Histoire de la découverte des premiers gènes de l’horloge biologique chez la mouche

Rhuthmos
Article publié le 15 juin 2010
Pour citer cet article : Rhuthmos , « Histoire de la découverte des premiers gènes de l’horloge biologique chez la mouche  », Rhuthmos, 15 juin 2010 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article60

L’étude de nos rythmes endogènes doit beaucoup aux mouches drosophiles (ou mouches du vinaigre). C’est en effet chez cet insecte qu’ont été découverts les premiers gènes impliqués dans le fonctionnement de notre horloge biologique.


Neurones d’horloge cérébrale de drosophile. Le mécanisme de l’horloge interne de la mouche à vinaigre est proche de celui de l’horloge humaine, c’est pour cela qu’elle est étudiée par les chercheurs.

L’avantage des mouches pour faire de la recherche en génétique, c’est qu’elles sont petites, se reproduisent rapidement, et que l’on peut donc les faire se reproduire par milliers en laboratoire jusqu’à ce que des mutations intéressantes surviennent.


C’est ce qu’ont fait Ron Konopka et Seymour Benzer au début des années 1970. Après avoir administré une substance mutagène à leurs mouches, Konopka et Benzer ont examiné l’activité de 2000 de leurs descendants. La plupart de ceux-ci avaient un cycle circadien normal de 24 heures, soit environ 12 heures d’activité et 12 heures de repos. Mais trois mouches mutantes avaient des cycles très différents : l’une d’elles avait un cycle de 19 heures, une autre de 28 heures, et une troisième n’avait apparemment pas de rythme circadien, s’activant et se reposant apparemment de manière aléatoire.


Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard, au milieu des années 1980, que des recherches menées dans d’autres laboratoires permirent de conclurent que ces trois mutations affectaient un même gène que l’on appela per (pour « period », en anglais). Ce gène, situé sur le chromosome X, servait à fabriquer une protéine nucléaire qui se retrouve chez la drosophile dans beaucoup de cellules intervenant dans l’expression du rythme circadien. Le gène per semblait donc non seulement jouer un rôle dans le rythme circadien, mais il semblait en quelque sorte en déterminer la durée.


En 1990, Michael Rosbash et son équipe démontrent que les mouches normales présentent une variation circadienne de l’ARN messager per et de la protéine PER, tandis que les mouches mutantes dépourvues de rythme circadien ne manifestaient pas cette périodicité de 24 heures de l’expression du gène.


À la même époque, soit près de 20 ans après la découverte du gène per, un second gène aux propriétés semblables est identifié par Michael Young, sur le chromosome 2 cette fois. Il reçoit le nom de tim , pour « timeless » en anglais, puisque les mouches ayant ce gène muté ne présentaient plus de cycles circadiens.


Au milieu des années 1990, on s’aperçu que les protéines PER et TIM produites par ces gènes avaient la propriété de se lier l’une à l’autre. Les travaux de Rosbash et Young permirent de mettre en évidence une boucle de rétroaction très sophistiquée impliquant ces deux gènes, boucle dont un cycle complet dure 24 heures.


On peut schématiser cette boucle de rétroaction en disant que les gènes per et tim sont actifs jusqu’à ce que la concentration de leur protéine dans le cytoplasme devienne suffisamment élevée pour que celles-ci puissent s’associer. Cette association permet aux protéines d’entrer dans le noyau de la cellule et de faire cesser leur propre production par les gènes per et tim. Après quelques heures, des enzymes dégradent les protéines entrées dans le noyau, ce qui permet aux gènes de reprendre leur activité, et le cycle s’enclenche une fois de plus.


Mais qu’est-ce qui active initialement les gènes per et tim  ? En 1997, Joseph Takahashi et son équipe apportent une partie de la réponse en découvrant le gène Clock chez la souris. Ce gène, dont la mutation homozygote entraîne en quelques semaines la perte du rythme circadien, permet de fabriquer un facteur de transcription, c’est-à-dire une protéine capable de se fixer sur un bout d’ADN pour en fabriquer des copies en ARN messagers. Chez la souris, ce sont les gènes per qui sont la cible de cette protéine Clock et qui sont donc activés par elle. Chez la mouche, c’est à la fois le gène per et tim.


Rosbash et ses collègues ont aussi trouvé un gène qu’ils ont appelé cycle et dont la protéine se lie à la protéine CLOCK pour activer les gènes per et tim.


Puis, en 1998, c’est au tour de la protéine Doubletime d’être mise en évidence. Il s’agit d’une kinase, c’est-à-dire une protéine qui, par une réaction de phosphorylation, peut ajouter un groupement phosphate sur d’autres protéines. En l’occurrence, elle phosphoryle la protéine PER, que ce changement de structure rend instable et incapable d’entrer dans le noyau pour inhiber sa propre production.


D’autre part, on a découvert que le niveau de la protéine TIM était directement affecté par l’intensité lumineuse via une protéine appelée CRY. Cette protéine appartient à la famille des cryptochromes, molécules initialement décrites comme des récepteurs de la lumière. Chez la drosophile, CRY, en réponse à la lumière, interagit avec TIM et cause sa dégradation, ce qui l’empêche de former un complexe avec PER. Encore ici, il y a un effet global activateur des gènes PER et TIM par diminution de l’inhibition.


Doubletime et CRY agissent donc toutes deux en modifiant la disponibilité de deux des protéines centrales de l’horloge.


Notons que CRY a été décrite ci-dessus comme s’associant à TIM. C’est certes le cas chez la drosophile. Mais chez la souris, CRY se lie à PER, pour donner un complexe PER-CRY fonctionnellement analogue au complexe PER-TIM de la drosophile. En d’autres termes, selon que l’on étudie la drosophile ou la souris, CRY assume deux fonctions quasiment opposées : activateur indirect de la transcription du gène per chez la première ou inhibiteur du même gène chez la seconde ! Problème inhérent à la comparaison de résultats entre systèmes d’études différents…


Source : http://lecerveau.mcgill.ca/flash/capsules/histoire_bleu08.html

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