Étudier à distance : le problème de l’idiorrythmie

Jean Ravestein
Article publié le 14 mai 2011
Pour citer cet article : Jean Ravestein , « Étudier à distance : le problème de l’idiorrythmie  », Rhuthmos, 14 mai 2011 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article321

Ce texte a déjà paru dans DistanceS, 2006, vol. 8, N° 2 à l’adresse suivante : http://cqfd.teluq.uquebec.ca/distances/v8n2_e.html. Nous remercions chaleureusement Jean Ravestein de nous avoir autorisé à le reproduire ici.



Résumé : Cet article tente de rendre compte d’un certain nombre de difficultés que rencontrent les étudiants travaillant sur des plates-formes de téléformation à travers le concept d’espace idiorrythmique. Ce concept, lié à celui d’autonomie, sera décrit et mis à l’épreuve de données empiriques constituées à partir d’un questionnaire renseigné par des étudiants d’une maîtrise (Master) « à distance ». On désignera les obstacles à la construction du rapport des sujets à leurs propres règles de fonctionnement, puis aux savoirs. On montrera que dans ses rapports distendus avec l’institution, l’étudiant en FOAD, doit, pour réussir, inventer un système de gestion du rapport à la règle qui lui permet de faire glisser sa formation dans les interstices spatiaux et temporels tolérés par son milieu de vie, ce qui génère un surcoût énergétique important par rapport aux formations traditionnelles.


Summary : This paper describes the difficulties students encounter when working on e-learning platforms. It is based on the concept of “idiorythmic space”. This concept, related to that of autonomy, is described and tested on empirical data consisting of responses to a questionnaire filled in by e-learning students. We indicate the obstacles in the construction of relationship between the subjects and their own functioning rules, as well as their knowledge. We show that because of their looser relationship with the e-learning institution, the students must, in order to succeed, invent their own system of management of their relationship to both the rules of the institution and the constraints of their domestic environment. This generates a major energetic overhead compared to traditional training patterns.

 Introduction

Pour penser les difficultés que rencontrent les personnes étudiant à distance, en particulier sur les plates-formes de téléformation depuis le développement du réseau Internet, nous avons besoin d’inventer, d’actualiser ou de revisiter certains concepts.


En effet, nombre de recherches [1], rapports, études ou enquêtes [2], débats de colloques [3], conférences de consensus [4], bien que poursuivant des buts distincts, pointent unanimement un problème fondamental : le déploiement et le travail des modèles théoriques de la FOAD (formation ouverte à distance), nécessitent l’aménagement et la spécification des modèles existants.


Nous tenterons dans cet article de réinvestir un concept très ancien : l’idiorrythmie  [5] ; qui nous paraît pertinent pour traiter trois séries associées de problèmes.


1) Dans le cas de la FOAD, les interactions didactiques et affectives enseignant-enseigné (directes et vivantes en présentiel) sont, par la nature du dispositif, bien souvent appauvries (téléconférence), dans le pire des cas inexistantes (simple support papier numérisé), bien qu’on tente de les rétablir par des dispositifs techniques comme le tutorat en ligne par les « chat », « forums » ou « courriel ».


2) Dans le système didactique, ordinairement, la synchronisation des rapports au savoir est assurée en principe par la co-présence des étudiants et des enseignants, avec tous les problèmes déjà bien connus que posent les décalages entre « temps d’enseignement » et « temps d’apprentissage » (l’enseignant est le maître du temps didactique, le chronomaître – Chevallard, 1987) : le temps personnel d’apprentissage de l’étudiant ne correspond presque jamais avec le temps officiel de l’institution. Cela va trop vite pour certains, pas assez pour d’autres et il en va différemment pour chaque objet de savoir. [6]


3) On sait enfin que la constitution d’un « milieu pour l’étude » (Johsua et Félix, 2002) passe pour l’étudiant par l’établissement de rapports avec certains objets de savoir plus ou moins explicités dans l’institution. Que signifie par exemple – très concrètement – étudier une leçon à la maison pour un élève de collège ?


Cela peut correspondre à une pratique particulière, rendue signifiante à travers le capital culturel présent dans la famille, ou parfois – souvent pour ceux qui échouent – à des formes de travail éloignées de celles que le professeur attend. L’espace privé de travail n’est pas parcouru par le sens que les institutions voudraient plus ou moins clairement lui donner : des élèves ne savent pas « travailler seuls », ne font pas bien leurs « devoirs », et ce n’est pas l’institution qui propose d’y remédier mais bien souvent des associations de bénévoles, dans les zones difficiles en particulier [7].


En travaillant sur ces trois questions, cette recherche exploratoire à base empirique restreinte, qui a précédé une enquête en cours de plus grande envergure, voudrait contribuer à l’élaboration des théories nécessaires à l’amélioration des dispositifs de FOAD, en particulier en montrant l’intérêt d’étudier puis d’utiliser le concept d’idiorrythmie.


Ainsi, après avoir posé l’importance de le travailler sous l’angle de la notion d’autonomie, puis de manière plus précise en travaillant sur son sens étymologique, historique, nous tenterons dans un premier temps de tisser un certain nombre de liens entre autonomie et idiorrythmie. Dans un second temps, nous relaterons leur mise à l’épreuve de faits empiriques analysés à partir d’une enquête auprès d’utilisateurs de FOAD en troisième cycle universitaire (Maîtrise, Master).


Enfin, une préoccupation constituera le fil conducteur de notre questionnement : de quelle manière et dans quelle mesure doit-on régler ou réguler les rapports entre l’étudiant à distance et l’institution qui propose la formation, alors que précisément celui-ci choisit cette modalité de formation pour être a priori plus « libre » ?

 La notion d’autonomie

Étudier à son rythme et adapter son rythme d’étude à celui de l’institution était déjà problématique pour l’élève ; cela devient pour l’étudiant novice la première cause d’abandon des études : un défaut d’organisation, concrétisé très souvent par une mauvaise évaluation des échéances du travail demandé. Toutes ces difficultés sont souvent expliquées, dans les instances d’orientation, par la notion de « manque d’autonomie » [8].


Mais, pour désigner un manque, encore faut-il savoir ce que devrait être son objet. Une première difficulté apparaît ici car « autonomie » est un mot qui s’insère dans des niveaux de discours très variables et qui ainsi recouvre des niveaux d’entendement très différents. Pour reprendre la distinction opérée par Deleuze (1988) entre discours « vulgaire » et discours « savant », que le philosophe a élaboré pour nous faciliter la lecture de l’œuvre de Leibniz, le concept d’autonomie comporte une acception partagée dans le discours vulgaire et désigne un ensemble d’attitudes allant de savoir prendre des décisions, des initiatives, à s’adapter au nouveau, se débrouiller tout seul, se prendre en charge, etc.


Pour ce concept, on peut distinguer un discours intermédiaire, tenu dans les milieux de la formation, où on l’articule à ceux d’indépendance, de responsabilité, de créativité… Souvent pragmatique, ce niveau de discours alimente des prises de position des institutions éducatives ou de formation qui déclinent toujours le même leitmotiv : l’autonomie (de l’élève, du stagiaire, de l’apprenant, du formé, etc.) est une qualité (ou capacité) de l’individu qui « se favorise » et qui doit être promue comme un des objectifs centraux des systèmes de formation. [9]


Dans le discours savant en Sciences de l’éducation, il convient de signaler la distinction que propose Ardoino (1994) entre « agent, acteur, [et] auteur », qui s’accompagnerait d’un degré croissant d’autonomie de l’agent vers l’auteur. Dans leur recherche des déterminismes socioculturels qui s’inscrivent dans l’individu au fur et à mesure qu’il vit son histoire, et qui en orientent la suite, Pierre Bourdieu (notamment dans son emploi de la notion d’habitus), puis Bernard Lahire (1998) (dans la détermination de mécanismes jurisprudentiels de l’action), chacun à sa manière, montrent en négatif comment ce concept peut être entendu dans son rapport avec ceux de loi et de règle. Nous avons également contribué, selon une approche didactique, à donner du sens à ce concept dans l’enseignement scolaire (Ravestein, 1999).


Dans ce rapide inventaire des conceptions de l’autonomie [10], on ne peut oublier ce qui est la source de nombreux points de vue : la philosophie, dans laquelle le discours savant sur le sujet s’épanouit. On peut renvoyer ici à la synthèse de Schneewind (1998).


On le voit, le « manque d’autonomie » risque d’être, selon le niveau du discours et le point de vue d’où l’on parle, l’objet de discussions à l’infini.


Sans clore le débat mais pour avancer dans l’analyse des pratiques qui font l’objet de cet article, je retiendrai, car ramassé, synthétique, proche de son étymologie, le sens que donne Castoriadis (1986) à ce concept : « L’état où « quelqu’un » – sujet singulier ou collectivité – est auteur de sa propre loi explicitement et, tant que faire se peut, lucidement (non pas « aveuglément »). Cela implique qu’il instaure un rapport nouveau avec « sa loi », signifiant, entre autres, qu’il peut la modifier sachant qu’il le fait. » (p. 408).


Or, pour l’étudiant qui s’engage dans la FOAD, l’institution qui lui propose ce mode de formation fait l’hypothèse forte qu’il doit a priori être autonome pour y réussir, voire même que c’est cette qualité, qu’il se reconnaîtrait à lui-même, qui l’aurait fait s’engager dans une telle modalité. Monique Linard (2002) a des mots forts pour décrire dans le contexte FOAD ce qu’elle appelle « l’impératif d’autonomie », FOAD où l’acteur deviendrait nécessairement un « hyperacteur » pour résoudre l’injonction paradoxale : « sois autonome » ; hyperacteur à « compétences heuristiques globales de haut niveau, capable d’affronter des situations imprévues , embrouillées et instables et de redéfinir lui-même les tâches si nécessaire » (p. 152).


Ici, Castoriadis (2002) nous permet d’avancer sur ce lien nécessaire entre identité et autonomie : « Être autonome, c’est investir des objets déterminés, son identité, ce qui va avec cette identité, une façon particulière de faire être un monde pour soi, une façon particulière d’interpréter, ou donner du sens à, ce qui se présente […] c’est sans doute aussi investir son identité en tant que celle‑ci comporte la représentation de soi comme sujet autonome. » (p. 205).


On peut rapprocher cette idée générale de « don de sens » nécessaire à la motivation à l’idée de self directed learning américaine reprise et analysée par Jézégou (2002) sous le terme « autodirection » et qui nous met en garde contre la multiplicité des choix de gestion de l’accès au savoir que proposent les FOAD : « Notre environnement éducatif peut nous ouvrir beaucoup de liberté de choix sans pour autant que nous soyons capables de les saisir. » (p. 49).


Ainsi, pour l’institution de FOAD, l’étudiant doit a priori « savoir à quoi il s’attend », être lucide sur ses propres modes de fonctionnements et ses propres capacités à s’adapter à ce mode particulier d’entrée dans l’étude, pour fonder ses rapports au savoir dans ces conditions, de même qu’un élève ordinaire doit savoir « étudier sa leçon », sans qu’on ne le lui ait véritablement enseigné.


Les institutions de FOAD ont à la fois un projet d’autonomisation pour les étudiants tout en supposant que ceux-ci sont conscients qu’être autonome est comme un pré-requis pour réussir ce type de formation, renvoyant ainsi, quand c’est nécessaire (décrochage), l’étudiant à ses « responsabilités » ; responsabilité comme « signification imaginaire sociale pratique, appelant chacun à agir volontairement et de cette sorte jouant sur le processus de quasi‑ ou pseudo‑ détermination de motivation du sujet de manière adéquate au projet d’autonomie » (Castoriadis, 2002, p. 181).


On considère donc l’étudiant capable de modifier puis de gérer, en « sachant qu’il le fait », les rapports avec ses propres modes de fonctionnement dans l’exercice des rapports aux savoirs.


Or, en est-il complètement capable ? Cela ne lui pose-t-il pas des difficultés telles qu’il songe souvent à décrocher, ou qu’il décroche pour de bon ? C’est d’ailleurs sur ce principe du décrochage programmé que certaines institutions de FOAD fonctionnent financièrement (« drop-out money », aux États-Unis notamment. [11])


Si, comme le recommande Paquelin (2002) il faut bel et bien qu’un dispositif de FOAD se centre sur l’apprenant, avec l’objectif de « permettre à ce dernier d’exercer son autonomie au sein d’un dispositif dont les règles de fonctionnement peuvent être perçues comme distante des pratiques habituelles », on voit qu’à l’épreuve de son « autonomie », l’étudiant s’épuise ; au fil du temps sa motivation s’émousse, son découragement s’accompagne de culpabilité (son engagement financier est souvent important), son image de soi comme capable de gérer un effort intellectuel se dégrade, dans de fortes proportions, il abandonne (Noble, 2000), peut-être faute que les dispositifs n’aient pas su « reconnaître l’empowerment des étudiants sur les espaces-temps sociaux » (Paquelin, 2002).


On peut percevoir comment le problème de l’étudiant à distance est à la fois un problème de temps et un problème d’espace et, pour tenter de comprendre ce qui se passe au plus près de la réalité du travail effectué par chacun dans son environnement, il faut travailler sur une variable qui lie le temps et l’espace conceptuellement. Cette variable peut être pensée à l’aide du concept théorique d’idiorrythmie.

 La notion d’idiorrythmie

Il y a sur le mont Athos en Grèce, depuis mille ans et aujourd’hui encore, des couvents cénobitiques où vivent des moines à la fois isolés, mais reliés à l’intérieur d’une structure très réglée [12]. Ils semblent avoir trouvé un mode de fonctionnement qui respecte à la fois le rythme propre de chacun (de vie et d’étude) et celui de l’institution du monastère comme rassemblement de tous les moines. Ils forment donc des agglomérats idiorrythmiques.


L’engagement de l’individu dans une vie cénobitique se fait en parfaite connaissance de cause des contraintes des règles du couvent et de la solitude qui doit être assumée. Il semble bien que les contraintes concernant le temps et le mode de vie commune délestent en quelque sorte l’individu d’un ensemble de microdécisions qu’il devrait prendre à tout bout de champ pour se gouverner et qui perturbent sa concentration sur ses objets d’étude. A l’inverse, l’étudiant à distance, dans son environnement familial ou professionnel a le plus grand mal à gérer ces perturbations. Elles ne sont pas empêchées par les règles institutionnelles de vie commune [13]qui viendraient l’en décharger, bien au contraire.


Ainsi, il rencontre nombre de difficultés pour se ménager ce qu’on pourrait appeler « un espace idiorrythmique » dans lequel il est maître de son temps et de tout ce qu’il y fait, en particulier dans le problème qui nous occupe : étudier.


Pour aller plus avant il nous semble nécessaire de faire un détour étymologique.


Dans idiorrythmie, il y a rythme, et Benveniste (1964) nous enseigne qu’en grec, rhuthmos est un mot technique de la doctrine des Ioniens qui a le sens de « forme » assumée par ce qui est mouvant, fluide, modifiable (comme les plis d’un vêtement que les peintres s’ingénient à rendre, dira Barthes, 1976-1977) [14]. Ainsi, jusqu’à la période attique, le sens du mot ne signifie jamais « battement régulier », mais « forme distinctive, figure proportionnée, disposition ». Rhuthmos est la fois très proche et très différent d’un autre mot grec : « skhêma  » (qui donnera schéma), être dans un certain état, forme fixe, réalisée, posée comme un objet (renvoie à la pose d’une statue, au geste figé d’un orateur, ou à la figure de danse du chœur dans la tragédie, continue Barthes, ibid.). Opposition donc de rhuthmos à skhêma qui est une figure fixe objectivée, réifiée, parce que rhuthmos, c’est la forme, mais dans l’instant qu’elle est assumée par quelque chose de mouvant, de fluide, de mobile, c’est la forme de ce qui n’a pas de consistance organique, c’est la forme passagère d’un élément, c’est donc une forme improvisée et modifiable [15].


Le souvenir étymologique importe ici parce qu’idiorrythmique, si nous redonnons l’origine du mot rhuthmos, devient quasiment un pléonasme : le rhuthmos est par définition individuel, c’est la façon dont le sujet se place de façon interstitielle, fugitive, dans le code social, ou dans le code naturel. Rhuthmos renvoie aux formes subtiles du genre de vie, les humeurs, les configurations non stables, les passages dépressifs ou exaltés, donc le contraire même d’une cadence cassante, implacable de régularité que nous entendons d’ordinaire dans le mot rythme. Ainsi, c’est parce que rythme a pris un sens répressif, qu’on a été obligé de corriger le mot de rythme par idior-rythme, on a surenchéri, alors que le rythme devait renvoyer à une valeur positive d’une extrême souplesse, mais, pour connoter cette souplesse, on a du indiquer que le rythme devait devenir individuel : idios. Autrement dit, idios s’oppose à rythme, mais c’est la même chose que rhuthmos, en quelque sorte.


On pourrait donc dire d’une autre façon que le concept d’idiorrythmie cherche à éclairer une zone entre deux formes de vie « excessives » : d’un côté la solitude avec sa version religieuse extrême, l’érémitisme, c’est-à-dire la situation des ermites, et, de l’autre côté, une forme excessive intégrative qui est le cénobium, la vie en commun, la communauté ; au milieu, il y a une forme à la fois médiane et utopique, qui est l’idiorrythmie.


Dans des organisations particulières comme les écoles coopératives de Freinet ou les écoles Montessoriennes, on peut repérer une place pour l’idiorrythmie ; dans nos institutions scolaires ordinaires, elle est davantage marginalisée, parfois censurée, voire pourchassée, et peu à peu exténuée par les effectifs des classes, les contraintes de la séquentialisation des contenus disciplinaires et les échéances docimologiques qui scandent implacablement les parcours scolaires de chacun.

 Autonomie-Idiorrythmie, une forme idéale ?

Nous émettons l’hypothèse que c’est cette forme qui mobilise l’étudiant « à distance », qui peut se dire : « Je vais pouvoir choisir de m’organiser comme je veux pour entrer en rapport avec le savoir (quand et à mon rythme), davantage de manière privée, sans avoir constamment, comme c’est le cas en situation de classe ordinaire, à montrer à tous ce que je sais et comment je le sais. [16] » Mais, cette volonté peut s’accompagner du sentiment que cela ne peut se réaliser sans une domestication des évènements quotidiens qui interfèrent inévitablement avec son projet de formation. En effet, pour mener à bien ce projet, il est nécessaire de s’isoler, d’être tranquille pendant le temps dédié à l’étude. Il lui faut ménager des parenthèses dans le flux des obligations familiales et professionnelles. Ainsi, étudier à distance renvoie à une certaine forme d’askêsis (qui a donné ascèse), c’est-à-dire à une exigence de dressage du temps, de l’espace, au service de l’exercice, qui peut aller jusqu’à l’anachorétisme, une vie loin du monde, coupé de tout [17].


On voit que cette nécessité de créer dans son environnement une sorte de « bulle » dans laquelle l’étudiant à distance va organiser son espace idiorrythmique ne va pas sans reposer le problème de son autonomie. En effet, cette loi qu’il s’impose (à certains moments, je dois tout arrêter et étudier) n’est pas sans conséquences sur ses rapports avec tout ce qui constitue son mode de vie. Par exemple, l’éventuel partage de l’ordinateur domestique avec les personnes vivant avec l’étudiant est très souvent problématique. Les horaires de connexion avec les plates-formes montrent également de grandes variabilités inter- et intra- individuelles (Ravestein et Simonian, 2003).


Certes, un étudiant ordinaire doit disposer également d’un espace idiorrthymique pour étudier, mais les moments passés dans l’institution (cours, travaux encadrés, recherche en bibliothèque, séminaires) rendent bien moins cruciale la disponibilité d’un tel espace.


Ainsi, l’étudiant à distance doit impérativement et dans une plus large mesure instaurer « un rapport nouveau avec sa loi, signifiant, entre autres, qu’il peut la modifier sachant qu’il le fait », surtout en devant composer, « s’arranger » avec la loi des autres qui peuplent son lieu de vie et qui sont souvent très proches, tant spatialement qu’affectivement, en tout cas bien plus proches que ne le sont des camarades de classe ordinaire. Son autonomisation va s’apparenter ici à des concessions qu’il va devoir inévitablement apprendre à gérer avec son environnement, matériel et humain.


Des éléments d’observation


Organisation de dispositifs et idiorrythmie


Pour alimenter notre questionnement concernant l’établissement des règles relationnelles entre l’étudiant « à distance » et l’institution qui propose la formation, nous évoquerons le fait que des étudiants à une maîtrise (Master) à distance, sur deux promotions, ont changé radicalement d’avis concernant le degré de pression temporelle nécessaire de l’institution sur l’organisation des travaux.


En effet, pour une première promotion (2000/2001), nous avions ouvert sur l’année les huit modules d’enseignement sur la plate-forme de téléformation de manière permanente. Une consigne générale stipulait que les travaux devaient être rendus avant la fin de l’année. Nous avons entendu alors un double reproche :


- ne pas avoir encadré les échéances dans un calendrier strict ;

- ne pas avoir su donner une évaluation du temps nécessaire à l’exécution des consignes de chaque module.


Il a été très difficile pour les étudiants de terminer tous les travaux avant la clôture des relevés de notes.


Une deuxième promotion (2001/2002), pour laquelle nous avions tenté de planifier à la fois l’accès aux modules (ouverts, puis disparaissant de la plate-forme, ainsi que toute interaction avec l’enseignant concerné sur le module) et des rendus d’exercices à échéances très fixes, n’a pas su se plier à ces contraintes et nous avons dû modifier nos exigences en cours de cursus.


Dans les deux cas, les principales raisons exprimées dans les séances de régulation de la formation ont été précisément de l’ordre de la gestion de l’espace idiorrythmique : les premiers souhaitant une pression de l’institution, les seconds une souplesse qui serait censée respecter davantage leur autonomie, selon leurs propres mots.


Ces deux premières promotions ont donc précisément attiré notre attention sur la problématique de l’idiorrythmie, que nous avons tenté d’éclaircir avec la promotion suivante.


Ainsi, la promotion 2002/2003 a été soumise à un dispositif « médian » : à la fois un calendrier indicatif, un ordre de traitement des modules et des échéances souples pour les régulations et le rendu des travaux. Il semble que cette formule permette mieux aux étudiants de négocier leur organisation dans leur milieu de vie et leur milieu professionnel ; ils disent pouvoir à la fois argumenter l’octroi d’un espace idiorrythmique à l’aide des injonctions institutionnelles (« désolé, mais je dois rendre tel devoir pour le… ») et ensuite se réguler comme bon leur semble.


Afin de mieux cerner les rapports entre l’espace-temps de travail privé et celui proposé par l’institution, nous avons réalisé une enquête auprès des étudiants de la promotion 2002/2003 de la même maîtrise (Master) « en ligne ». Les étudiants étaient invités à répondre à onze questions ouvertes précédées d’un préambule expliquant succinctement la référence à l’idiorrythmie, la question de recherche et les précautions méthodologiques [18].


Les réponses retenues et analysées ont été produites par huit étudiantes qui forment une population relativement homogène en terme d’âge et de situation familiale. Dans le cadre de cette recherche à caractère exploratoire, dont l’objectif est pour l’essentiel de montrer que l’on se pose des questions pertinentes à la problématique générale de la FOAD, notre méthodologie répond, nous semble-t-il, à la double préoccupation d’avoir d’une part un échantillon très représentatif, et d’autre part d’avoir la possibilité d’interpréter finement une quantité d’informations raisonnablement importante avant de lancer une recherche de plus grande envergure en reformulant éventuellement les questions.


Le lieu de la machine


En ce qui concerne l’espace et le rapport avec la machine dans celui-ci (questions 1 à 4), nous relevons qu’il y a un lien affectif très étroit entre la machine (et son contenu) et l’étudiant (« elle est à moi ! rien qu’à moi ! gare à qui s’y aventure » dira même une étudiante). Ainsi, lorsque l’étudiant a dû commencer la formation en partageant sa machine avec d’autres personnes de son entourage, cela a généré des conflits seulement réglés par l’achat d’une machine dédiée, toujours un ordinateur portable, désormais transporté de lieu en lieu, offrant la nécessaire tranquillité pour travailler.


Ce caractère « nomade » de la machine est très valorisé dans les réponses, car lié en fait au rapport espace/temps : on peut créer des espaces idiorrythmiques partout et préférentiellement pour les étudiants enquêtés dans ceux qui le sont traditionnellement, comme la chambre à coucher.


Nos étudiants qui s’isolent ainsi dans la chambre ont-ils le sentiment archaïque confus de lutter plus facilement contre les tentations du non-travail que dans un espace qui lui est d’habitude attribué : le bureau [19] ?


L’organisation du temps de l’étude


La question du temps et de son organisation pour l’étude (questions 5 à 7) est aussi très conflictuelle dans le milieu de vie pour les étudiants enquêtés. Les relations familiales restent tendues tant que les espaces idiorrythmiques ne sont pas contractualisés. Le rapport avec l’espace est patent : l’utilisation du portable permet de quitter un lieu où d’autres utilisent leur temps d’une manière différente. Pour ne pas partager le temps, on quitte les lieux, mais avec sa « porte sur l’extérieur » : la liaison avec la plate-forme, qui s’exprime sous la forme « d’un sentiment de liberté ».


Très vite après le début de la formation, les étudiants négocient avec leur entourage des moments « bloqués » dans lesquels il ne faudra pas interférer avec l’activité d’étude. La négociation est souvent rude et, d’une manière générale, les enquêtés étant constitués de jeunes femmes responsables de famille, les moments octroyés « passent après le reste ». En terme de temps d’horloge, les moments de l’étude sont très variables, quantitativement et en position dans les 24 heures, d’un étudiant à l’autre [20]. C’est ici que le manque de l’institution en tant qu’elle règle le temps didactique de l’activité d’apprentissage se fait le plus sentir. D’ailleurs, les étudiants affirment que leur choix de « mode de travail » serait sensiblement différent de celui qu’ils ont négocié s’ils disposaient de « tout leur temps ».


Ils nous rapportent aussi que le temps qu’ils « volent » à leur entourage est une sorte de monnaie d’échange [21], comme on pouvait le voir dans les rapports des moines avec la société médiévale : le temps confisqué pour soi doit être compensé en terme de surproduction intellectuelle. Le temps de l’étude ne produit ni bien ni service, mais doit manifester des efforts d’un autre ordre, plus symbolique ; ainsi nos étudiants nous rapportent que l’entourage s’informe régulièrement des progrès et « veut voir » ce qui est fait pour la formation.


Travailler avec d’autres


La question 8 qui interroge les liens avec les autres étudiants, donne lieu à des réponses qui font consensus : les difficultés rencontrées individuellement pour créer un espace idiorrythmique semblent avoir « rapproché » les étudiants entre eux. Ils partagent, disent-ils, davantage leurs problèmes et s’entraident beaucoup plus qu’ils ne le faisaient alors qu’ils étudiaient de manière traditionnelle à l’université.


Ainsi, les quelques regroupements donnent-ils lieu à des réunions hors l’institution qui sont marquées par beaucoup de convivialité [22]. Par ailleurs, la promotion des étudiants « en ligne » ne se regroupe que difficilement avec ceux qui suivent l’enseignement en présentiel. On retrouve ici encore comme une transposition de la vie monastique : le retour en communauté (de la cellule aux offices) est un moment fort et qui fonctionne comme une clôture qui désigne précisément l’assemblée comme une communauté particulière.


Un investissement toujours renégocié


À la question 9, une étudiante répond de manière tellement synthétique par rapport aux autres réponses qu’il est pertinent de la citer in extenso :

« J’avais sans doute sous-évalué un aspect fondamental du cursus en ligne : la distance nécessite une disponibilité accrue, car l’organisation n’est pas dictée par une institution, elle est le fruit de notre propre investissement intellectuel et temporel. Il ne s’agit plus seulement d’effectuer un certain nombre de tâches que l’on nous assigne. Nous devons en permanence renouer le contact avec les objectifs de la formation, sans quoi cette dernière devient vite une lointaine silhouette dans le paysage de nos préoccupations quotidiennes. Cet investissement toujours renégocié me semble plus coûteux en terme d’organisation, mais il est vrai que les bénéfices qu’il apporte sont en retour plus grands pour notre construction personnelle ».

Cette idée, confusément exprimée chez ce sujet, selon laquelle un certain surcoût énergétique est nécessaire en FOAD, mais qu’il provoque des changements efficaces dans l’établissement du rapport au savoir, constitue à notre sens une question de recherche centrale que nous allons tenter de formuler.


Comment (re)créer de l’institution ?


Une des questions principales de la FOAD nous est en effet renvoyée ici : comment recréer de l’institution (didactique) lorsqu’on étudie, apprend, enseigne, à distance [23] ?


Les réponses des enquêtés nous parlent des difficultés d’affiliation en début de formation, de gestion temporelle des rapports au savoir et du positionnement dans les rapports à l’institution, mais on constate que les solutions sont très « personnelles ». Ainsi, les réponses à la question 10 concernant le rôle qu’ils voudraient voir jouer par l’institution sont très contrastées, parfois paradoxales. Certains souhaitant un interventionnisme plus important, d’autres « qu’on les laisse se débrouiller », selon leurs propres termes, ceux-ci et ceux-là étant parfois les mêmes qui exprimaient un désir de « liberté pour apprendre » ou bien un désir « d’encadrement » plus fort.


D’aucuns avancent des propositions de pratiques : rendez-vous fixes sur la plate-forme, animation de forums à thème par l’enseignant responsable du module ; un étudiant insiste sur l’importance de « la ritualisation des rendez-vous ».


Castoriadis a souvent insisté sur l’opposition entre « institution totem » et institution où les institués peuvent devenir instituants. C’est bien le problème de la FOAD : les individus doivent s’assujettir à une institution pour tirer partie de « l’énergie morale » et de la catégorisation/temporalisation du monde que les institutions permettent, tout en développant un rapport plus autonome aux règles et aux catégories institutionnelles.


La FOAD, par la nature même de ses médias, peut « figer » les contenus et les interactions humaines les concernant (architectures des plates-formes, modalités d’accès, planifications des échanges, etc.) et devenir « institution totem » où « si l’on ne peut rien imaginer d’autre que ce qui est, on ne peut rien vouloir d’autre. On ne peut même pas s’imaginer voulant autre chose. Toute décision n’est alors qu’un choix entre des possibles déjà donnés d’avance, généralement avant l’acte, posés par l’histoire du sujet ou le système institué, toujours donc ramenables aux résultats d’un calcul ou d’un raisonnement d’une autre instance », (Castoriadis, 2002, p. 114). Quid alors de l’autonomisation de l’étudiant ? Car « l’autonomie se crée en s’exerçant, on se fait libre en accomplissant des actes libres, de même qu’on se fait être réfléchissant en réfléchissant – et on peut faciliter les conditions de cette création et de cet exercice. C’est là le rôle fondamental de l’institution ». (Castoriadis, 2002, p. 153).


On retiendra également l’insistance de Douglas (1999) sur le fait que l’institution n’est pas seulement fournisseur d’énergie morale, de catégories cognitives et affectives, mais aussi un formidable économiseur « d’énergie décisionnelle », ce qui est confortable mais dont la contrepartie est que l’institution peut devenir une dévoreuse d’idiorrythmie. Elle ne la tolère que dans la mesure où elle sert son « projet », qui consiste souvent à former chez l’étudiant un rapport d’assujettissement à ses règles.


Ainsi, l’institution de FOAD peut, parée de ses plus beaux atours technologiques, apparaître comme extrêmement souple, commode, rassurante, disponible, « à notre service » mais en réalité souvent peu interactive et modifiable par l’utilisateur, rendant difficile « l’exercice de son autonomie » [24].


Régler ou réguler ?


Dans ses rapports distendus avec l’institution dans le cas de la FOAD, l’étudiant doit bel et bien inventer un système de gestion du rapport à la règle qui lui permet de faire glisser sa formation dans les interstices temporels tolérés par son milieu. Il semble donc illusoire de vouloir lui imposer un « règlement » dans ses rapports avec l’institution de FOAD.


En effet, si le rapport à la règle est un acte individuel, éthique, dont la fin est de donner transparence à la quotidienneté, il ne peut se vivre que sous certaines conditions « légères » qui sont de l’ordre d’installation d’habitudes communes, assumées peu à peu. La règle est de l’ordre de la coutume c’est-à-dire du non écrit.


Le règlement, lui, est de l’ordre de l’écrit, de l’ordre du juridique, de l’imposé, du non négocié, c’est l’imposition du social comme pouvoir, dépositaire de la loi et qui engendre l’infraction (décrochement, dans le cas de la FOAD).


On l’a dit, les étudiants choisissent ce mode particulier de formation pour des raisons qui tiennent aussi à la représentation qu’ils se font de la possibilité de travailler « de manière plus autonome ». Or, l’espace privilégié de la construction du rapport à sa propre règle c’est précisément l’idiorrythmie.

 En matière de conclusion

L’espace idiorrythmique utopique est celui où on vit son rapport au savoir dans un équilibre entre la solitude et la rencontre. Il ne s’agit pas de la cohabitation, comme en classe, mais bien de la rencontre, ce qui n’est pas sans poser à tous ceux qui gèrent des dispositifs de FOAD de passionnantes questions de recherche.


Les dispositifs de FOAD pourraient de notre point de vue contribuer à l’élaboration d’une nouvelle forme scolaire, centrée sur l’autonomie des sujets : l’institution est présente, puisqu’elle fournit des dispositifs comme le plan de travail, des modalités d’échange, des ressources [25], des scansions ; mais ces ingénieries seront « à saisir », au rythme de chacun, par les étudiants. Si l’institution est toujours là, elle n’est plus seulement « institution-totem », mais institution destinée à la « création et l’exercice de l’autonomie ».

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Notes

[1Par exemple : George et al., 2002 ; D’Halluin et al., 2001 ; Wenger, 1998 ; Bruillard, 1997 ; Scardamalia et al., 1994.

[2Pour mémoire : Baron et Glickman, 1996 ; Baldner, Baron et Bruillard, 2003.

[3Baron et Bruillard, 2002.

[4Voir Collectif du Moulin, Intégrer les formations ouvertes, 2002.

[5Une définition provisoire serait : « la gestion individuelle de l’espace et du temps dans leurs rapports réglés avec une institution ». D’après Roland Barthes (1976), conforté par Benveniste (1964), idiorrythmie doit s’écrire avec deux r car provenant de idios et rhuthmos, le h de rhuthmos perdure sous la forme d’un r associé au s disparu de idios. Certains dictionnaires l’écrivent avec un seul r.

[6C’est d’une certaine manière à ce genre de problèmes que la réforme des cycles à l’école élémentaire Française de 1989 a tenté de répondre de manière générale, comme de manière plus locale les dispositifs de pédagogie différenciée.

[7Les recherches de Rochex (1995) nous le montrent clairement.

[8Sur ce sujet, on pourra se référer à l’ouvrage d’Alain Coulon, Le métier d’étudiant (1997).

[9Pour avoir une idée de tout ce que l’autonomie est ou n’est pas dans ce genre de discours, on peut se reporter à l’inventaire de M. A. Hoffmans-Gosset, dans son ouvrage Apprendre l’autonomie, apprendre la socialisation, Lyon, Chronique sociale, 1987, p. 24-26.

[10Nous avons négligé ici les approches issues des Sciences des Systèmes (Le Moigne, 1990 ; Miermont, 1995 ; Lorigny, 1992) ou bien des approches « complexes » (Morin, 1990 ; Atlan, 1991 ; Varela, 1989, etc.) qui malgré leur intérêt propre sont moins pertinentes à nos préoccupations.

[11L’étudiant, déçu par le système, décroche en cours de route, ce qui dispense les promoteurs de continuer à s’en occuper, réduit les coûts, tout en conservant l’argent versé en bloc à l’inscription. Il suffit donc de monter une bonne opération de marketing, puis de proposer des contenus indigents d’un point de vue didactique, une qualité de régulation pauvre, pour augmenter les profits.

[12On peut trouver également un exemple de cette organisation chez les moines du désert en Égypte.

[13C’est un des rôles du « contrat didactique », concept pour lequel on se réfèrera à la synthèse de Sarrazy (1995).

[14Contrairement à ce qui a été dit parfois à partir de l’étymologie latine plus tardive où rythme est toujours associé à la notion de mouvement régulier, battement, cadence, car associé au Grec « rhein » – couler – et à l’image du va-et-vient des flots.

[15Pour la doctrine des atomistes ioniens, dont Démocrite, c’était la manière particulière pour les atomes de fluer, c’est-à-dire de changer de combinaison, c’étaient des configurations sans fixité, ni nécessité naturelle et le sens musical du rythme est postérieur à cette doctrine, puisqu’il n’apparaît que dans Platon. (Barthes, 1976-1977).

[16Lorsqu’on étudie l’enseignement en présentiel, on s’intéresse souvent ce que Sensevy (2001) appelle « les structures de l’action dans la relation didactique », qui sont en particulier données par le contrat didactique. Une part considérable de l’activité de l’élève, dans cette relation cristallisée dans le contrat, consiste à montrer au professeur qu’il fait bien ce qui doit être fait comme cela doit l’être. Il faudrait donc étudier si et/ou comment, dans la FOAD, cette pression « ostensive » (je travaille et je montre à qui de droit comment je travaille adéquatement) est atténuée, avec quels effets, etc.

[17On retrouve cette préoccupation dans les conclusions de la conférence de consensus organisée par le Collectif du Moulin (2002) : « Compte tenu des risques potentiels de stress, liées à l’isolement des apprenants, il est particulièrement important que des communautés se créent du côté des apprenants. »

[18Les réponses ont été assez longues et détaillées, faisant parfois cas de situations intimes, ce qui nous conforte dans l’idée que les relations entre les rapports publics et privés au savoir ne demandent qu’à être questionnées pour permettre leur expression (au moins partielle) et que des recherches futures selon ce type de méthodologie devraient être fécondes.

[19Cette chambre – souvent conjugale chez nos enquêtés – est un lieu qui, dans les civilisations archaïques, notamment grecque, est un lieu gardé, un lieu du secret et un lieu du trésor, là où on dépose les choses les plus précieuses, c’est-à-dire les choses dont on s’imagine mythiquement qu’elles peuvent être volées (des solutions d’accès codés par mots de passe sont aussi souvent évoquées : l’espace disque de la machine est perçu majoritairement comme espace intime).

La chambre, lorsqu’on y étudie avec son portable, se détache du couple, cesse d’être conjugale, et devient individuelle ou célibataire, comme celle d’un moine (monakos, le moine, ne veut pas dire être seul, en général, mais célibataire, en opposition avec la conjugalité). Cette chambre individuelle, en latin cella (ou cellule) a ainsi son origine historique dans la cabane des ermites.

Barthes (1976) nous rappelle que « la cella est une représentation symbolique de l’intériorité. D’où l’ambivalence, la double valeur de la cella qui est considérée, d’une part comme un lieu difficile, dur dangereux, où le sujet tient un combat extrêmement âpre, tout seul, contre les démons. C’est le lieu du combat démoniaque, en latin, certamen anachorale, dans lequel le sujet humain lutte corps à corps avec le démon, solus cum solo... D’autre part, il y a le versant bénéfique de la cellule, qui représente une intériorité pacifiante ». (archives de la 6e leçon au Collège de France)

[20Nous avions déjà de nombreux indices dans ce sens lorsque nous avions observé les heures de connexion inter-individus sur la plate-forme.

[21On en retrouve trace dans les pages, souvent touchantes, des remerciements en début des mémoires, de la maîtrise à la thèse.

[22La formation est organisée selon deux modalités, une en présentiel sur 11 semaines et celle qui intéresse notre échantillon, organisée sur 5 semaines plus la modalité « en ligne ». Parfois, les deux promotions avaient l’occasion de se retrouver sur une même semaine de formation dans les mêmes locaux.

[23Si on se fonde sur les travaux de Sensevy, Mercier et Schubaeur-Léoni (2000), une formulation plus théorique de cette question pourrait être : si le travail dans une institution didactique peut notamment se décrire à l’aide du triplet « mésogénèse-chronogénèse-topogénèse », la question devient : comment les fonctions dont ces notions essaient de rendre compte sont-elles assurées dans un système didactique « distant » ? En rappelant :

Mésogénèse : désigne la réélaboration en continu du « milieu », c’est-à-dire du système des objets matériels et symboliques auquel l’étudiant est confronté pour apprendre.

Chronogénèse : désigne l’avancement du temps didactique qui organise la temporalisation des apprentissages chez l’étudiant.

Topogénèse : désigne le partage des responsabilités, par rapport au savoir, entre professeur et étudiant, et donc leurs « places » respectives.

[24Signalons à ce propos un fait empirique concernant nos enquêtés : ils ont « dû » (selon leur propre terme), créer un site collaboratif « sauvage » concurrent de la plate-forme institutionnelle pour échanger et mutualiser leurs connaissances et leur mode de travail, hors de notre contrôle.

[25L’institution ne se contente pas, cependant, de « fournir des ressources », que « l’apprenant » utiliserait à son gré : ces « ressources » sont vectorisées (elles sont l’expression d’une chronogénèse) et leur accès est pensé.

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