Cet article présente le texte original (mis à jour en novembre 2017) de la communication de Laurent Calvié (« La tradition indirecte des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène de Tarente ») à Palimpsests Two : An International Symposium on Commentary Literature in the Ancient Near Eastern and Ancient-Medieval Mediterranean Cultures, organisé par le CPAF-UMR 7297, CNRS-Aix*Marseille Université (25-27 septembre 2008) ; une version anglaise, légèrement abrégée (« The Indirect Tradition of ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα of Aristoxenus of Tarentum »), en a déjà été publiée dans S. Aufrère (éd.), On the Fringe of Commentary : Metatextuality in Ancient Near Eastern and Ancient Mediterranean Cultures, Louvain, Peeters, coll. « Orientalia Lovaniensia Analecta » (232), 2014, p. 329-343. Nous remercions Laurent Calvié de nous avoir autorisé à le reproduire ici.
Les philologues classiques ont coutume de réduire l’extension du concept de tradition indirecte aux seuls citations, morceaux choisis, commentaires et traductions d’une œuvre donnée [1]. Or, ainsi entendue, la tradition indirecte des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène de Tarente, une fois passée au crible de la critique la plus exigeante, se réduirait à un ensemble vide, puisqu’on n’a conservé de ce traité ni traduction [2], ni commentaire proprement dit (σύγγραμμα ou ὑπόμνημα), ni anthologie, ni citation littérale et expresse : leur titre ne nous est même connu que par les trois manuscrits qui en forment toute la tradition directe [3]. Il n’en subsiste pas moins tout une série de textes antiques et médiévaux qui entretiennent avec celui-ci des relations du type de ce que Genette appelait naguère la transtextualité ou la « transcendance textuelle du texte », c’est-à-dire « tout ce qui le met en relation, manifeste ou secrète, avec d’autres textes » [4] ; forment ce que je nomme pour ma part sa tradition indirecte ; et relèvent assurément du palimpseste et de la littérature du commentaire. Les éditeurs des ῾Αρμονικὰ στοιχεῖα du disciple d’Aristote ont été confrontés à un semblable problème et la dernière en date, Da Rios, l’a résolu en faisant suivre son édition critique des larges fragments de ce traité de ce qu’elle appelle les Testimonia de rebus ad harmonicam doctrinam pertinentibus [5]. Ce faisant, elle a dû renoncer à distinguer les citations proprement dites du texte aristoxénien, qui relèvent de ce que Genette nomme l’intertextualité (« la présence effective d’un texte dans un autre »), des témoignages de toutes sortes sur sa doctrine musicale, qu’ils entretiennent avec ses ῾Αρμονικὰ στοιχεῖα une relation métatextuelle de commentaire (« qui unit un texte à un autre texte dont il parle, sans nécessairement le citer […], voire, à la limite, sans le nommer ») ou d’hypertextualité (« relation unissant un texte B […] à un texte antérieur A […] sur lequel il se greffe d’une manière qui n’est pas celle du commentaire » [6]). Dans le cas de testimonia qui, pour la plupart, n’avaient jusque-là jamais été rassemblés et forment une masse textuelle beaucoup moins importante que les fragments transmis par la tradition directe, c’est là un moindre défaut, car ils n’apportent en quelque sorte qu’un supplément d’information sur la théorie harmonique d’Aristoxène. Il en va tout autrement des témoignages relatifs à son enseignement rythmique en général et de la tradition indirecte de ses ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα en particulier, qui représentent une masse textuelle deux à trois fois supérieure à celle de la version la plus longue de leur seul véritable fragment, laquelle est conservée aux feuillets 314 à 316 du Vaticano, BAV, Ms. gr. 191 (xiiie s.). Si l’on peut ainsi reconstituer la presque totalité de la doctrine harmonique du disciple d’Aristote d’après la seule tradition directe de ses ῾Αρμονικὰ στοιχεῖα, celui qui veut restaurer ne serait-ce que l’économie générale de son grand traité de rythmique ne se peut en revanche dispenser de recourir continuellement aux renseignements qu’a seule conservés sa tradition indirecte. Il est donc nécessaire d’étudier précisément celle-ci et de distinguer en son sein les citations littérales, les libres extraits, les paraphrases, les résumés, les suppléments et les remaniements d’un texte dont ne subsiste plus par ailleurs qu’un lambeau du début du livre ii. C’est en effet faute de s’être sérieusement attelés à cette tâche que les philologues, persuadés d’être en terrain connu, n’ont fait, depuis près d’un siècle et demi, que propager comme une sorte de vulgate l’interprétation westphalienne (voire bœckienne) [7] de la rythmique aristoxénienne, dont-ils n’ont de la sorte jamais pu mesurer la subjectivité, l’inconstance et l’arbitraire. Ils se sont ainsi contentés de l’amender ponctuellement, au gré de leur propre compréhension de ce qu’on peut appeler l’Aristoxène de Westphal. Le nécessaire dépassement de celui-ci nécessite de procéder à une sorte de table rase et d’avancer à tâtons dans un champ que l’on doit regarder comme exotique. C’est une tâche difficile où la prudence est de règle et où l’on doit sans cesse remettre en question ce qu’on tenait précédemment pour acquis. L’herméneute critique a beau vouloir se défaire ou, du moins, se rendre maître de ses préjugés interprétatifs, il reste toujours un peu l’esclave de ses lectures. La présente communication vise donc à illustrer la complexité de la transtextualité d’un texte éminemment fragmentaire tel que les ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène de Tarente et à mettre en évidence les différents types de pièges menaçant le philologue qui en entreprend l’étude. L’impératif de clarté m’a cependant imposé de me limiter à un choix d’exemples simples et peu nombreux, répartis en deux sections (les problèmes d’intertextualité et les questions d’hypertextualité), auxquelles j’ai ajouté quelques remarques sur le seul Περὶ ῥυθμικῆς d’Aristide Quintilien, car cet abrégé doit être, selon moi, la pierre de touche de toute reconstitution de la rythmique d’Aristoxène.
Sans parler du fragment rythmique porté par le P.Oxy. 9 + 2687 [8], qui ne doit en aucun cas être attribué à Aristoxène ni à l’un de ses sectateurs, mais à un sophiste de la fin du Ve siècle avant notre ère (Hippias, par exemple) [9], Pearson a reproduit parmi ses Additional Evidence for Aristoxenean Rhythmic theory [10] une citation Περὶ τοῦ πρώτου χρόνου qu’on trouve dans l’Εἰς τὰ ῾Αρμονικὰ Πτολεμαίου ὑπόμνημά de Porphyre [11]. Il y a joint une traduction en anglais, mais pas de commentaire, si bien que le lecteur peut à sa guise rêver que cette citation constitue un chapitre perdu des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα, comme on l’a cru jadis [12] ; « un’altra opera aristossenica di argomento ritmico », comme on l’a depuis affirmé [13] ; ou un extrait d’un ouvrage quelconque du disciple d’Aristote, comme c’est sans doute le cas [14]. Il est pourtant certain, ainsi que l’a le premier démontré Westphal [15], que Porphyre ne cite pas là un passage des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène, parce que le système d’énonciation que suppose ce passage, où l’auteur parle par exemple à la première personne du singulier, est incompatible avec celui qu’on observe dans le fragment conservé de ses ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα, où il emploie la première personne du pluriel [16]. Tout passage rythmique attribué à Aristoxène n’appartient donc pas nécessairement à ses ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα. Dans ses très nombreux livres (453, suivant la Souda) [17], il usait en effet fréquemment d’analogies tissées entre les deux principales disciplines musicales : le fragment rythmique conservé par le Venezia, BNM, Ms. gr. vi 3 (xiie s.) et le Vaticano, BAV, Ms. gr. 191 en témoigne lui-même, qui présente deux développements relatifs à l’harmonique (§ 8-14 et § 21), tout comme ses ῾Αρμονικὰ στοιχεῖα, qui contiennent un assez long développement rythmique (B 34) [18]. On m’a ainsi reproché naguère de n’avoir pas compté un paragraphe du Περὶ μουσικῆς de Plutarque (1143 D) au nombre des fragments du livre i des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène : ce passage ne m’avait nullement échappé, mais, à l’instar de Westphal, Weil et Reinach [19], j’estimais que Plutarque reproduisait là un extrait d’un autre ouvrage du rythmicien grec. La seule citation expresse d’Aristoxène à nous avoir ainsi transmis avec une très grande probabilité un passage perdu de ses ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα figure au § 1 des Προλαμβανόμενα εἰς τὴν ῥυθμικὴν ἐπιστήμην de Michel Psellos (XIe s.). Bien qu’elle appartienne à la catégorie genettienne des « citations sans référence précise », puisqu’elle est introduite par un simple ὁ δέ γε Ἀριστόξενος [20], elle se rattache assurément au premier livre de ce traité, ainsi que l’ont tour à tour soutenu Cæsar, Bartels et Westphal [21]. Elle précède en effet une longue série d’extraits du rythmicien antique dénués de toute référence, mais par ailleurs généralement conservés par la tradition directe de ses ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα ou attestés par d’autres pièces de leur tradition indirecte. Westphal et Bartels estimaient cependant que la définition aristoxénienne du rythme rapportée par Bacchios l’Ancien (Κατὰ δὲ Ἀριστόξενον, χρόνος διηρῃμένος ἐφ᾽ ἑκάστῳ τῶν ῥυθμίζεσθαι δυναμένων) [22] appartenait aussi à cette catégorie des citations des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα sans référence précise et la considéraient ainsi comme un autre fragment de leur livre i [23]. La chose ne va pourtant pas de soi, si l’on songe que les concepts qui soutendent cette définition (ὁ χρόνος, ἡ διαίρεσις et τὰ ῥυθμιζόμενα) ne sont eux-mêmes construits qu’au début du fragment conservé de leur livre ιι. Il pourrait donc s’agir plutôt d’une reformulation synthétique due à Bacchios lui-même ou à une source intermédiaire : elle ne relèverait dès lors plus de la citation, c’est-à-dire de l’intertextualité, mais de l’une des formes d’hypertextualité que Genette appelle « la translongation, ou transformation quantitative » et qui consiste en un résumé du texte de référence [24]. Il s’agirait ainsi d’une maladroite synthèse de deux énoncés par ailleurs conservés dans le fragment du livre ιι des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène : τὸν ῥυθμὸν γίνεσθαι, ὅταν ἡ τῶν χρόνων διαίρεσις τάξιν τινὰ λάβῃ ἀφωρισμένην (§ 7) et διαιρεῖται δὲ ὁ χρόνος ὑπὸ τῶν ῥυθμιζομένων τοῖς ἑκάστου αὐτῶν μέρεσιν (§ 9) [25]. Or, cette hypothèse me paraît être confirmée par la définition du rythme que Syrianos, un scholiaste d’Hermogène et Maxime Planude attribuent tous trois expressément à Aristoxène, laquelle intègre dans la précédente la suite du § 9 des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα (ἔστι δὲ τὰ ῥυθμιζόμενα τρία, λέξις, μέλος, κίνησις σωματική) et réduit le tout à la notion de χρόνων τάξις : ῥυθμὸς δέ ἐστι χρόνος διῃρημένος ὑπὸ λέξεως ἢ μέλους ἢ κινήσεως κατὰ τινα τάξιν ὡρισμένην λόγῳ, ὡς δὲ Ἀριστόξενος καὶ Ἡφαιστίων φασὶ, χρόνων τάξις [26]. Un tel énoncé ne se distingue cependant de toute une série de définitions du rythme que par sa référence explicite à sa source (ὡς δὲ Ἀριστόξενος). Du point de vue du contenu et de l’expression, il n’est en effet ni plus ni moins aristoxénien que celle que rapporte Aristide Quintilien dans le Περὶ ῥυθμικῆς qui occupe le centre du premier livre de son Περὶ μουσικῆς (ι, 13) : ῥυθμὸς τοίνυν ἐστὶ σύστημά ἐκ χρόνων κατά τινα τάξιν συγκειμένων [27]. Et l’on pourrait affirmer la même chose de celle que produit Sextus Empiricus dans son Πρὸς μουσικούς (60), suivant laquelle ῥυθμὸς σύστημά ἐστιν ἐκ ποδῶν, puisque οἱ πόδες ἐκ τῶν χρόνων γίνονται [28], comme l’ajoute le philosophe sceptique, qui résume assurément là la doctrine aristoxénienne [29]. Ne lit-on pas d’ailleurs dans le passage de l’ὑπόμνημά de Porphyre où il cite littéralement un Περὶ τοῦ πρώτου χρόνου d’Aristoxène : πάντες οἱ ῥυθμοὶ ἐκ ποδῶν τινων σύγκεινται [30] ? Le procédé qui consiste en de telles reformulations était une pratique courante non seulement dans l’Antiquité, où l’on citait le plus souvent de mémoire, mais encore à l’époque byzantine, où l’encyclopédisme prit parfois la forme de collections d’excerpta plus ou moins réélaborés. On lit ainsi, au § 3 des Προλαμβανόμενα de Psellos : ἔστι δὲ ὁ μὲν ῥυθμὸς σύστημά τι συγκειμένον ἐκ χρόνων κατά τινας τρόπους ἀφωρισμένους· οὐ γὰρ πᾶσα χρόνων σύνθεσις ἔνρυθμος [31] ; et ce n’est certainement pas là une citation d’un passage perdu des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène, mais une reformulation synthétique de leur § 7, à laquelle l’excerpteur a en outre joint une semblable reformulation du début de leur § 8 (Πιθανὸν μὲν οὖν καὶ χωρὶς λόγου τὸ μὴ πᾶσαν χρόνων τάξιν ἔνρυθμον εἶναι). Le même argument s’applique également à la définition du rythme rapportée par les Scholia Londinensia à Denys le Thrace : ῥυθμός ἐστι σύστημα συγκειμένον ἐκ χρόνων, οὐ πάντως συγκειμένων πρὸς ἀλλήλους· οὐ γὰρ πᾶσα χρόνων σύνθεσις ἔρρυθμος [32] ; mais aussi à toutes les variations opérées sur la reformulation hérophilienne de la définition aristoxénienne du rythme [33], comme celles qu’on lit dans les Definitiones medicæ attribuées à Galien [34]. L’intertextualité de ce traité se révèle donc n’être finalement guère plus riche que sa métatextualité et l’analyse des définitions du rythme attribués expressément ou non au disciple d’Aristote débouche ainsi sur le vaste champ de l’hypertexte des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène, lequel est bien entendu formé de tous les textes qui s’y rattachent d’une manière qui n’est ni celle de la citation, ni celle de la traduction, ni celle de ce que l’on appelle ordinairement le commentaire.
À cet hypertexte appartiennent assurément la majeure partie des extraits rythmiques des Fragmenta Neapolitana, dont je dirai un mot plus loin, et la presque totalité des Προλαμβανόμενα de Psellos, dont j’ai récemment donné une édition critique, accompagnée d’une traduction en français et d’une étude approfondie [35]. J’y ai montré qu’il ne s’agit pas d’un traité de rythmique en bonne et due forme, mais du brouillon d’un opuscule épistolaire inachevé, auquel sont jointes les notes de lecture prises par le polygraphe byzantin en vue de la rédaction de la suite de sa lettre ; et que ces notes de lecture consistent en une série d’extraits des seuls ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène, auxquels l’excerpteur s’est contenté d’ajouter une réminiscence d’Aristote, dont je parlerai plus loin. Cet opuscule inachevé appartient donc au même groupe de petits traités en forme de lettres que ceux qu’ont édités Bidez, Aujac, Gautier et O’Meara et qui dérivent de Denys d’Halicarnasse, de Longin, de Jamblique ou de Proclos [36]. On y voit ainsi à l’œuvre la méthode d’extraction déjà décrite par les quatre éditeurs susdits : l’épitomateur abrège son modèle en laissant de côté les digressions analogiques de celui-ci, ses exemples, ses objections par prétérition et ses renvois internes ; le reproduit tantôt littéralement, tantôt sous une forme simplifiée ; et adapte sa syntaxe aux besoins de ses divers raccourcis ; le tout, en intervenant le moins possible sur le texte original. Son travail consiste donc essentiellement en cette espèce de translongation que Genette appelle réduction. Là où Aristoxène écrit par exemple (§ 3) : Νοητέον δὲ δύο τινὰς φύσεις ταύτας, τήν τε τοῦ ῥυθμοῦ καὶ τὴν τοῦ ῥυθμιζομένου, παραπλησίως ἐχούσας πρὸς ἀλλήλας ὥσπερ ἔχει τὸ σχῆμα καὶ τὸ σχηματιζόμενον πρὸς αὐτάς (« Il faut aussi concevoir que ces deux natures singulières que sont celles du rythme et de la chose rythmée sont proches eu égard l’une à l’autre, comme le sont la chose figurée et la figure eu égard aux leurs ») ; Psellos note de la sorte (§ 13) : Νοητέον δὲ τόν τε ῥυθμὸν καὶ τὸ ῥυθμιζόμενον παραπλησίως ἔχοντα πρὸς ἄλληλα ὥσπερ ἔχει τὸ σχῆμα καὶ τὸ σχηματιζόμενον πρὸς ἑαυτά (« Il faut aussi concevoir que le rythme et la chose rythmée sont proches l’une de l’autre, comme le sont l’une et l’autre la chose figurée et la figure ») ; donnant ainsi à son résumé la forme d’une inexacte paraphrase. Une différence de taille paraît cependant opposer cet opuscule aux autres petits traités en forme de lettres : c’est que l’excerpteur n’y suit pas l’ordre d’exposition de son modèle, comme l’a le premier remarqué Cæsar [37]. Il n’y a cependant pas là de quoi remettre en cause le genre littéraire ni la source de cet opuscule, car le texte de ce brouillon a lui aussi son histoire : ses cinq blocs constitutifs (A, B, C, D et E) présentent un nombre de lettres tel qu’ils peuvent correspondre à des feuillets séparés de petit format, écrits tantôt recto verso, tantôt sur le recto seul, lesquels auraient par erreur été rangés dans l’ordre A, D, B, E et C [38]. Dans ses Προλαμβανόμενα, Psellos était donc une fois encore tout aussi fidèle à l’ordre de sa source qu’à son contenu. Une fois, cependant, comme il l’a fait également dans son opuscule Περὶ τοῦ φυσικοῦ ἀριθμοῦ publié par O’Meara [39], il en est venu à pallier l’absence de référence à la notion d’ordre (τάξις) dans sa propre reformulation de la définition aristoxénienne du rythme (§ 3), en ajoutant à celle-ci une réminiscence du livre Δ de la Φυσικὴ ἀκροάσις d’Aristote (219a14-219b2), où le temps est précisément défini comme l’ἀριθμὸς κινήσεως κατὰ τὸ πρότερον καὶ ὕστερον. Au § 4 de ses Προλαμβανόμενα, il écrit ainsi, en démarquant le § 18 du fragment conservé des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène (Ὅτι μὲν οὖν ἐξ ἑνὸς χρόνου ποὺς οὐκ ἂν εἴη φανερόν : « Qu’un pied ne saurait procéder d’un temps unique est d’emblée manifeste ») : ὁ δὲ ῥυθμὸς οὐ γίνεται ἐξ ἑνὸς χρόνου, ἀλλὰ προσδεῖται ἡ γένεσις αὐτοῦ τοῦ τε προτέρου καὶ τοῦ ὑστέρου (« Le rythme ne naît pas d’un temps unique, mais sa naissance nécessite un temps antérieur et un postérieur »). C’est tout bonnement là ce qu’on appelle un supplément. Il n’enlève absolument rien à l’aristoxénisme du reste et constitue même un embryon de commentaire de l’ouvrage d’Aristoxène, puisque la rythmique de celui-ci doit précisément être interprétée comme une application au domaine musical de la théorie du temps développée par son maître au livre Δ de sa Φυσικὴ ἀκροάσις. Le § 9 de Psellos, où figure un élément étranger à la doctrine de son modèle, pourrait aussi laisser supposer l’introduction d’un tel supplément. Au très aristoxénien énoncé des trois rapports rythmiques ὅ τε τοῦ ἴσου καὶ ὁ τοῦ διπλασίου καὶ ὁ τοῦ ἡμιολίου (« celui de l’égal, celui du double et celui de l’hémiole »), où l’on retrouve sans peine les données du § 30 du fragment conservé d’Aristoxène (Tῶν δὲ ποδῶν καὶ συνεχῆ ῥυθμοποιίαν δεχομένων τρία γένη ἐστί· τό τε δακτυλικὸν καὶ τὸ ἰαμβικὸν καὶ τὸ παιωνικόν. Δακτυλικὸν μὲν οὖν ἐστι τὸ ἐν <τῷ> ἴσῳ λόγῳ, ἰαμβικὸν δὲ τὸ ἐν τῷ διπλασίῳ, παιωνικὸν δὲ τὸ ἐν <τῷ> ἡμιολίῳ) : « Les pieds, quand ils admettent du moins une rythmopée continue, sont de trois genres : le dactylique, l’iambique et le péonique. Le dactylique est donc dans le rapport égal, l’iambique, dans le double ; le péonique, dans l’hémiole »), l’épitomateur ajoute en effet : γίνεται δέ ποτε ποὺς καὶ ἐν τριπλασίῳ λόγῳ, γίνεται καὶ ἐν ἐπιτρίτῳ [40]. L’ajout d’une telle remarque est toutefois fort peu probable, non point tant parce qu’elle présente une doctrine étrangère à l’orthodoxie aristoxénienne (la rythmicité des rapports triples [3/1] et épitrites [4/3]), que parce que le passage auquel il fait suite (Τῶν δὲ ποδικῶν λόγων εὐφυέστατοί εἰσιν οἱ τρεῖς · ὅ τε τοῦ ἴσου καὶ ὁ τοῦ διπλασίου καὶ ὁ τοῦ ἡμιολίου : « Parmi les rapports constitutifs des pieds, les trois plus naturels sont celui de l’égal, celui du double et celui de l’hémiole ») consiste en une sorte de doublet du § 17 de Psellos, dont la forme est beaucoup plus conforme à celle de l’original : τῶν δὲ ποδῶν τρία γένη ἐστί· τὸ δακτυλικόν, τὸ ἰαμβικόν, τὸ παιωνικόν (« Il y a trois genres de pieds : le dactylique, l’iambique, le péonique »). Il est donc préférable de supposer que ce § 9 ne constitue pas un extrait du § 30 des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène, mais est tiré d’une section perdue du même ouvrage, tout comme les § 8 et § 10-12, qui l’entourent et forment avec lui ce que j’appelle le bloc C [41]. Ainsi s’expliquerait tout naturellement la présence d’un développement analogue dans le Περὶ ῥυθμικῆς d’Aristide Quintilien, où on lit en effet (i, 14) : γένη τοίνυν ἐστι τρία, τὸ ἴσον, τὸ ἡμιόλιον, τὸ διπλάσιον (προστιθέασι δέ τινες καὶ τὸ ἐπίτριτον) [42]. Il n’en a pas fallu davantage à Rossbach et Westphal pour établir l’aristoxénisme de la conception suivant laquelle les rapports triples et épitrites donnaient naissance à ce qu’ils appelaient des « genres rythmiques secondaires » et étaient donc doués de rythme [43], bien qu’Aristoxène affirmât aux § 32 et § 35 de ses ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα que ce n’était pas le cas. Je crois pour ma part qu’Aristide Quintilien s’est montré plus fidèle à la lettre du texte aristoxénien que Psellos, en attribuant à « certains » rythmiciens l’affirmation de l’existence des genres rythmiques du triple et de l’hémiole. Or, ces rythmiciens ne peuvent être que ces κανονικoὶ πυθαγορίζοντες dont Porphyre nous apprend qu’ils défendaient l’identité substantielle et arithmétique du rythme et de la mélodie, qu’ils admettaient ainsi l’épitrite et le triple au nombre des rapports arithmétiques tant des consonances harmoniques que des genres rythmiques et que leur doctrine s’opposait justement à celle d’Aristoxène, qui, se fondant sur le jugement de l’oreille, ne reconnaissait à ces rapports arithmétiques qu’une vertu harmonique [44]. Cela n’implique nullement que Psellos soit allé cherché le prétendu supplément chez Aristide ou Porphyre, à qui il aurait également emprunté son § 11 (Ἔστι δὲ καὶ ἐν τῇ τοῦ ῥυθμοῦ φύσει ὁ ποδικὸς λόγος ὥσπερ ἐν τῇ τοῦ ἡρμoσμένου τὸ σύμφωνον : « Le rapport constitutif du pied est dans la nature du rythme comme la consonance dans celle de la mélodie »). Bélis a en effet souligné depuis longtemps le caractère polémique des ouvrages d’Aristoxène et elle a également montré, comme l’avait précédemment fait Mansion pour Aristote [45], avec quel soin le disciple de celui-ci citait ou résumait les thèses de ses prédécesseurs, avant de les réfuter impitoyablement [46]. Comme il n’y a aucune référence explicite d’Aristoxène aux théories de ses devanciers dans le fragment conservé de son traité de rythmique [47], il se pourrait bien qu’il y en ait eu dans sa partie perdue et qu’il y ait par exemple rapporté la théorie des rapports rythmiques de ses prédécesseurs pythagoriciens, afin de la réfuter ensuite : Aristide Quintilien, Psellos et, peut-être même, Porphyre l’auront trouvée là et reproduite dans leurs propres ouvrages, sans pour autant conserver rien ou presque de la réfutation aristoxénienne subséquente du dogme de l’unité arithmétique de l’harmonique et de la rythmique, lequel leur était cher. Psellos, abrégeant son modèle, aura ainsi mis sur le même plan les trois genres rythmiques aristoxéniens (l’égal, le double et l’hémiole) et les deux rapports rejetés par le disciple d’Aristote (le triple et l’épitrite), parce qu’il adhérait lui aussi à cette thèse pythagoricienne, ainsi que l’atteste assez sa lettre Περὶ πάσης μουσικῆς [48]. De la réfutation aristoxénienne de celle-ci, il aura pour sa part conservé quelques bribes que leur décontextualisation aura rendues insignifiantes : le § 10 (πᾶς δὲ ὁ διαιρούμενος εἰς πλείω ἀριθμὸν καὶ εἰς ἐλάττω διαιρεῖται : « tous pied divisé est divisé en un nombre supérieur et en un inférieur ») et le § 11. Ce qu’on aurait pu prendre pour un supplément apporté par le polygraphe byzantin à son modèle se révèlerait donc être plutôt le résultat du mode de translongation ou de résumé qu’il a adopté (élection de phrases à extraire, omission d’autres, homogénéisation partielle de la forme et du fond). Cette analyse est d’ailleurs confirmée par le fait que les rapports épitrites et triples ne sont plus mentionnés au § 12 de ses Προλαμβανόμενα, où Psellos présente cependant une classification des pieds rythmiques suivant le critère du genre (κατὰ γένος). Comme le savant byzantin ne cherche cependant nullement à donner un véritable commentaire du traité antique, il paraît exclu qu’il ait récapitulé lui-même et réorganisé de la sorte la classification des pieds rythmiques qu’avait proposée Aristoxène dans les derniers paragraphes conservés de son traité (§ 31-36) en adoptant le critère de leur longueur (κατὰ μέγεθος). L’eût-il d’ailleurs fait qu’il n’eût point manqué d’y faire figurer les rythmes épitrites et triples. Pearson suppose donc à juste titre, selon moi, que le § 12 de Psellos est tiré d’un chapitre perdu des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα, où le musicographe antique reformulait lui-même sa classification des pieds rythmiques en adoptant le critère du genre [49]. Cette hypothèse est à son tour confirmée par la présence de développements parallèles à ce passage de Psellos chez Aristide Quintilien (i, 14) et aux § 13-14 des Excerpta Neapolitana), dont les parties rythmiques (§ 9-16 et § 20-22) forment une collection brute d’extraits (pour les uns littéraux, pour les autres adaptés à leur nouvelle fonction) tirés à une date inconnue, mais antérieure au XIIe siècle, des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène [50].
Tout cela m’amène à parler un peu du Περὶ ῥυθμικῆς d’Aristide Quintilien, où se lit justement le développement suivant (i, 14) [51] :
Γένη τοίνυν ἐστὶ τρία, τὸ ἴσον, τὸ ἡμιόλιον, τὸ διπλάσιον (προστιθέασι δέ τινες καὶ τὸ ἐπίτριτον), ἀπὸ τοῦ μεγέθους τῶν χρόνων συνιστάμενα […]· τὸ δ᾽ἐπίτριτον ἄρχεται μὲν ἀπὸ ἑπτασήμου, γίνεται δὲ ἕως τεσσαρεσκαιδεκασήμου.
La dernière partie de cet extrait, qui n’est pas conforme à la doctrine aristoxénienne et ne trouve pas son pendant chez les excerpteurs byzantins, doit bien entendu être regardée comme un supplément apporté à son modèle par le musicographe grec. Comme cette addition, qui vise à intégrer au système aristoxénien les rythmes épitrites considérés par les κανονικoί comme formant une catégorie séparée, dénature en même temps l’enseignement du disciple d’Aristote, elle ne saurait cependant consister en un simple supplément, mais participe assurément d’un véritable remaniement de sa théorie. Or, ce remaniement a un caractère systématique, puisque, dans la section de ce Περὶ ῥυθμικῆς consacrée à l’analyse des rythmes composés (i, 18), la rythmicité du rapport épitrite est de nouveau affirmée, contre l’autorité même d’Aristoxène (§ 35) : μερίζω τὸν ἑπτὰ εἰς τρία καὶ τέσσαρα· σώζεται λόγος ἐπίτριτος, ἐξ οὗ φημι συντίθεσθαι τὸν δεκάσημον [52]. Il n’y a cependant pas lieu d’attribuer l’ensemble de cette théorie des rythmes composés aux adversaires d’Aristoxène, comme l’a récemment fait Gabriella Moretti [53], sous prétexte que le disciple d’Aristote ne reconnaissait pas la rythmicité du rapport épitrite : Aristide peut fort bien avoir conformé la doctrine aristoxénienne à ce dogme canonicien et l’avoir ainsi rendue méconnaissable à des yeux peu avertis de ses pratiques hypertextuelles. Ayant précédemment affirmé que l’épitrite formait un genre rythmique au même titre que l’égal, le double et l’hémiole, et qu’on devait lui rapporter les rythmes de sept et quatorze temps premiers, le musicographe grec, dont on a jadis affirmé qu’il avait « il gusto dell’eclettismo » [54], ne pouvait sans nuire à la cohérence de son exposé, respecter la théorie de sa source première, qu’il devait au contraire systématiquement modifier. Car Aristide Quintilien n’est ni un simple épitomateur, comme Psellos, ni un véritable commentateur d’Aristoxène, ainsi que le nomme abusivement Sauvanet [55], ni un « unwissenden Compilator », comme l’appelait Westphal [56] : c’est un auteur fort savant, qui structure et accorde tout ce que les traditions philosophiques des Pythagoriciens, des Platoniciens, des Aristotéliciens et des Stoïciens ont rapporté de mémorable sur la musique en un système unifié (plus rhétorique souvent que proprement philosophique) que j’ai naguère proposé d’appeler le panmusicalisme [57]. Comme ces enseignements musicaux n’étaient pas toujours univoques, le rhéteur panmusicaliste en a proposé une sorte de synthèse qui, dépassant les querelles d’écoles, pût être admise du plus grand nombre : il n’a ainsi pas hésité à modifier sur des points de détail les théories hétéroclites qu’il introduisait dans un système général à vrai dire assez original. Ainsi défigure-t-il à plusieurs reprises la rythmique aristoxénienne pour la plier à des impératifs purement arithmétiques [58]. Il en résulte quelquefois d’importantes contradictions entre son résumé ainsi réaménagé et sa source principale : mais il n’y a pas là de raison valable pour rejeter en bloc le témoignage d’Aristide Quintilien sur le contenu et l’ordre des matières abordées par Aristoxène dans ses ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα. Lui seul nous a en effet conservé un résumé de leur livre ι et la table des matières du suivant (ι, 13) [59]. Il faut en outre se garder d’imputer à l’auteur du Περὶ μουσικῆς toutes les erreurs et les incohérences que présente son texte. La transmission de celui-ci a elle aussi une longue histoire et la très méritante édition qu’en a procurée Winnington-Ingram est bien loin d’en présenter l’état originel. « Ich demonstrierte meinen Schülern, écrit Nietzsche, die ganze Entwicklung der Metrik von Bentley bis Westphal als Geschichte eines Grundirrtums » [60]. Je crains fort qu’il en aille ainsi aussi du développement de l’interprétation des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène et, par voie de conséquence, de toute la tentative, initiée en Allemagne au xixe siècle, de reconstitution de la rythmique antique. Confondant plus ou moins les notions de rythme et de pied rythmique, les philologues allemands et leurs sectateurs du monde entier, emmenés d’abord par Bœckh, puis par Westphal, ont en effet considéré le chapitre des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα relatif aux pieds rythmiques, en grande partie conservé dans le Vaticano, BAV, Ms. gr. 191 et complété par l’opuscule de Psellos, comme le centre de la théorie rythmique du disciple d’Aristote. Ils ne se sont ainsi pas avisés que près de cinq sections du Περὶ ῥυθμικῆς d’Aristide Quintilien (ι, 14 [fin]-18) ne traitaient pas de ces pieds rythmiques, mais des rythmes eux-mêmes et ils se sont ingéniés à montrer l’hétérodoxie de ce long développement. À l’exception de Weil et de Susemihl [61], ils ont ainsi rejeté en dehors du champ de la rythmique aristoxénienne la théorie des rythmes composés, qui n’a été conservée par nul autre témoin. Comme je l’ai enfin montré récemment, ce rejet les a tous empêchés de donner une interprétation satisfaisante du chapitre sur la métabole rythmique (i, 19), dont-ils avaient cependant admis l’origine aristoxénienne. Aucun d’entre eux n’a en effet remarqué qu’Aristide Quintilien n’y définissait pas cette métabole comme un changement de pieds rythmiques, mais comme un « changement de rythmes » et ils se sont épuisés à corriger le texte éminemment corrompu de ce passage à l’aide de la doctrine aristoxénienne des pieds, au lieu de se reporter à la section d’Aristide relative aux rythmes simples et composés, laquelle doit en outre être complété par la traduction latine de Martianus Capella. Si une bonne part du Περὶ ῥυθμικῆς est de fait consacrée à l’exposé de cette partie centrale de la doctrine aristoxénienne des rythmes (i, 14 et i, 18), il est pourtant vrai que la table des matières du traité, que tous les spécialistes ont identifiée à raison avec celle des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα, ne présente nullement de chapitre relatif aux rythmes et à leurs différences spécifiques. Ce défaut ne saurait bien entendu être imputé à Aristide Quintilien ni à Aristoxène : une rythmique sans étude des rythmes serait en effet aussi absurde qu’une métrique sans étude des mètres ou une harmonique sans étude des harmonies, c’est-à-dire des tons (ou tropes) [62]. La faute en incombe donc sans doute à un ignorant copiste, qui aura accumulé, comme dans bien d’autres passages de la somme musicale d’Aristide, haplographies et confusion de lettres numéraires [63].
Au terme de cette étude, il apparaît donc que la tradition indirecte des ῾Ρυθμικὰ στοιχεῖα d’Aristoxène se réduit pour ainsi dire à leur hypertextualité, laquelle prend trois formes principales : la réduction (omission ou paraphrase), le supplément et le véritable remaniement. La nature presque exclusivement hypertextuelle de cette transtextualité est sans aucun doute une des causes fondamentales de la complexité extrême de cette tradition indirecte, au même titre que la difficulté intrinsèque de la matière de ce traité, le caractère éminemment fragmentaire de sa conservation et l’histoire mouvementée de chacune des pièces de ce dossier. Je crois cependant être parvenu à montrer combien l’analyse précise de cette tradition indirecte à l’aide de concepts empruntés, par exemple, au Palimpseste de Genette permettait de remettre en question l’interprétation de la rythmique aristoxénienne élaborée par la philologie allemande du XIXe siècle et d’en suggérer une autre, qui fût à la fois plus cohérente et plus respectueuse de l’ensemble des pièces du dossier. On peut certes estimer que les philologues ont beau jeu de faire encore intervenir à leur gré leur bon vieux deus ex machina : l’ignorant copiste, qui mélange des feuillets ou saute des lignes… Mais à cela, je répondrai ceci : il existe et je l’ai rencontré maintes fois, non seulement dans les manuscrits des musicographes de l’Antiquité, mais encore dans les éditions de leurs modernes successeurs [64].
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