Le rythme : une question de recherche urbaine

Benjamin Pradel
Article publié le 12 septembre 2016
Pour citer cet article : Benjamin Pradel , « Le rythme : une question de recherche urbaine  », Rhuthmos, 12 septembre 2016 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article460

Ce texte est l’introduction de la thèse de Benjamin Pradel : « Rendez-vous en ville ! Urbanisme et urbanité événementielle : les nouveaux rythmes collectifs » – soutenue le 27 novembre 2010, sous la direction de Francis Godard et Marie-Hélène Massot. Nous le remercions de nous avoir autorisé à la reproduire ici.



Prendre le plaisir où il se trouve, ne pas s’en faire avec excès pour le malheur

et saisir le rythme qui maintient l’humanité dans ses attaches.


Nietzsche, 1872, Naissance de la tragédie



La ville est une musique composée de rythmes et de mesures qui combinent sons et silences, temps forts et temps faibles, accélérations et ralentissements. Son organisation spatiale constitue une portée qui structure des mélodies sociales multiples qui, en retour, valident sa forme et activent ses fonctions. La ville est polychronique (Lefebvre, 1981). Elle arrange des rythmes individuels et collectifs, des rythmes naturels et mécaniques, des rythmes matériels et virtuels, des rythmes religieux et profanes, politiques et économiques, de loisirs et de travail, anciens et nouveaux, lents et rapides, longs et courts. La ville qui dort, qui travaille et qui s’amuse vibre selon des rythmes quotidiens, hebdomadaires, mensuels et annuels lesquels participent aux rythmes longs du temps historique, et évoluent au fur et à mesure du développement des sociétés. Dans ce contexte, entendre, ressentir, étudier un rythme revient à l’isoler de cette polychronie. Il faut alors écouter son tempo, le comparer à ceux qui ont disparu, en comprendre le rôle puis restituer et replacer sa fréquence en lien avec toutes les autres harmoniques urbaines.


Le rythme est à la fois une entrée analytique heuristique et un cadre interprétatif pour étudier le fonctionnement socio-spatial des sociétés en général et des métropoles en particulier. L’objectif principal de cette recherche est d’interroger le rôle social, en termes de lien, et spatial, en termes de lieu, des rythmes collectifs de la métropole, si tant est qu’ils soient perceptibles. En effet, la démarche consiste à tendre l’oreille afin de percevoir les rythmes réguliers et partagés du temps métropolitain qui se présente pourtant souvent dans la recherche comme arythmique, continu et ultrasonique.

 Le rythme au centre de la question de la modernité

Ultrasonique car les rythmes collectifs semblent aujourd’hui rangés au rayon des objets d’étude obsolètes de la modernité. La grande attention de la recherche portée sur les rythmes individuels conduit à porter la focale sur l’accélération de la fréquence et la célérité de l’enchaînement des activités sociales. Le mouvement serait général et caractéristique de l’évolution qu’entretiennent les sociétés urbaines avec le temps. La métropole serait avant tout constituée des rythmes fluides et autonomes des individus flexibles et pressés, branchés sur le temps continu et virtuel des réseaux informatiques de la société d’information et du marché mondial. Arythmique, hypermobile, sans temps morts et en mouvement permanent, la métapolis (Ascher, 1995) serait l’incarnation spatiale d’une société devenue liquide (Bauman, 2005), aux frontières floues. Sa morphologie socio-spatiale inconstante, parce que labile, serait le fait d’individus entretenant avec l’espace, le temps et autrui, des rapports tendanciellement erratiques, irréguliers et instables. Post-moderne, cette société serait caractérisée par la perte de croyance dans la stabilité du monde et l’affaiblissement des récits collectifs cohésifs. Dans ce cadre, il est difficile de penser le rythme social, tel que l’ont théorisé les premiers sociologues (Mauss, Hubert, Durkheim), comme une forme de rassemblement périodique du corps social, sur un même lieu et à une même date, s’inscrivant dans un horizon temporel partagé et fini.


Si notre démarche est de tendre l’oreille, elle consiste également à ouvrir l’œil. Il s’agit d’identifier les concentrations sociales métropolitaines, c’est-à-dire les rassemblements qui s’inscrivent cycliquement dans l’espace, pour analyser les formes contemporaines du rythme et nuancer la rupture post-moderne entre stabilité et fluidité sociale. En effet, les aires urbaines se bâtiraient à partir d’un processus de métropolisation reposant sur l’attraction, l’agencement et la diffusion continue de flux de biens, d’informations et de personnes qui se croisent et s’entrelacent sans se rencontrer vraiment, sans se cristalliser dans des formes stables, sans faire société. En effet, le processus de métropolisation répondrait aux besoins temporels d’une vie sociale labile et désynchronisée ainsi que d’une économie mondialisée qui impose ses règles. En tant que têtes de pont d’un monde réticulaire (Sassen, 1999) et lieu de différenciation des modes de vie, les métropoles seraient devenues débitrices d’un temps arythmique qui se joue des frontières, distord l’espace, nie les spécificités des morphologies temporelles locales et fait éclater les temporalités sociales. Elles seraient donc traversées par de multiples rythmes de plus en plus rapides, atomisés et indépendants, et qui échappent à toute forme d’orchestration locale. La métropole de la post-modernité est-elle devenue à ce point collectivement arythmique ? La rupture est-elle vraiment consommée entre la morphologie sociale fluide des sociétés post-modernes en réseau et la morphologie sociale stable des sociétés antérieures refermées sur leur territoire ? Le temps est-il devenu une ressource utilisée de manière si individuelle qu’il ne pourrait plus être question de rythmes collectifs métropolitains ?


Au-delà de ces considérations post-modernes, notre recherche vise à étudier le rôle des événements ludiques (fêtes, festivals, manifestations, plages urbaines, foires de Noël) qui envahissent les espaces publics des métropoles. En utilisant une théorie renouvelée du rythme et du temps qui permet de relire l’histoire de l’urbanisation moderne, nous tenterons de démontrer que ces événements constituent une forme de rythme collectif participant au fonctionnement de la modernité urbaine. Notre thèse est que la fluidification des sociétés n’est possible qu’en articulation avec la persistance de configurations spatiales, temporelles et sociales qui se réinventent pour constituer de nouveaux repères collectifs. En cela, elle s’inscrit plus dans un courant interprétatif hypermoderne qui décrit l’évolution des sociétés selon un processus dialectique, que dans un courant post-moderne qui souligne l’existence d’une rupture historique entre une ancienne modernité et une nouvelle, entre la ville et la métropole. En tant qu’objet de recherche et base d’une théorie dynamique d’explication de l’évolution de la morphologie sociale, le concept de rythme en appelle à un double positionnement scientifique dans la sociologie urbaine et dans la sociologie du temps.

 La question du temps en sociologie

Interroger le rythme collectif c’est se pencher sur le temps comme objet social, façonnant le social et produit par le social. Or, si « le temps est l’un des objets les mieux partagés dans les sciences humaines et sociales (…) il paraît toutefois peu probable d’obtenir un jour un consensus général sur sa définition car chaque discipline défend sa propre conception du temps » (Ramos, 2005). Impossible donc de trouver une théorie unificatrice du temps, mais il existe une « sociologie du temps » constituée de nombreux courants et auteurs. Si nous ne pouvons pas rendre compte de la richesse de cette sociologie, nous pouvons au moins citer quelques auteurs qui ont abordé la question du temps : Émile Durkheim, Marcel Mauss, Maurice Halbwachs, Henri Hubert, Evans-Pritchard, Georges Herbert Mead, Pitrim A. Sorokin mais aussi plus récemment William Grossin, André Leroi-Gourhan, Rudolf Rezsohazy, William Moore, Eviatar Zerubavel, Georges Gurvitch, Norbet Élias, Robert K. Merton, Daniel Mercure, Franck Pronovost, Roger Sue, John Urry, Francis Godard, Alain Chenu, Jean Chesneaux, Dominique Méda, etc. La liste est loin d’être exhaustive car la problématique du temps social regroupe des sociologues qui s’intéressent à différents objets et traverse les disciplines : anthropologie, ethnologie, géographie, économie, histoire, urbanisme, chronobiologie. Il a donc fallu opérer des choix parmi ces nombreuses références qui seront parfois citées de manière rapide. Mais la question du temps et plus particulièrement des rythmes sociaux est un puits sans fond dans lequel la recherche en sciences sociales ne cesse de tomber mais qui, en tombant, ne cesse de produire de l’analyse [1].


Au-delà de cette richesse qu’il convient de prendre en compte, la question du temps émerge depuis une trentaine d’années maintenant comme un objet scientifique. Aux États-Unis la fondation de L’International Society for the Study of Time [2] en 1960 et la création de la revue Time & Society en 1992, en France la revue Temps libre parue entre 1980 et 1986 et la première édition en 1984 de la revue Temporalistes, cherchent à faire reconnaître le temps comme objet scientifique. Le temps comme objet de recherche est également repris par la sociologie urbaine et l’économie politique questionnées par les conséquences des mutations du système fordiste sur le fonctionnement des villes. Les années 1970 introduisent la réflexion sur le temps des villes interrogé par les transformations du temps de travail et du temps de loisir. La thématique des temporalités urbaines s’institutionnalise dans les années 1990 avec l’apparition des politiques temporelles. En 1997, les Annales de la Recherche Urbaine publient un numéro intitulé « Emploi du temps ». Dans les années 2000, les rapports « Le temps des villes » et « Les nouveaux rythmes urbains : quels transports », la mission « temps et territoires » de la DATAR et de multiples colloques dont « Entreprendre la ville. Nouvelles temporalités-nouveaux services » à Cerisy, revitalisent le thème des temporalités urbaines. La sociologie du temps est enrichie par une approche plus interdisciplinaire. Les transformations individuelles et collectives du rapport au temps deviennent des entrées analytiques pour l’étude des mutations qui s’opèrent dans les sociétés occidentales. Le temps des adolescents (Zaffran, 2005), le temps des femmes (Méda, 2001), le temps des couples ou de la famille, le temps des travailleurs, sont étudiés au même titre que la question des cycles de vie (De Coninck & Godard, 1991), de l’influence des TIC sur la gestion du temps (Guillot, 2008), des transformations du temps de travail, de la mobilité avec les enquêtes budgets-temps, du temps de loisir (Chenu & Herpin, 2002), de la fin des routines ou de leur reconfiguration, etc. Un objet semble pourtant faire encore défaut dans l’analyse sociologique du temps : les événements festifs urbains et calendaires. Souvent analysés dans leurs dimensions géographiques (Augustin, 2009), urbanistique (Gravari-Barbas, 2000) et politiques (Chaudoir & Ostrowetsky, 1996), l’objet de cette thèse est de réinterroger les événements par le prisme des rythmes collectifs et de la métropolisation, pour démontrer que la détermination sociale du temps est encore pour partie une affaire collective.


Depuis les premiers travaux sur le temps jusqu’aux multiples développements récents, deux grandes positions peuvent être observées : d’un côté, des travaux mettent avant tout l’accent sur la dimension collective des cadres temporels en abordant le temps comme une catégorie sociale générique au risque d’en exagérer l’homogénéité et de passer outre le processus d’individualisation ; de l’autre côté, des travaux mettent l’accent sur la dimension individuelle du temps en insistant sur la pluralité et la fragmentation des temps sociaux sous-jacents aux activités humaines, débouchant sur des analyses disciplinaires aux objets de recherche hétérogènes. Les analyses opérées par les tenants de la post-modernité, qui évacuent les rythmes collectifs du paysage social, ne sont pas directement bâties sur le temps comme objet d’étude spécifique. Elles ne parlent pas toujours du quotidien et se présentent souvent sous la forme d’essais plus que de recherches empiriques s’appuyant sur des enquêtes de terrain (Bauman, Virilio, Chesnaux, Gauchet). Cependant, si elles portent un regard global sur l’évolution de la société, elles n’en soulignent pas moins la fragmentation, l’individualisation et l’enchevêtrement des temps sociaux. La métropolisation, la mondialisation, la technicisation, la dépolitisation des sociétés associées à une individualisation radicale, entraîneraient un éclatement, une accélération, une multiplication, une fluidification des temps sociaux. Le temps collectif est subsumé sous les temps individuels et l’analyse se porte plus sur l’accélération, l’autonomisation, la délocalisation, l’atomisation de ces derniers, que sur les grands récits qui pourraient perdurer et rassembler les temps éclatés. Si le lien fait sens, ne pouvons-nous pas inverser le raisonnement en interrogeant comment notre rapport collectif au temps influence le fonctionnement des sociétés ? En quoi la détermination sociale du temps révèle et oriente le rythme de fonctionnement des sociétés ? N’existe-t-il plus de références partagées à un temps collectif qui produirait des rythmes partagés ? Au lieu de partir de l’individu pour déplorer l’affaiblissement des rythmes collectifs, pourquoi ne pas partir de ce qui, dans le contexte actuel, ressemble le plus à des temps partagés ? Entre théorie homogénéisante et théorie individualiste du temps, nous considérons l’objet « temps social » comme une forme de représentation collective propre à un groupe, sur un territoire, à un moment de son développement, et qui permet la coordination de ses membres. La détermination sociale du temps ne s’impose pas aux individus, parce que ces derniers s’en saisissent activement pour produire leur quotidien. Elle est un construit historique, qui fait intervenir un rapport dynamique entre l’individu et le collectif : elle place des repères dans la durée et encadre les actions individuelles en les traduisant en unités et références collectives qui permettent le vivre-ensemble, parce qu’elles sont utilisées au quotidien par la grande majorité du corps social. Face à un temps de référence mondialisé, nous nous interrogerons sur les échelles sociales pertinentes pour détecter les rythmes du vivre-ensemble ? L’affaiblissement de l’audience des grandes cérémonies nationales n’est-il pas compensé par des rythmes nouveaux à l’échelle métropolitaine et internationale ?


En introduisant l’histoire de la détermination sociale du temps, la question du lien entre le pouvoir et le rythme remonte à la surface. D’abord parce que les symboles du temps sont des découpages institués de la durée qui possèdent une structure périodique ; ensuite, parce que les rythmes des pratiques individuelles ne peuvent s’accorder entre-elles et prendre sens que dans une culture partagée du temps ; enfin, parce que la coordination entre les différents rythmes qui font société ne peut exister sans les outils de gestion du temps qui s’accordent entre eux grâce à des découpages institués de la durée. L’enchaînement des heures et des minutes est une convention au même titre que celui des temps collectifs.

 Le rythme : un objet politique [3]

Les symboles du temps social sont des constructions collectives et historiques qui reflètent, autant qu’ils déterminent, l’organisation politique et sociale de la société. Nous considérons le temps comme l’ensemble des symboles sociaux qui servent à le représenter dans l’espace et qui ne sont, en fait, qu’un décalque conceptuel d’une réalité qui échappe à l’homme (Élias, 1996). Le temps naturel est un temps insondable qui ne contient pas en lui-même la notion de mesure, de découpage, de proportion. Si la détermination sociale du temps puise ses racines dans la succession des phénomènes naturels, les symboles qui le composent (du calendrier à l’heure) constituent un instrument évolutif et collectivement partagé au service de l’organisation de l’ensemble des activités humaines. Dans cette perspective, l’institutionnalisation des symboles devient une affaire de va-et-vient entre, d’une part, les acteurs individuels qui les utilisent au quotidien et, d’autre part, les institutions qui les cristallisent dans un système de signes partagés, comme par exemple le calendrier ou l’heure. Il y a donc une question politique derrière celle du rythme. À grande échelle, le pouvoir dirigeant divise la durée en dictant ou proposant des rythmes partagés : fêtes religieuses, commémorations nationales, élections mais aussi vacances scolaires, interdiction de travail le dimanche. À l’échelle plus locale, les différentes fêtes et événements périodiques instituent des temps partagés : événement culturel (Nuit Blanche), fête (des voisins), opération festive (plages urbaines), foire (foires de Noël), événement sportif (marathon), etc. Mais avec l’intégration des sociétés, les symboles du temps sont de plus en plus déterminés hors des frontières nationales pour s’appliquer à un monde en réseau. Le temps métropolitain et ses rythmes politiques sont alors réinterrogés par la connexion des villes sur des systèmes temporels délocalisés. Le processus questionne la souveraineté des territoires et des métropoles à produire leurs propres morphologies temporelles. Qui détermine les symboles du temps mondial ? Dialoguent-ils ou s’opposent-ils avec les temps institués des sociétés locales ? Quelles sont les modalités du temps social utilisées aujourd’hui dans les métropoles en réseaux pour produire du rythme partagé ? Qui les définit ?


Face à un temps de plus en plus technique, urbain, intégré et individualisé, il semble qu’une tendance se dessine dans les villes. Depuis la fin des années 1990, les municipalités multiplient la production de fêtes, festivals, manifestations et en revitalisent d’autres plus anciennes (Di Méo, 2005). Ces événements hétérogènes s’inscrivent dans le temps urbain comme autant de rendez-vous réguliers qui renouvellent les charpentes temporelles des métropoles. Leur prise en main par les politiques publiques urbaines (Garat, 2005), conduit à s’interroger sur les objectifs assignés par les municipalités à la démarche de création de nouveaux rythmes urbains. Il semblerait que l’événementiel soit devenu un outil d’action publique à l’échelle de la métropole. En effet, il semble que les rythmes collectifs aient un rôle dans la production urbanistique de la ville qu’il conviendra d’interroger, à l’aune de l’affaiblissement de l’efficacité des pratiques de planification urbaine. La fin d’un horizon temporel stable qui caractériserait le monde moderne, engendrerait une transformation des temporalités de l’action publique urbanistique et ouvrirait sur des actions plus labiles, flexibles et périodiques. Cette tendance, si elle est confirmée, renforce l’idée que la détermination du temps est une affaire politique.


Mais au-delà de l’action publique et bien que l’événementiel urbain calendaire est ce qui semble se rapprocher le plus d’un rythme collectif institué, ce dernier est boudé en partie par la sociologie urbaine et, plus généralement, par les recherches sur le temps. Certes, il ne s’adresse pas à l’ensemble du corps social comme les commémorations nationales. Il constituerait un épiphénomène social. Certes, il ne peut rassembler l’ensemble du groupe social comme dans les sociétés traditionnelles. Il ne serait qu’une illustration parmi d’autre des formes de solidarité. Certes, il est moins un élément intégrateur et contraignant pour des individus multiappartenants. Il ne permettrait plus le partage de normes collectives. Certes, il est un produit politique qui remplacerait les fêtes censément authentiques d’autrefois. Il serait en partie socialement désincarné. Néanmoins, l’événementiel est-il vraiment en rupture avec un passé glorieux des rythmes sociaux, étudiés par les premiers sociologues ? Au-delà des analyses synchroniques des rassemblements, l’événement, analysé de manière diachronique peut être révélateur d’une persistance de la dimension itérative de la vie sociale. Ne pourrait-il pas incarner le rythme de la ville du XXe siècle révélateur d’une forme de lien social correspondant aux nouveaux modes de vie métropolitains ? C’est ce qu’il conviendra d’interroger ici à travers l’analyse de trois événements récents mis en place par les municipalités parisienne et bruxelloise : Paris-Plages, Bruxelles-les-Bains et Plaisirs d’Hiver. Ces événements, initiés par l’action politique, constituent les terrains et l’objet de la recherche.


Si l’évolution de notre rapport au temps interroge la capacité du pouvoir politique à produire de nouveaux récits collectifs, il interroge aussi la capacité de la recherche à en appréhender la signification et le rôle social. Or, c’est souvent l’idée d’une désorganisation des temps sociaux et d’une ville fonctionnant en continu qui pointe derrière les analyses post-modernes de la société. Sommes-nous face à une véritable rupture dans le rapport qu’entretiennent les sociétés urbaines aux temps collectifs ou pouvons-nous trouver des liens de continuité historique avec les rythmes sociaux d’autrefois ? Le temps local collectif et identitaire des sociétés traditionnelles s’oppose-t-il vraiment au temps réticulaire et individuel des sociétés modernes ? Nous démontrerons que l’interpénétration et l’articulation de ces deux temps forment un processus historique inhérent au développement des villes et, plus largement, des sociétés. S’il existe des tensions entre le temps individuel et le temps collectif, le temps mondial et le temps local, ils n’ont jamais cessé de dialoguer dans l’évolution et l’urbanisation de l’Humanité. À ce titre, nous constaterions plus dans le processus de métropolisation, une transformation des rythmes collectifs et un renouvellement de leurs prescripteurs, que leur dislocation dans un temps réticulaire continu, apolitique et individualisé. La ville n’a-t-elle jamais cessé d’accueillir et de produire des rythmes collectifs ? En quoi participent-ils toujours de l’élaboration de sa morphologie spatiale ? De la foire des villes du Moyen-Âge et la fête foraine des villes classiques, à la Fête de la Musique, les Nuits Blanches ou plages urbaines européennes, pouvons-nous vraiment dire que les métropoles et, au-delà, les sociétés, sont privées de rythmes collectifs et de calendriers partagés ?

 La question du lien social

Ainsi, derrière le rythme, il y a aussi la question du lien social redéfinit dans le contexte de la modernité. La sociologie du temps et la sociologie urbaine s’allient pour rendre compte du phénomène urbain qui, aujourd’hui comme hier, cristallise à la fois les espoirs placés dans l’idée de progrès et les interrogations relatives aux conséquences de ce progrès sur la transformation des modes d’être ensemble et de faire société. Les métropoles constituent le sujet privilégié des prospectives qui tendent à démontrer l’existence d’un changement radical du fonctionnement des groupements humains, changement qui mènerait à une nouvelle étape de l’individualisation des sociétés. De ce fait, les métropoles sont également le lieu des critiques adressées à cette vision progressiste d’une vie sociale cherchant les indices de son unité. En abordant le rythme comme un objet politique, c’est l’organisation de la société qui est interrogée et sa capacité à produire et maintenir du tissu social malgré le processus d’individualisation qui redéfinit les modalités des rapports sociaux. En effet, la question de la fin des rythmes collectifs interroge en premier lieu les nouvelles formes de solidarité sociale « faites de liens faibles, voire fragiles, changeants et diversifiés, mais nombreux et largement choisis (électifs), qui associent des individus aux appartenances sociales également multiples, dans une société ouverte (non convexe). » (Ascher & Godard, 1999, p. 22). L’électivité, la multiplicité, la faiblesse des liens sociaux qui, par leur diversité, rendent finalement le tissu social solide, ne signifient pas la fin de la participation individuelle à des rythmes partagés socialisants, de l’identification à des groupements physiques, du besoin grégaire de sociabilité collective. Si ces liens peuvent se rompre, ils sont surtout plus élastiques et donnent au tissu social une grande souplesse qui permet son extension, mais aussi son resserrement selon des rythmes saisonniers.


L’idée que le rythme produit du lien social n’est pas nouvelle. Elle a été théorisé par Marcel Mauss, Henri Hubert, Émile Durkheim ou encore Maurice Halbwachs au début du XXe siècle. Cependant, il nous semble que ces théories n’ont pas été suffisamment réinterrogées à l’aune de la modernité, mais simplement subsumées sous des approches mettant l’individu au cœur des processus de transformation et d’éclatement des temps sociaux. Pourtant, elles peuvent nous renseigner sur la nature des sociétés modernes dès lors qu’elles sont utilisées de manière souple. Il s’agit de ne pas tomber dans leur penchant holiste et déterministe, en y réinjectant quelques-uns des traits les plus saillants de la modernité que sont les processus d’individualisation et de rationalisation. Il s’agit également de faire la différence entre les sociétés discrètes étudiées par ces anthropologues et sociologues, et les sociétés modernes aux contours élargis. Il s’agit enfin de s’éloigner de la dimension religieuse et spirituelle des rythmes anciens sans toutefois nier toute dimension rituelle aux rythmes contemporains. En nous appuyant sur ces auteurs, la question du lien social est au cœur du rythme des concentrations événementielles, tout en étant posée de manière à réévaluer les modalités de la rencontre, de l’engagement dans le rassemblement et des usages sociaux d’une ville apprêtée pour organiser un vivre-ensemble temporaire. Comment l’entrée dans une « troisième solidarité » (Ascher & Godard, 1999) basée sur le principe de réflexivité n’empêche pas de penser le rôle cohésif des rythmes métropolitains ? Qu’est ce qui se joue, du point de vue de la production du lien social, dans les espaces-temps événementiels ? Sommes-nous face à une simple collection d’individus qui s’ignorent à défaut de se comprendre ? En quoi la participation individuelle à un événement peut-elle produire du sens et du lien commun ?


Entre la confiance aveugle dans la voie du progrès et la désolation face à une réalité perdue, la voie médiane d’une transformation à l’équilibre de la réalité sociale, avec ce qu’elle engendre comme pertes et comme créations, est adoptée dans ce travail. À propos des rythmes collectifs, c’est dans le développement des événements festifs urbains que nous pensons trouver les éléments d’un tel équilibre entre fluidité et structure sociales. C’est aussi dans ces moments que se révèlerait une forme de sociabilité propre au contexte métropolitain.

 Les sciences sociales face à la métropole comme objet complexe

Déjà en 1967, Henri Lefebvre rend compte dans sa sociologie de La vie quotidienne dans le monde moderne, de la dislocation des rythmes, de l’accélération du tempo de la vie, de la montée du risque et de l’incertitude, de l’individualisation du temps social et de la séparation « homme-nature » dans les sociétés modernes urbanisées. Ces constats sur le fait urbain le mènent à écrire Éléments de Rythmanalyse dans lequel il tente de « montrer les contours, fonder les concepts, indiquer les perspectives [pour] une science en constitution [qui] serait interdisciplinaire (...) car la ville a un rythme propre, chaque ville vit à son rythme » (1992). Les transformations que subissent les villes le pousse à réfléchir sur une approche complexe de l’environnement urbain.


Si cette thèse sur les rythmes collectifs et la ville est un travail de sociologie, nous souhaitons l’inscrire plus largement dans le champ des études urbaines ou de l’urbanologie, terme introduit en 1981 par Paul Claval dans La logique des villes. Essai d’urbanologie. Peu repris dans le domaine universitaire, l’urbanologie se dissimule dans la ligne éditoriale de revues comme Urban Studies, les Annales de la Recherche Urbaine ou Urbanisme. Le terme a même fait l’objet d’un article de Laurent Devisme en 2001 L’urbanologie : une constitution disciplinaire problématique. Nous pourrions définir l’urbanologie, à minima, comme l’étude scientifique d’un ou de plusieurs aspects du phénomène d’urbanisation. Toutefois, c’est Marcel Roncayolo qui ouvre la piste la plus féconde quant à une étude interdisciplinaire de la ville : « La ville est d’abord un lieu de réflexions croisées : est-elle construite pour autant comme un objet scientifique commun ? L’ambition serait considérable. En tous cas, et tous les contacts internationaux nous y invitent, on ne peut se contenter du confort d’un enfermement dans des mondes disciplinaires, plus ou moins satisfaits de leurs propres résultats. Au bout du compte, à étudier la ville (concept lui-même bien malaisé à cerner), on se trouve toujours contraint au déplacement des cloisons, à l’interférence des points de vue. » (1994). L’interdisciplinarité nous paraît essentielle pour saisir la problématique urbaine moderne dans toute sa complexité. Et nous sommes invités à une certaine interdisciplinarité en employant le concept de rythme comme cadre d’analyse pour tenir les fils du temps, de l’espace et du social et comprendre le fonctionnement métropolitain.


Si les métropoles semblent être les pourvoyeuses des nouveaux rythmes partagés du contexte de la modernité, les rythmes sociaux s’expriment à toutes les échelles du social. Mais comme la majeure partie de la population mondiale vit en ville, c’est sur ce terrain que nous allons chercher les rythmes de la modernité, ainsi que les acteurs individuels et collectifs qui les animent. Cela ne signifie pas que les rythmes métropolitains sont les seuls rythmes des sociétés, mais ils incarnent selon nous ceux qui sont les plus révélateurs de l’évolution générale de ces dernières. La question des échelles devra donc être posée, tout comme celle des disciplines. Car de la sociologie du temps et de l’urbain, à la rythmanalyse impliquant géographie, histoire, philosophie entre autres, la différenciation est forte pour les tenants des approches disciplinaires. Mais la question du rythme qui n’est pas une bataille d’arrière garde ne doit pas non plus être une bataille disciplinaire. Au contraire, elle permet de dépasser les frontières et de saisir les différentes facettes de la réalité sociale. Le rythme est à la fois un concept philosophique, un modèle de morphologie sociale, spatiale et temporelle ainsi qu’un outil d’analyse heuristique pour comprendre le fonctionnement des sociétés modernes. Nous nous positionnons dans une sociologie du temps et une sociologie urbaine tout en nous inspirant continuellement d’une rythmanalyse, projet de recherche qui n’a jamais été vraiment achevé. Ce choix scientifique permet de poursuivre quatre objectifs de recherche. Ils interrogent l’idée d’une ville collectivement arythmique et questionnent la théorie d’une fluidification des morphologies (sociales, spatiales, temporelles) des sociétés, qui sous-tend une lecture quasi-paradigmatique de la modernité en sociologie.

 Objectifs de recherche et plan

Le premier objectif est théorique et historique. Il consiste à étudier l’évolution de la signification du rythme social à travers l’histoire du rapport qu’entretiennent les sociétés avec le temps. Pour cela nous nous appuierons sur les premières approches du rythme des penseurs de la fin du XIXe siècle, tout en intégrant les réflexions contemporaines sur l’accélération, l’individualisation et la métropolisation des modes de vie. Nous reviendrons alors sur le débat qui agite la définition du concept depuis la Grèce antique et qui oppose le rythme comme mouvement et le rythme comme structure. Société fluide et ville en continu s’allieraient pour extirper le rythme collectif des morphologies sociales, spatiales et temporelles des groupements humains. Quel est le lien historique entre rythme et détermination sociale du temps ? En quoi le rythme collectif s’oppose-t-il à la société post-moderne et à la métropole ? Pourquoi cette opposition n’est-elle pas pertinente ? Comment dépasser cette opposition ? Une morphologie sociale fluide est-elle seulement possible ?


Le second objectif est théorique et analytique. Il consiste à utiliser le rythme comme modèle de morphologie sociale et entrée analytique dans la modernité. Pour ce faire, nous proposons un cadre théorique et interprétatif du temps social qui permette d’expliquer la sociogenèse des temps partagés. Nous rendrons compte de l’efficacité d’une pensée dialectique pour penser le rythme moderne, sur la base de théories anciennes (Weber) et récentes (Ascher,
Lipovetsky). Nous nous interrogerons sur le concept de synchronisation afin de lier temps individuel et temps collectif et nous reviendrons sur le rôle joué par les symboles du temps, leur signification, leur mode de construction, dans la production des temps partagés. Comment expliquer le rassemblement dans une société d’individus différenciés, plus indépendants du groupe et hypermobiles ? Comment les symboles sociaux du temps peuvent-ils produire des rassemblements périodiques ? En quoi l’éclatement des temps sociaux ne remet pas en cause la possible convergence des agendas ? Comment les actions individuelles peuvent-elles encore donner du sens collectif au temps et à ses symboles ? De quel type de rythme collectif notre société en général et la ville en particulier peuvent-elles encore se prévaloir ?


Le troisième objectif est théorique et conceptuel. Il consiste à analyser, avec le cadre théorique produit, le rapport historique et contemporain qu’entretiennent les villes avec les temps collectifs pour identifier une forme de rythme partagé qui correspondrait à la métropole moderne. Si les rythmes collectifs existent encore, c’est qu’ils participent du fonctionnement des sociétés. De quel rythme collectif parlons-nous lorsque nous étudions les temps partagés métropolitains ? Nous rapprocherons le rythme de l’objet « événement festif » et proposerons le concept de « rendez-vous collectif » pour rendre compte des mécanismes sociaux, spatiaux et temporels qui instituent une forme de rassemblement périodique. Quels rôles jouent ces mécanismes dans la production de la métropole et qui les actionne ? Est-ce que le pouvoir politique des villes continue, comme il l’a toujours fait, de produire des rythmes collectifs en ville ? Est-ce que les municipalités sont capables de mobiliser leurs services autour de l’enjeu des rythmes collectifs ?


Le quatrième objectif est doublement empirique. Il consiste à analyser, via un travail de terrain, le rôle spatial est social des rythmes collectifs dans la métropole. La méthode cherche à valider (ou non) notre définition du rythme et souligner sa pertinence pour comprendre le fait urbain. La production croissante d’événements urbains, notamment dans les villes-centres, peut être considérée comme la reconnaissance, par les politiques urbaines, de l’efficacité pratique du rythme dans l’organisation de la vie métropolitaine. Quelles sont les fonctions attribuées aux rendez-vous collectifs dans la métropole ? Nous nous interrogerons d’abord sur leurs fonctions spatiales. Quelles sont les implications pratiques des rendez-vous collectifs dans les manières de produire et de penser l’espace public urbain ? Quels rapports entretiennent-ils avec l’urbanisme traditionnel ? Abordés comme des lieux-moments de concentration du corps social à la manière des sociologues traditionnels, nous nous pencherons sur la fonction sociale des rendez-vous collectifs. Est-ce qu’ils jouent encore un rôle dans la production du lien social ? Sur quel mode sont-ils investis par les acteurs urbains ? Pouvons-nous parler d’une forme de sociabilité et de lien social spécifique rattachée à la nature rythmique du rassemblement événementiel ?


Pour atteindre ces objectifs, nous avons fait le choix de séparer distinctement la production d’un appareillage théorique d’un côté, et l’exposition des résultats de son application de l’autre. Le présent document comporte trois parties et sept chapitres. La première partie est essentiellement théorique. Les suivantes articulent respectivement un chapitre théorique qui resserre l’approche du rythme autour d’un enjeu particulier (spatial/social) et un chapitre de résultats empiriques qui valide les propos du chapitre antérieur ainsi que l’appareillage théorique de la première partie.


La première partie réunit les chapitres 1, 2 et 3. Elle articule un volet théorico-historique qui sur la constitution du temps social et l’évolution du rapport individuel et collectif au temps ; un volet théorico-pratique qui expose notre positionnement, problématique et hypothèse ; un volet théorico-méthodologique qui explore les concepts. Le chapitre 1 expose la théorie du rythme chez les sociologues du début du siècle, la met en lien avec la théorie de « spatialisation du temps » de Norbert Élias et se repose sur l’ensemble pour formuler une histoire de la détermination sociale du temps, en lien avec le processus d’urbanisation. Il analyse les conséquences de l’individualisation du rapport au temps sur le rythme social et propose une théorie du désenchantement du temps. Le chapitre 2 étudie les conséquences de ces évolutions sur le fonctionnement social et urbain, les rapproche des modèles explicatifs de la société fluide et de la ville en continu et interroge les questions d’échelles entre ces deux modèles. Il explique ensuite la pertinence du choix d’étudier un nouvel objet (l’événementiel urbain) pour approcher le rythme social, questionne les approches antérieures sur cet objet et détaille la problématique ainsi que les hypothèses de la recherche. Le chapitre 3 propose une définition du rythme en forme de cadre d’analyse. Il est consacré à la réunification des approches progressistes et culturalistes du rythme et à la résolution théorique de l’opposition entre temps individuel et du temps collectif. Il replace la problématique du rythme dans la théorie dialectique de l’hypermodernité, explique le concept et la possibilité de synchronisation collective malgré le processus d’individualisation des temporalités sociales, propose une catégorisation des rythmes collectifs modernes. Il explicite les mécanismes de la sociogenèse des rythmes en mettant en relation le processus institutionnel de spatialisation du temps (symbolisation) et les enjeux de son interprétation par l’acteur (appropriation). Il s’achève sur la définition du concept de « rendez-vous collectif » servant à qualifier un type de rythme social métropolitain.


La seconde partie, qui réunit les chapitres 4 et 5, met en perspective le rôle spatial des rythmes collectifs dans le processus de métropolisation (spatialisation du temps). Le chapitre 4 explique et justifie le choix des terrains de recherche, met en perspective les différents enjeux politiques et urbanistiques liés à la production événementielle dans le cadre du processus de métropolisation, démontre le lien existant entre stimulation de l’attractivité sociale et production de la centralité urbanistique. Il propose alors une méthodologie pour cerner les contours d’un urbanisme événementiel, temporaire, qui diffère des approches aménageurs traditionnelles tout en les enrichissant. Il introduit le chapitre 5 dans lequel sont exposés les résultats empiriques qui permettent de valider le rôle spatial des rythmes collectifs dans la constitution de la métropole, d’expliquer les différentes facettes matérielles (techniques), culturels (symboles) et humaines (savoir-faire) sur lesquelles reposent la mise en scène et mise en intrigue événementielles. Il démontre l’instrumentalisation du temps court de l’événement dans l’accompagnement des projets urbains à moyen terme. Il s’achève sur la définition d’un « urbanisme temporaire » qui travaille la ville par la spatialisation du temps et des saisons.


La troisième partie regroupe les chapitres 6 et 7 et fait le lien entre rythme de rassemblement et émergence d’une sociabilité événementielle métropolitaine (appropriation du temps spatialisé). Elle expose la relation d’interaction entre production de l’espace (règles de l’urbanisme) et production du social (règles de socialisation). Le chapitre 6 s’intéresse à la valeur et la fonction de la coprésence et du temps de loisir chez l’individu hypermoderne, aux conséquences que la transformation/modalisation (Goffman, 1991) des différentes strates du cadre urbain (spatiale, temporelle, sociale) peut avoir sur ses usages sociaux de la ville, interroge la possible existence d’une urbanité et d’une sociabilité propres au cadre événementiel. Il propose la méthodologie des enquêtes de terrain permettant de cerner le rôle social des rendez-vous collectifs. Il introduit le chapitre 7 exposant les résultats empiriques qui rendent compte de la spécificité des interactions sociales événementielles à travers la manière dont les comportements de l’acteur et les modalités de sa participation produisent du sens collectif. Il étudie les indices d’une modification des comportements en public entre exposition et repli, analyse les modalités de l’interaction (physique, visuelle, verbale) dans le rassemblement, replace la rencontre dans une approche en termes de « boucle temporelle » qui met en perspective la production d’une « urbanité événementielle » dans la logique rythmique.


Ainsi, la théorie du rythme exposée dans la première partie, qui introduit la double dimension spatiale et sociale dans la définition et la sociogenèse du rythme collectif, chapeaute et met en lien les deux parties suivantes, l’une traitant du rôle spatial du rythme, l’autre de son rôle social. La découverte de l’articulation d’un « urbanisme temporaire » avec une « urbanité événementielle » au cœur de nos terrains de recherche, valident notre construction théorique.

Notes

[1Pour une bibliographie fournie des travaux et ouvrages récents sur le temps jusqu’à 2001, nous conseillons la lecture de la bibliographie rédigée par Thierry Paquot dans Le Quotidien Urbain, essai sur le temps des villes.

[2L’International Society for the Study of Time, fondée en 1966 par Julius T. Fraser, est « une organisation professionnelle de scientifiques et d’humanistes qui veulent explorer la notion et l’expérience du temps, ainsi que le rôle joué par le temps dans le monde physique, organique, intellectuel et social ». Cette société organise tous les trois ans un colloque international. Elle publie également, depuis 1974 et de manière apériodique, une lettre intitulée Time’s News.

[3« Objectivement, pour qu’il y ait changement, il faut qu’un groupe social, une classe ou une caste, interviennent en imprimant un rythme à une époque, soit par la force, soit de façon insinuante » (Lefebvre, 1981, p. 25)

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