Ce texte correspond au chapitre 4 de l’ouvrage suivant : E. Prak-Derrington, Magies de la répétition, Lyon, ENS Editions, 2021, 406 p. Il est disponible intégralement ici.
Les figures proposées pour illustrer les lois particulières de la Gestalt au chapitre précédent illustraient notre perception visuelle, la structuration de l’espace ; or la parole se déroule dans le temps. La répétition figurale structure le temps autrement que ne le fait la parole à vocation prioritairement informative, c’est en cela qu’elle se distingue de la répétition du signifié. On sait en effet que l’organisation réticulaire du texte n’est pas réservée aux textes répétitifs, et sur le plan sémantique, tout texte atteste une structure réticulaire. C’est par la répétition que des énoncés isolés accèdent au statut de texte :
L’organisation réticulaire du texte est en parfaite congruence avec l’étymologie du mot texte. C’est bien un tissu de phrases enchevêtrées, une trame, une texture, toute une construction et une conception d’un objet complexe que met en évidence l’analyse de la répétition dans les discours. (Legallois 2006, p. 70)
Certains textes toutefois exhibent plus que d’autres leur statut de « tissu », ce qui justifie, à côté du simple terme de répétition, celui de « répétition réticulaire ». Pour Dominique Legallois, procèdent d’une organisation réticulaire les phrases « ayant au moins trois lexèmes en commun » (ibid.), que ces derniers soient substitutifs ou non substitutifs (voir chapitre 1). Legallois définit la répétition réticulaire comme « relation particulière de cohésion », et maintient donc une interprétation sémantique dans la tradition de Michael A. K. Halliday et Ruqaiya Hasan (« The concept of cohesion is a semantic one », 1976, p. 4) :
nous devons expliquer ce que nous entendons par répétition. Nous utilisons le terme parce qu’il convient moins mal que d’autres ; mais la répétition dont nous parlons n’est pas nécessairement une répétition à l’identique. Répétition désignera ici une relation particulière de cohésion, un phénomène par lequel dans un texte donné 1) une unité lexicale est reprise sous la même forme ou sous une forme dérivée ; 2) un contenu informationnel est repris en totalité ou partiellement par une unité sémantique apparentée […] par une ellipse, par une anaphore. (Legallois 2006, p. 56, je souligne)
L’appréhension gestaltiste impose de regarder différemment la répétition à l’identique, soumise au primat de la perception. Avec elle, l’organisation en unités sonores, qu’elles soient ou non sémantiques (voir au chapitre 2 le cas des comptines, virelangues, nonsense, etc.), passe au premier plan : le concept de cohésion, de sémantique, devient rythmique. Ce chapitre explore de quelle manière cette cohésion prioritairement rythmique s’inscrit dans le discours ; il est structuré en deux volets, théorique et pratique. [...]