvres en prose complètes, « Bibliothèque de la Pléiade », op. cit., p. 802).

[22Verlaine préfaçant la première édition (1886) des Illuminations, ibid., p. 631.

[23Le Parnasse, qui fut une manière de « naturalisme poétique », « l’accompagnement poétique du réalisme » ; in « La poésie parnassienne », Histoire de la littérature française, t. II, P. Brunel, éd. Bordas, 1986, p. 500.

[24On voudra bien pardonner la simplification, à dessein extrême, de cette mise en parallèle (cf. Tableau) ; si dense est la chronologie rimbaldienne que la comparaison avec Cézanne semble téméraire : mais, comme le remarque André Guyaux, « il est souvent possible d’observer, dans la poésie de Rimbaud, et malgré sa périodicité serrée, des évolutions irrépressibles » (in Notice aux « Derniers Vers », (Œuvres, éd. S. Bernard-A. Guyaux, op. cit., p. 139). Dans la même mesure, l’évolution formelle de Cézanne est loin d’être linéaire : son retour aux teintes foncées et aux compositions opaques, vers 1890, le démontre assez ; voir M. Hoog, Cézanne, Gallimard, « Découvertes », 1993, p. 102. Toutefois, ces deux plasticiens ne stagnent ni ne rétrogradent jamais et leurs errances mêmes fertilisent leurs recherches.

[25« Je voudrais bien refaire de la décoration comme Boucher, transformer des murs entiers en Olympe, quel rêve ! » Jean Renoir, Renoir, Paris, 1962, p. 98. Dans une lettre à Bérard du 27 avril 1893, il compare même ses peintures à des « Jean Goujon épatants ». N’est-il pas frappant de constater que Verlaine se réclame de cette même tradition de l’art décoratif et que l’auteur des Fêtes galantes est aussi parent de Watteau que Renoir de Clodion ou de Boucher ? Jamais Cézanne et Rimbaud ne se reconnaîtront pour héritiers de cette peinture d’agrément.

[26A ne considérer que le « matériel métrique » utilisé, les Illuminations et les « Vers nouveaux » sont étroitement liés ; voir le travail précis de A. Fongaro et sa conclusion. Les Illuminations sont « le résultat de retouches et d’additions successives s’étendant sur deux ou trois ans, au gré des reprises » ; cf. A. Fongaro, Segments métriques dans la prose d’’Illuminations, Presses universitaires du Mirail-Toulouse, 1993, p. 51. Nous essaierons de montrer que les « Vers nouveaux » sont probablement, en partie, les fruits du même labeur ; l’on peut ainsi présumer que leur élaboration s’est poursuivie au-delà de la Saison. L’ « Alchimie du verbe », dans cette hypothèse, représenterait, non un bilan impossible à dresser pour ce plasticien toujours insatisfait, mais une sorte de halte imposée à un galop prodigieux : celui d’une parole d’une célérité telle (« Que comprendre à ma parole ? Il fait qu’elle fuie et vole ! », Bonheur), qu’il n’est plus d’autre recours, pour la périmer, que d’en interrompre le cours précipité, la saisir et la congédier sous la forme impatiente d’un adieu à la littérature. Dégagement suprême, de soi-même comme de ses propres découvertes et expérimentations, effort inouï qui lui permettra de savoir « saluer la beauté » (Délires II)

[27Citations empruntées respectivement : à la Lettre dite « du voyant » : « Si ce que [le] poète rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe, il donne de l’informe » (op. cit., p. 349) ; au poème Villes (II) : « la naissance éternelle de Vénus » ; aux propos de Cézanne, sans doute enjolivés, rapportés par Gasquet : « Je ne fais plus qu’un avec mon tableau. Nous sommes un chaos irisé » ; Conversations avec Cézanne, op. cit., p. 112.

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