Vie publique et vie privée : de nouveaux régimes temporels

Article publié le 12 février 2013
Pour citer cet article : , « Vie publique et vie privée : de nouveaux régimes temporels  », Rhuthmos, 12 février 2013 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article809

Ce texte a déjà paru dans la revue Réseaux, 2007/1, N° 140, p. 29-65.


Personne ne le conteste, et ceci est devenu un lieu commun, nos modes de vie connaissent des mutations importantes et sont amenés à en connaître d’autres encore plus importantes. Depuis la fin des « trente glorieuses » une succession de transformations se cumulent pour aboutir à ce que l’on peut considérer comme le début d’une véritable mutation anthropologique.


Les explications proposées pour comprendre un tel mouvement ne manquent pas. Les diverses thèses de l’hypermodernité prétendent en fournir les clés mais au prix de généralisations et de simplifications parfois excessives.


Ces mutations se manifestent de bien des manières dont nous pouvons d’ores et déjà percevoir les symptômes dans les transformations des comportements individuels. Nous souhaiterions, pour notre part, analyser l’une d’entre elles particulièrement significative de la nouvelle époque où nous sommes engagés. Il s’agit du processus de réorganisation des pratiques quotidiennes. On a largement étudié les processus de réorganisation des temps de travail ou les évolutions des pratiques de consommation et de sociabilité mais on commence seulement à apercevoir que c’est l’ensemble de nos programmes d’activité dans la vie privée comme dans la vie professionnelle qui s’organise différemment. De ce point de vue, deux problèmes méritent une attention particulière : celui de la structuration de l’architecture temporelle de nos vies quotidiennes et celui de la redéfinition des rapports entre vie publique dans sa dimension professionnelle, d’une part, et vie privée dans sa dimension familiale, d’autre part. Le temps se fait rare donc précieux : on économise du temps ici pour mieux en dépenser ailleurs selon une autre distribution de la valeur temps au cours de la journée, de la semaine, de l’année ou de l’existence. Les catégories qui servent à décrire les pratiques sociales sont remises en cause, celle de la césure traditionnelle entre vie publique et vie privée comme bien d’autres. On pourrait immédiatement objecter que cette césure n’a jamais existé dans le monde de la petite entreprise (agricole, artisanale ou commerciale), ou encore qu’elle n’a pas lieu d’être pour l’ensemble des retraités dont le poids dans la population et l’importance économique ne cessera d’augmenter dans les années à venir, ou qu’elle revêt un sens très particulier dans le cas des populations exclues du marché du travail. On pourrait certainement montrer que dans chacun de ces cas, elle revêt d’autres formes mais tel n’est pas notre propos. Nous souhaitons plutôt focaliser notre analyse sur ces populations situées au cœur des enjeux de productivité d’une société dans tous les aspects de la vie professionnelle ou privée.


Plusieurs tendances structurelles marquent l’ensemble des pays développés. Certaines résultent d’une évolution de longue portée historique d’ordre culturel qui a conduit à plus d’autonomie des personnes. D’autres résultent d’une transformation du travail issue de la mondialisation de l’économie. D’autres, enfin, résultent de la profonde transformation des rapports au temps et à l’espace, associée au développement des nouvelles technologies de communication matérielles (les moyens de transports rapides) et immatérielles (les dites TIC). Leurs effets se mêlent de manière étroite dans la constitution de nouveaux régimes temporels.


De là découle une série de nouvelles questions concernant l’organisation de notre vie quotidienne. Comment la multi-appartenance et la capacité à construire des programmes d’activités complexes par la maîtrise du temps aboutissent-elles alors à d’autres manières d’articuler les différentes sphères de la vie individuelle ? Va-t-on vers une intensification de notre vie privée sur le mode de l’intensification du travail et vers la montée en puissance de la productivité individuelle sur tous les plans ? [1] L’adoption massive et rapide des nouvelles techniques de communication par les individus semblerait être associée à cette sorte d’injonction latente à optimiser l’organisation de sa vie dans toutes ses dimensions professionnelles ou privées. S’accompagne-t-elle réellement d’une réorganisation globale de nos programmes d’activité où vie professionnelle et vie privée finiraient par se confondre, comme cela est parfois affirmé ?


La thèse de l’émergence d’un nouveau modèle de comportement propre à l’individu contemporain se propose alors comme réponse à de telles questions.

 Le « main trend » hypermoderne et l’idéal type de l’individu contemporain

Le modèle


Il apparaîtrait pour certains que se profile une matrice comportementale commune à toute une société sur le modèle de la théorie de la personnalité de base élaborée en leur temps et dans leur société du moment par bien des auteurs tels par exemple, David Riesman avec son ouvrage « La foule solitaire » ou avec David Linton avec son ouvrage sur « La personnalité de base » ou encore Eric Fromm [2] et ses théories de la personnalité autoritaire. Cette nouvelle matrice s’imposerait déjà, en ce sens qu’elle organiserait peu ou prou l’ensemble des pratiques de la population.


En fait, il est difficile de tracer un portait cohérent de ce nouvel idéal type tant l’ensemble des écrits censés décrire l’univers de l’hypermodernité présentent de thèses contradictoires sous une façade de cohérence trompeuse. L’homme hypermoderne serait ici, un être de l’immédiateté et là, un être de réflexivité ; il serait ici, porté par la recherche de la jouissance et de la satisfaction immédiate des désirs et là, comme un être calculateur multipliant des stratégies assurantielles ; il serait ici, défini à partir d’une personnalité de base et là, comme un comme un combiné identitaire associant de multiples références identitaires ; il serait là, un être libre de choisir sa vie et là, un être conformiste soumis aux prescriptions des institutions…


On peut, bien entendu, arguer du fait qu’il est tout cela en même temps et que c’est cela qui le caractérise. Encore faudrait-il parler de la même chose et ne pas laisser à penser que le point de référence théorique commun du melting pot théorique hypermoderne serait l’avènement d’une post sociologie. Encore faudrait-il, partant de situations socialement définies, montrer comment des individus socialement situés, gèrent ces contradictions.


Notre propos n’est pas ici de porter une critique générale à ces théories tant elle couvrent de questions différentes, depuis la question des rapports entre système économique et système psychique jusqu’à la question du délitement des structures d’encadrement moral de l’individu, en passant par celle de l’émergence d’un nouvel individu narcissique et jouisseur. Nous souhaitons porter le regard sur une des questions soulevées par les tenants de la dite hypermodernité.


Elle concerne la mise en demeure, à laquelle seraient soumis les individus, d’élaborer des programmes d’activité de plus en plus complexes, de plus en plus flexibles, de plus en plus productifs dans toutes les dimensions de leur vie. L’élaboration de ces programmes appellerait des ressources cognitives plus élaborées, fondées sur culture du temps réel permettant la réactivité en toute circonstance.


Les nouveaux régimes temporels au plan individuel se caractériseraient ainsi par une rationalisation du temps : l’optimisation et l’intensification du temps seraient devenus l’alpha et l’oméga de l’organisation de l’ensemble de nos activités. La nouvelle technique de communication que constitue le téléphone mobile permettrait de remplir les vides et de rationaliser l’ensemble des moments de la vie [3]. Comme le note Francis Jauréguiberry il conduit à un « dédoublement du temps » : le temps interstitiel entre deux tâches peut être rempli ou encore les temps peu denses peuvent être densifiés (lorsque je conduis en téléphonant, par exemple).


Ils se caractériseraient également par une densification du temps. La multiactivité déjà inaugurée avec la radio ou la télévision (j’écoute la radio et je fais la cuisine ou je conduis) est maintenant décuplée avec le téléphone cellulaire (je téléphone et je conduis). La culture du zapping résulte de la même logique de juxtaposition des contenus sur l’écran. Le WAP [4] qui va désormais permettre d’accéder à internet à partir d’un téléphone mobile combine la pratique du zapping (je passe en permanence d’un sujet à un autre sur mon écran), à celle de la multi-activité et de la chasse aux temps morts (je me branche sur le réseau internet dans les interstices de la vie quotidienne). C’est ce qu’on appelle rentabiliser et recomposer son temps !


Ils se caractériseraient par une capacité à la réactivité relevant d’une nouvelle culture du temps réel. Nous utiliserions les multiples sources d’information disponibles en temps réel pour réorganiser en permanence l’ensemble de nos programmes d’activité.


Les nouveaux régimes temporels seraient également ceux de la disponibilité permanente. D’une part, l’individualisation des modes de vie se traduirait par des types de sociabilité caractérisés par la multiplication des « liens faibles ». Il s’agit de liens individualisés, qui n’engagent pas toute la personnalité, qui se succèdent rapidement dans le temps et qui appelle d’autres techniques de communication. Les TIC qui autorisent des communications individualisées, rapides, non formalisées, correspondent à ces formes de sociabilité. D’autre part, la tendance à la multi-appartenance appellerait des individus constamment disponibles. Les TIC par les capacités qu’ils offrent à manipuler presque dans le même moment des informations appartenant à différents registres de vie seraient en parfaite congruence avec la gestion personnelle de réseaux complexes.


Voilà tracé un des aspects du type idéal de l’individu hypermoderne. Ce serait l’individu hyperactif, capable de réagir vite aux événements, indéfiniment disponible, organisateur sans faille de toutes les dimensions de sa vie quotidienne, flexible et donc capable de jouer en permanence sur toutes les formes possibles d’ajustement entre sa vie privée et sa vie professionnelle au point de confondre les deux.


On peut distinguer deux variantes de ce modèle. La première suppose l’émergence d’un monde presque parfaitement fluide fondé sur une mobilité optimale des biens, de l’information et des personnes. La métaphore de la société « comme réseau et comme fluide » l’emporte sur celle de la société conçue comme territoire. La mobilité, la fluidité, plus généralement la logique des flux constituerait le fondement de toute l’organisation sociale. John Urry [5] en vient à conclure que, du fait en particulier du développement des TIC et du « temps instantané », toutes les frontières (entre les États, entre le travail et la famille, entre le jour et la nuit…) tendent à devenir poreuses. La flexibilité sous toutes ces formes, portée par des populations mobiles et branchées sur toutes les sortes de réseaux serait au principe de l’ensemble de nos comportements. La fluidité et la mobilité apparaissent alors comme une sorte de modèle généralisé pour comprendre la vie en société dans toutes ses dimensions. Pour certains autres auteurs comme Ulrich Beck, le divorce dans la vie privée et la mobilité matrimoniale relèverait alors de la même propension à la mobilité et à la flexibilité que la mobilité professionnelle. Cette version radicale pose dans le même mouvement, d’une part, qu’il n’existe plus de modèle stable de comportement et que par conséquent chaque individu invente sa vie et ses valeurs en permanence [6] et, d’autre part, qu’une seule et même logique de fluidité et de flexibilité régit l’ensemble des comportements et des représentations.


Ces tendances sont indéniablement à l’œuvre dans nos sociétés. Mais ne doit-on pas considérer avec plus de prudence que le modèle idéal de l’individu du capitalisme contemporain n’est qu’un idéal type correspondant plus ou moins aux comportements de certaines catégories sociales. Celles que l’on appelle parfois les « élites ». Les théories de la société postindustrielle considéraient déjà que les fractions supérieures de classes moyennes ou « élites administratives et culturelles » dont l’assise résidait dans un niveau élevé de formation initiale constituaient le « centre vital de la société post industrielle ». La thèse hypermoderne reprend la même logique en supposant que le modèle est actuellement portée par une sorte d’avant-garde sociétal, les dites « classes créatives » et qu’il est amené à se diffuser ensuite à l’ensemble de la population selon une sorte de loi de la diffusion des modèles sociaux qui irradierait la société depuis les couches « supérieures » porteuses du modèle dominant vers les autres couches de la population. Certains analystes de l’hypermodernité sont bien plus prudents en dénonçant l’idéologie d’une société de marché caché sous ce modèle : « …l’homme hypermoderne est une fiction, une représentation qui est proposée, imposée aux individus issus de la culture moderne occidentale, voire aux autres, à force de slogans, d’images, d’injonctions paradoxales et de mise en conformité de leur environnement technique, économique et social. » [7]


La seconde variante a ceci de commun avec la première qu’elle considère que le modèle est désormais dominant. Mais elle va plutôt évoquer les ravages sociétaux qui l’accompagnent en dénonçant ce qu’elle nommera le « culte de l’urgence ». Alors que la première version insiste sur le développement de la liberté individuelle propre au modèle, la seconde version insiste sur le fait que l’intensification du temps et la recherche de la productivité constituent de nouvelles contraintes constitutives de l’organisation des nouveaux modes de vie. Les individus seraient devenus esclaves de la recherche de l’optimisation de l’organisation de leurs activités personnelles. Les TIC constitueraient alors les vecteurs (certains diraient les complices) d’une recherche d’optimisation du temps. On met alors les TIC en accusation au prétexte qu’elles seraient les vecteurs du système de la disponibilité permanente et de nouvelles formes de domination au sens où seuls les dominants peuvent exiger des dominés qu’ils le soient en permanence.


En fait, cette critique qui fait reposer l’explication de l’intensification de la vie principalement sur le développement des TIC manque largement sa cible, car le développement des TIC peut relever de différents types d’usage. Surtout, elle s’inscrit sur le même type de raisonnement qui consiste à postuler une logique unique en matière de rationalité des comportements. La nouvelle norme de comportement ne fonctionnerait plus sur le mode dit fordiste de l’imposition par les institutions et en particulier par les institutions organisatrices du travail d’une norme unique mais à partir d’une injonction pour les individus à adopter une logistique du quotidien efficiente qui permettrait toujours plus de productivité dans tous les domaines d’existence.


Les modifications des programmes d’activité : les limites d’un idéal type


L’observation empirique plus précise des évolutions de notre société amène cependant à mettre en doute la thèse de la généralisation du modèle. Surtout elle amène à penser les évolutions sociétales à partir de le rencontre de logiques contradictoires plus qu’à partir du déploiement d’un modèle unique.


Nous sommes alors amenés à porter plusieurs types de critiques à ces thèses. Nous rappelons qu’il n’existe pas de théorie stabilisée et unifiée de l’hypermodernité mais des thèses souvent contradictoires. Néanmoins, ces thèses convergent peu ou prou vers une même vision de l’évolution de nos modes de vie. Ce qui autorise cette reconstruction d’un univers intellectuel et l’utilisation du terme de modèle (en un sens très général) et ce qui nous permet d’ouvrir un débat où chacun reste libre d’identifier les thèses ainsi critiquées.


Le modèle considère que la nouvelle culture fait consensus


Dire que le modèle est répandu dans les « classes créatives » ne signifie pas pour autant qu’il constitue un idéal de vie pour ces dernières. Elles le subissent parfois autant qu’elles le choisissent et il n’est pas dit qu’il ne se heurte pas à un moment à des résistances dans la vie professionnelle comme dans la vie privée.


Pour s’en tenir à l’exemple de la mobilité physique, les spécialistes des transports [8] ont montré que des contres tendances apparaissaient. L’injonction à la mobilité rencontre désir de pacification du trafic et un ralentissement des vitesses de circulation des automobiles, elle rencontre nouveau désir de ville et un mouvement de retour vers les commerces de centres ville. La logique des flux se heurte à de nouvelles recherches d’identités territoriales.


Le modèle suppose des types de rationalité des comportements Simplificateurs


L’hypothèse selon laquelle l’optimisation des temps de la vie serait au principe de tous les principes de rationalité des comportements procède en fait d’une vision relevant d’un économisme généralisé. Elle semble admettre que le principe de flexibilité qui caractérise les nouvelles manières de travailler aurait envahit l’ensemble de la vie privée. Elle semble finalement peu cohérente avec la thèse de la multi-appartenance au sens où cette dernière postule non pas une mais plusieurs logiques organisant les comportements selon les sphères relationnelles mises en jeu.


Le modèle passe sous silence les effets différenciés des transformations du travail


Faute de s’intéresser un peu plus attentivement aux transformations du travail, les tenants de ce type de modèle ont souvent tendance à oublier que nos manières de vivre et de produire connaissent des mouvements contradictoires. S’ils concèdent aisément, et il serait difficile de faire autrement, que l’écart se creuse entre les affiliés et les désaffiliés ou entre les « in » et les « out » ou encore entre les salariés stables et les précaires, ils oublient que l’introduction des TIC associée à de nouvelles formes de taylorisation débouche sur de profondes fractures au sein même du salariat.


Le modèle passe sous silence la diversité des rapports au temps dans notre société


Cette diversité des rapports au temps est lisible dans l’inégale capacité des individus à maîtriser les règles d’organisation de leur temps de travail. Elle est également lisible à partir de l’organisation des temps de la vie privée plus ou moins rigide et routinière ou plus moins flexible et diversifiée. Poser comme postulat que la caractéristique principale des modes de vie contemporains réside la capacité d’improvisation permanente du temps par les individus nous interdit de comprendre les inégalités profondes des rapports au temps qui émergent actuellement.


Le modèle ne prend pas en considération les contextes de vie


Le modèle insiste sur l’individualisation des schèmes d’organisation des comportements comme si les individus étaient situés au milieu d’une nébuleuse de relations sociales au sein de laquelle ils construiraient leurs réseaux. Pourtant, même dans des sociétés fortement individualisées les modèles de vie individuels relèvent d’abord de négociations avec le réseau proche. Il convient donc de considérer les configurations professionnelles et familiales à partir desquelles s’opèrent les arbitrages temporels qui fondent la structure temporelle globale des activités. Les nouvelles nécessités de synchronisation spatiotemporelle auxquelles sont confrontées les individus font l’objet de négociation au sein du collectif de travail ou du collectif familial.


Le modèle tend à considérer que vie professionnelle et vie privée relèvent désormais d’une même logique relevant d’une flexibilité généralisée des modes de vie


La mise en équivalence généralisée de tous les moments et de toutes les dimensions de la vie quotidienne ne permet pas de penser la spécificité des moments professionnels et privés et par conséquent la recomposition des relations entre ces deux scènes ou ces deux champs d’activités. Or, on ne peut comprendre ce qui fait la nouveauté des modes de vie contemporains si on ne se met en position de penser la diversité des modes de négociation entre organisation de la scène privée et organisation de la scène professionnelle. Il convient alors d’examiner plus précisément ces différents points en commençant par les transformations associées à l’organisation du travail.

 Les nouveaux régimes temporels des individus. Entre vie professionnelle et vie privée

Les temps dans le travail, de travail, du travail


Devant la pression du court terme et les nouvelles contraintes temporelles qui s’exercent sur les entreprises (flexibilité, just in time, zéro stock…), ces dernières ont le plus souvent pour réaction de rejeter sur les salariés une partie des risques auxquelles elles sont confrontées : flexibilisation du temps de travail, intensification du travail, raccourcissement des délais de prévenance en matière d’horaires, incertitude sur l’avenir de l’emploi… Dans les réorganisations sociales qu’entraînent les nouvelles manières de produire, une des principales variables d’ajustement devient le rythme de travail humain [9].


Comme le montrent la sociologie du travail [10], l’intensification du travail est devenue une des caractéristiques principales de l’organisation actuelle du travail. Elle se caractérise de différentes manières. Par la chasse aux temps morts et l’impératif de productivité, par la réactivité et la capacité à donner des réponses immédiates à des demandes multiples, par la capacité à gérer des exigences contradictoires, par les nouveaux impératifs de polyvalence du fait des horaires plus erratiques des collègues…


Les temps de travail sont devenus plus complexes et la modification de leur organisation appelle de très nombreux ajustement du fait en particulier du raccourcissement des délais de prévenance des horaires. Les formes d’intensification du travail varient cependant selon que les à coup sont plus ou moins auto organisés. La question de la gestion des à coup devient alors plus importante que celle des horaires en soi car elle est lourde de conséquence sur l’organisation de la vie quotidienne.


Mais il ne faudrait pas en tirer la conclusion, comme on le fait parfois, que l’intensification du travail débouche pour tous, sur les mêmes impératifs de flexibilité et les mêmes contraintes temporelles. De ce point de vue, l’introduction des TIC dans les entreprises peut avoir des effets très différents.


Le management par projet met au premier plan la question des délais de prévenance mais il autorise des formes d’auto organisation du travail des cadres qui peuvent gérer plus ou moins leurs périodes de fortes mobilisations. Les services des entreprises dont l’organisation est fondée sur le service et le conseil à la clientèle verront les rythmes de travail fluctuer avec les rythmes de la demande ou qui verront l’extension des heures d’ouverture le soir, la nuit ou le week-end. Les services en ligne accessibles 24h sur 24h en sont en exemple notoire. Voilà la partie la plus visible. Il en est une autre que les théoriciens de la flexibilité tous azimuts oublient le plus souvent. Il s’agit du renouveau de principes inspirés du taylorisme dans les activités de services, au delà des activités industrielles [11]. Patricia Vendramin nous montre ainsi que les progiciels de gestion intégrée « réintroduisent le chronométrage et l’enchaînement des tâches »Elle montre également, que les TIC « placent le salarié dans une situation de contrôle et de dépendance inédite alors que dans le même temps se développe un discours sur l’autonomie et la responsabilisation dans le travail » et, que le management moderne « confie aux salariés des postes de travail de plus en plus segmentés, standardisés et prescrits » [12]. Le même auteur montre alors qu’à cette inspiration taylorienne dans la mise en place des procédures s’ajoute une forte augmentation de la charge mentale associée à la surcharge informationnelle dans le travail [13].


Peut-on alors continuer à considérer que la fin des routines, que la fin des prescriptions normatives des comportements, que la désintégration « des rythmes sociaux très forts », que l’effondrement « de l’encadrement traditionnel de l’organisation de la vie quotidienne », que l’invention perpétuelle de la construction du quotidien est réellement au fondement de nos nouvelles organisations temporelles ? Peut-on considérer que la charge mentale au travail s’évanouit dès lors que l’on passe dans sa vie privée et que cette dernière n’est régit que par une pulsion consommatoire narcissique ?


La grande transformation : l’entrée des femmes sur le marché du travail salarié et les combinaisons temporelles qui se déroulent au sein même du ménage


L’entrée massive des femmes sur le marché du travail dans le salariat depuis les années 1960 a bouleversé toutes les données de l’organisation de notre vie quotidienne. Ceci s’est accéléré au cours des années 1970 et a continué de manière tout à fait continue jusqu’à maintenant et ça continue encore. Ainsi, entre selon le recensement général de population, entre 1962 et 1999, le taux d’activité des femmes de 25 à 39 ans est passé de 41,5 % à 82 % et celui des femmes de 40 à 54 ans est passé de 47,2 % à 78,8 %. Dominique MEDA nous dit que pendant des siècles, les femmes ont servi « d’amortisseur temporel » dans la société : ce sont elles qui ont géré la logistique du quotidien. Les femmes sont occupées ailleurs, dans le salariat et il faut pourtant continuer à assurer la logistique du quotidien.


Les femmes confrontées à la multiplicité des rôles sociaux sont devenues des expertes de l’optimisation de l’allocation du temps. Comme nous l’avions montré dans des travaux précédents ce sont elles qui à partir des années 1960 et 1970 (génération des femmes nées entre…) commencent à optimiser leur calendriers de vie en ayant leurs enfants plus tard et en se mariant plus tard [14].


Les transformations des temps de travail [15]


On mentionne souvent, à juste titre, la tendance historique à la réduction du temps de travail individuel dans tous les pays développés. On oublie alors trop souvent que si les temps de travail individuels ont tendance à diminuer, avec toutefois des variations notoires selon les catégories sociales, en revanche, les temps de travail des couples ont considérablement augmenté du fait de leur bi activité. Le vrai problème ne réside donc pas en soi dans la durée du travail individuel mais dans les nouvelles charges de travail que les familles doivent gérer du fait du développement de la bi activité dans les couples.


En fait, il faut comprendre beaucoup plus finement les nouvelles combinaisons temporelles qui se déroulent au sein même du ménage. Les travaux des économètres et des sociologues se conjuguent pour montrer [16] qu’il existe une forte dépendance des deux membres de la famille dans leur stratégie d’offre de travail : les durées de travail des deux conjoints sont corrélés. Lorsqu’il n’y pas d’enfant dans la famille plus l’un travail longtemps et plus l’autre travaille longtemps. Mais dans 68 % des cas la durée du travail de l’homme est supérieure à celle de la femme ; cela passe à 80 % des cas lorsque l’homme est cadre et que la femme n’est pas cadre (les femmes cadres travaillent autant que leur mari). A partir de deux enfants de moins de 6 ans la durée du travail féminin baisse mais celle de l’homme augmente si CSP est supérieur à celle de la femme.


La gestion des horaires est devenue une affaire de plus en plus collective au sein de la famille. Elle également devenu une affaire de plus en plus complexe. D’une part, les régimes horaires sont devenus plus chaotiques du fait des emplois à horaires variables et du fait de la multiplication des horaires dits atypiques, au cours des années 1990. D’autre part, les structures familiales se diversifient avec le développement des familles recomposées associée au délitement de la norme de la famille conjugale classique.


Marie-Agnès Barrère-Maurisson [17] distingue pour sa part, trois types de profils familiaux. Le premier est celui de la famille à carrière unique où seul l’homme exerce une activité professionnelle (ce type concerne moins d’une famille sur quatre et tend à diminuer) ; le second concerne les familles où les deux conjoints travaillent à plein temps (c’est le cas d’environ une famille sur deux) ; le troisième à carrière non symétriques où l’homme travaille à temps plein et la femme à temps partiel ou de manière irrégulière (ce modèle qui concerne un quart des familles tendrait à se développer).


On conçoit cependant aisément que la combinatoire des cas de figure possibles est beaucoup plus complexe. En effet, si l’on fait intervenir, d’une part, les différents types de régimes horaires auxquels sont soumis chacun des conjoints et, d’autre part, les différents types de familles (conjugales classiques, recomposées, monoparentales avec enfants) aux différents moments du cycle de vie, alors le jeu des systèmes d’ajustement entre vie professionnelle et vie privée devient très ouvert.


Voilà donc des individus contemporains pris dans une double négociation : une sur la scène des temps de travail, l’autre sur la scène de sa vie privée. A ce double jeu certains s’en sortent beaucoup mieux que d’autres.


Deux logiques des rapports entre vie professionnelle et vie privée


Comment logique d’organisation de la vie privée et logique d’organisation de la vie professionnelle se conjuguent-elles ? Les controverses qui traversent la sociologie américaine prouvent que le débat est loin d’être clos. Certains travaux américains (SCHOR. 1992) montrent ainsi que le temps de travail a augmenté considérablement et rapidement dans ce même pays et ils montrent que la vie privée est comme envahie par les activités professionnelles. Les conclusions des travaux menés par les anthropologues de l’Université de San José sur le travail dans la Silicon Valley convergent tous pour montrer la fin des frontières entre vie de travail et vie de famille, les TIC constituant « la glue qui tient tout cela ensemble ». Mais alors que certains chercheurs dénonce la pauvreté grandissante en temps (« time famine ») et la pression des entreprises [18], d’autres considèrent qu’en fait les valeurs se sont inversées au point que « le travail est devenu une espèce de foyer et le foyer un travail » [19]. Ainsi, à la question qui consiste à savoir si les ménages s’emparent des nouvelles possibilités offertes par le développement de la flexibilité dans l’organisation du travail une étude répond, à propos des salariés des entreprises américaines [20] que la logique de l’entreprise a maintenant complètement envahi celle de l’organisation de la famille. Par une sorte de renversement de logique, le foyer serait désinvesti psychologiquement et inversement le travail deviendrait un moment et une activité d’investissement personnel positif plus fort. Le travail serait devenu accueillant et le foyer plus contraignant. La flexibilité serait donc le moyen pour la logique productive d’envahir l’ensemble du quotidien avec l’assentiment et la coopération active des salariés. Cette dernière analyse a fait l’objet de nombreuses critiques théoriques et méthodologiques. La plus percutante d’entre elles [21] montre que l’entreprise exerce une sorte de chantage à la loyauté sur ses salariés cadres et que le dévouement complet à l’entreprise est un comportement implicitement requis. En d’autres termes, la flexibilité permettrait l’exercice de formes de néo-paternalisme offrant certaines gratifications en échange d’un dévouement de tous les instants à l’entreprise. En contre partie les attitudes “ family-oriented ” peuvent être lourdement sanctionnées en termes de déroulement de carrière. Nous serions donc moins en présence d’une nouvelle propension des familles à préférer le travail au foyer domestique que d’un affichage tactique d’attitudes convenues pour conforter sa position dans l’entreprise. La sociologue se serait donc laissée prendre au discours indigène et aurait de plus extrapolé à l’ensemble des familles américaines, une analyse portant sur ce qui correspondrait à notre échantillon de cadres moyens. C’est ce que confirmeraient d’autres travaux [22] qui contrairement aux analyses de HOCHSCHILD montrent à partir d’études sur les normes horaires qui s’imposent à certaines catégories de salariés qualifiés que les parents bi actifs recherchent un équilibre entre travail et famille, ne désertent pas leurs responsabilités familiales et acceptent mal le choix devant lequel on les place : la carrière contre le bien être dans la vie privée.


Professionnel, public, privé : repenser les catégories de la pratique [23]


L’inconvénient de ce type de controverse est d’opposer les deux mondes du public/professionnel et du privé sans chercher à comprendre la manière dont ils se recomposent mutuellement. Or, s’il est incontestable qu’il existe deux logiques qui entrent parfois en contradiction, il apparaît également que se recompose très profondément les frontières symboliques du public et du privé ou autrement dit de l’espace et du temps privé et de l’espace et du temps public. Ce que masque ce type de controverse.


La définition des frontières de la vie privée et des relations entre, d’une part, espaces et temps du travail et de la vie publique et, d’autre part, espaces et temps de la vie privée et familiale est un fait de civilisation majeur.


Ainsi, autour de la seconde moitié du XVIIIe siècle se créent les conditions de constitution de la vie privée « bourgeoise » qui se diffusera progressivement aux autres couches de la population au cours du XIXe siècle. Les travaux de l’historien Philippe Ariès [24] nous enseignent que la famille « moderne » des notables de la fin du XVIIIe siècle commence à poser ses limites par rapport aux intrusions extérieures, à assurer l’indépendance fonctionnelle de ses pièces (il n’y a plus de lits n’importe où et les pièce de réception y sont précisément définies) à définir les moments de réception. Elle se substitue à un système relationnel où il n’existait pas « de séparation entre la vie professionnelle, la vie privée, la vie mondaine et sociale » [25]. Les pièces n’y étaient pas spécialisées et l’ensemble des relations sociales et familiales se déroulait dans les mêmes espaces. Surtout, il n’y avait pas de règles pour les visites que l’on faisaient sans prévenir et à n’importe quel moment : « Bref, les visites apparaissaient comme une véritable occupation qui commandait la vie de la maison, dont dépendaient même les heures de repas » [26]. Le XIXe siècle connaîtra tout un processus d’embourgeoisement des modes de vie des catégories populaires qui peu à peu conquièrent le droit à la privacy comme lieu d’expression de l’individu hors de sa fonction de producteur. La séparation des deux sphères apparaîtra à partir de cette époque dans le monde du travail salarié comme la norme sociale dominante. Max Weber expliquera que l’imposition de frontière entre vie privée et vie au travail est une des caractéristiques de l’industrialisation de la société est qu’elle s’inscrit dans le mouvement de rationalisation de la société [27].


Une nouvelle combinaison des rapports public/privé se constitue actuellement. Elle est fondée sur les nouvelles porosités qui s’établissent entre temps et espaces de la vie au travail et temps et espaces de la vie privée. Elle résulte principalement de l’ensemble des mouvements sociétaux évoqués plus haut. On soulignera en particulier, le fait que le brouillage des frontières entre les deux sphères est très étroitement lié au brouillage des frontières symboliques entre les mondes masculin et féminin. Au premier monde, celui du masculin et du travail étaient associées les valeurs viriles de la compétition, du risque, de la réussite personnelle ; au second monde celui du féminin et de la famille étaient associées les valeurs de paix et de sécurité ontologique : le monde du repos du guerrier en quelque sorte, si bien symbolisé par le pavillon péri urbain ou le cottage des suburbs américains, localisés à bonne distance de l’entreprise. L’entrée massive des femmes dans le monde du travail salarié et leur capacité à exister désormais comme individu autonome hors de leur statut familial a bouleversé les définitions de ces frontières mentales.


Cette nouvelle combinaison est également rendue possible par de nouvelles manières de communiquer associées au surgissement de nouveaux outils de communication. Un nombre grandissant de professions connaissent une imbrication très grande des espaces et des moments du travail et de la vie privée et ceci est même une caractéristique du travail dans la « société de l’information » selon un document de l’Union Européenne [28]. Les nouvelles formes d’organisation du travail incluant le travail à domicile pour certaine catégorie sociale ou encore le développement du télétravail, change la définition du temps et de l’espace du travail. On sait, par exemple, avec la dernière enquête « Emploi du temps » de l’INSEE que de 1986 à 1999 le temps de travail moyen des salariés à temps complet a augmenté de 8 minutes. Au sein du secteur privé celui des cadres augmente de 30 minutes et celui des professions intermédiaires de 10 minutes. Ceci est dû en bonne partie à l’augmentation du travail à domicile des catégories supérieures et intermédiaires associé pour partie à la présence de l’ordinateur à domicile. La formule du « bureau virtuel » [29] (Just in time office ou hot desking) ne constitue que le point limite d’une évolution caractérisée par la « dilution et l’indistinction des tranches horaires qui rendent caducs l’étanchéité et les discontinuités de l’espace » du travail et du privé. Certains employeurs mettent ainsi à disposition de leurs personnels du matériel informatique doté de liaison au réseau internet à domicile (c’est la diffusion de la formule SoHo : Small office, Home office). Les possibilités d’accès communicationnel à tout instant modifient le sens de l’accessibilité physique. Les frontières entre travail domestique et travail professionnel deviennent difficiles à tracer, et largement arbitraires, lorsque l’activité se situe à domicile et ne fait pas l’objet d’aucun contrôle institutionnalisé. La catégorie de travail doit elle-même être remise en question du fait de l’existence de multiples temps au statut incertain. De même que doit être remis en question l’idée d’un lieu privé associé à la seule vie privée.


La gestion des rapports entre les deux faces, privée et publique de l’existence de chacun, devient plus complexe. Il serait, en effet, trop simpliste de penser le temps et l’espace du privé comme celui où l’on est off line. En effet, avec internet, on peut passer du travail au loisir ou encore à l’accomplissement de tâches administratives personnelles, en appuyant sur une touche : comment décomposer et définir l’activité en ligne sur internet dans ces conditions ? Les très nombreuses études produites par les bureaux d’études nous montrent le rôle des TIC portables dans les empiètements respectifs de la vie privée dans la vie professionnelle et inversement. Ainsi, 61 % des personnes utilisant un micro-ordinateur chez elles s’en servent pour travailler mais c’est principalement le cas des cadres supérieurs (79 %) et des étudiants (82 %) [30]. Inversement, les français déclarent surfer en moyenne 23 minutes par jour à des fins personnelles sur leur lieu de travail [31]. La proportion de ceux qui déclarent surfer au bureau pour des raisons extra professionnelles et encore plus important chez les Italiens (51 %), les Anglais (44 %) et les Allemands (41 %) que chez les Français (29 %) [32]. On n’en finirait pas d’aligner des chiffres de genre mais le fait est là : l’utilisation des TIC portables rend plus fortement poreuse les relations entre les deux sphères. Même plus, 59 % des français déclarent que la conciliation entre sphères privées et professionnelles s’est améliorée avec l’utilisation du téléphone portable [33].


Par ailleurs, il est indéniable que les temps tolérés de réactivité à un message se sont raccourcis. Avec le téléphone portable on tolère moins qu’avec le téléphone fixe les réponses par trop différées. La norme sociale impose un raccourcissement des temps de réponse : la réactivité dans le domaine privé comme dans le domaine professionnel est devenu la règle.


Tout ceci est indéniable et apporte incontestablement de l’eau au moulin de la thèse de la réactivité obligée et de la pénétration des impératifs de productivité dans la sphère privée.


Toutefois, cette tendance n’est pas sans limite et elle n’échappe pas à certaines déterminations d’ordre sociologique [34].


D’abord, ce ne sont pas les TIC qui par elles mêmes, du fait qu’elles permettent d’utiliser les mêmes supports de communication dans la vie professionnelle comme dans la vie privée, qui produisent une redéfinition des sphères d’activité. Elles rendent possibles de nouvelles combinaisons et permettent, par la mise en réseau, d’optimiser le jeu des réseaux sociaux. Pour les catégories supérieures dotées de réseaux de sociabilité très étendus qui demandent à être entretenus très régulièrement la perméabilité est très forte et la réactivité est la règle. Pour d’autres les ressources de sociabilité sont réparties dans des « gisements » sociaux plus ou moins localisés et cloisonnés (l’entreprise, le voisinage/l’école des enfants, les lieux associatifs, les équipements culturels…), et les passerelles permettant la circulation ou le transfert des ressources d’un espace à l’autre sont extrêmement étroites. Dans ce cas, le domicile reste majoritairement réservé à l’échange familial [35]. On a souvent insisté sur le fait que le téléphone portable constituait un extraordinaire instrument de liberté dans la mesure où il permettait une réponse différée (mais le téléphone fixe sait déjà le faire avec le système de la messagerie) et surtout parce qu’il permettait d’atteindre ou d’être atteint à tout moment par un locuteur et d’être ainsi toujours relié potentiellement à un très large réseau. Pour autant le réseau technique du téléphone portable ne produit pas le réseau de sociabilité. C’est la taille du réseau de sociabilité et l’intensité des relations sociales qui permettent de comprendre l’usage du réseau technique et non l’inverse.


Ensuite, la définition de mon espace privé qui consiste à en définir les limites et les règles d’accès n’est pas une affaire de techniques de communication. Les tentatives de tous ordres pour transférer le lieu de travail sur l’espace domestique se heurtaient encore à des obstacles au début des années 1990 du fait des différences de sociabilité régissant les deux sphères de la vie professionnelles et de la vie privée [36] (la situation a notoirement évoluée depuis cette période pour les cadres [37] et certains autres salariés des services ; ceci est déjà moins évident dans le monde des employé(e)s [38]).


L’accès à internet en jouant sur la communication asynchrone permet de fixer les limites temporelles du privé et du public. Ce que le développement du téléphone avait déjà inauguré avec le système du répondeur. La perméabilité de mon espace privé dépend donc avant tout de rapports de pouvoir. Dans le monde des « sur actifs » une des formes du pouvoir est précisément d’imposer ses propres rythmes aux autres [39]. Laisser à penser que dans ce monde chacun serait désormais libre de créer son propre temps est un leurre. L’autre leurre consisterait à penser que tous les « sur actifs » sont soumis au même culte de l’urgence et que tous voient leur vie privée envahie de la même manière par les injonctions professionnelles. Voilà le point qui reste à explorer : qui est en mesure de peser sur la vie privée de quels autres en faisant irruption dans les plages temporelles que la norme sociale avaient jusqu’à présent préservée des incursions extérieures ?


Quant à la pratique de la communication d’ordre privé sur le lieu de travail les chiffres sus mentionnés indiquent de toute évidence une tendance mais il faudrait pousser beaucoup plus loin l’analyse et ne pas en rester à ce constat. On peut se demander ainsi, si ce type de communication ne se fait pendant la traditionnelle pause de la mi matinée ou de la mi après midi qui se fait habituellement autour de la machine à café et qui permet précisément les communications d’ordre privée entre les salariés. Il apparaît, par ailleurs, à travers certaines études [40] qu’un bon nombre de communications téléphoniques privées des femmes cadres depuis le lieu de travail constitue un moyen pour ces dernières de coordonner l’organisation domestique à distance [41]. Les femmes continueraient donc de jouer un rôle central dans l’articulation entre le professionnel et le privé à partir de l’organisation temporelle de la logistique quotidienne [42].


Pour aller plus loin, il faudrait ici procéder à d’autres questionnements d’inspiration ethnologique. Pour commencer des questionnements sur la manière de marquer ou non les différences entre les deux sphères dans les comportements les plus quotidiens comme cela est proposé par Christena E. Nipperts-Eng [43]. Porte-t-on les mêmes vêtements au travail et au domicile ? Utilise-t-on le même agenda pour les deux activités ? Invite-t-on ses collègues de travail à dîner ? Fait-on figurer des photos familiales sur son lieu de travail ?


Ensuite, des questionnements qui interrogent les modes d’inscription matériels des activités de travail dans la sphère privée. Où travaille-t-on ? Dans une pièce destinée à cet effet, sur un coin de table de séjour, libérable aux heures des repas ? Quand travaille-t-on ? Lorsque tout le monde dort ? Le dimanche matin ? Lorsque les autres sont à l’extérieur ? Comment les autres membres de la famille contribuent-ils à poser les limites entre activités de travail et sociabilité familiale dans l’espace domestique ? [44] Quelles autres activités accepte-t-on de sacrifier à celle là ? Certains travaux menés dans ces directions [45] nous montrent à quel point le collectif familial, pose ses normes et ses limites et est le lieu de régulations sur les moments et les lieux domestiques de l’utilisation des TIC à des fins professionnelles ou personnelles. Ils permettent également de détecter des types d’organisation du temps caractérisant certains types de compromis familiaux qui vont du placage imposé de moments de travail exclusifs de toute autre activité, à l’intégration négociée de l’activité professionnelle dans les rythmes domestiques (par exemple : avoir un œil sur son travail personnel et avoir un œil sur les devoirs des enfants). D’autres travaux [46] nous montrent comment les modes de négociation familiale sont intimement liés à des choix d’outils de communication domestique. A l’utilisation du post-it collé sur le réfrigérateur est associé le mode de l’improvisation ; au tableau apposé sur le mur de la cuisine (lieu de l’ordre et lieu privilégié de la logistique quotidienne) est associé le mode de la programmation hebdomadaire et de la reprogrammation en fonction des circonstances nouvelles et des nouveaux compromis qu’elles nécessitent ; l’usage de l’agenda papier ou du PDA est également associé au souci de programmation mais il accentue la tendance à la rentabilisation du temps et n’est plus lié au cœur de la domesticité qu’est la cuisine dans la mesure où il s’émancipe d’un lieu précis.


Il faut donc en conclure que l’on ne peut s’en tenir au constat de l’individualisation grandissante de la vie en société selon des schèmes explicatifs relevant d’une sorte d’individualisme théorique. Les collectifs au sein desquels se déroulent les activités et principalement le collectif de travail et le collectif familial posent des normes, imposent des systèmes de compromis qui passent par des outillages spécifiques. La question est que l’un et l’autre connaissent des évolutions rapides et donc des jeux d’influences mutuelles qui appellent de nouveaux schémas explicatifs.

 Les modifications des programmes d’activité : du modèle unique à l’individu multi-appartenant

Le modèle de l’individu cherchant à optimiser en permanence l’ensemble de ses activités personnelles renvoie à une vieille connaissance théorique : celle de l’homo œconomicus.


Dans cette perspective la valeur du temps renvoie aux arbitrages qu’opèrent les individus entre les gains ou pertes de temps et d’argent en fonction de leur niveau de revenu. Les individus composeraient donc leur journée ou leur semaine en maximisant l’utilité globale de leur temps et de leur argent. Raisonner en termes d’arbitrages coûts/temps revient à considérer que l’on peut mettre en stricte équivalence le temps et l’argent. Tout temps social à une équivalence monétaire et l’on peut acheter du temps avec de l’argent. C’est la perspective économique fonctionnelle où l’on dépense du temps pour économiser de l’argent ou inversement [47]. Le paradigme de l’individu optimisateur amène à considérer que le temps est isomorphe est que une heure équivaut à une heure, quelque soit le moment et quelque soit la sphère d’activité. On rappellera ici que la conception isomorphique du temps est la plus développée dans les pays dont la politique est la plus libérale. Ceci est lisible par exemple avec les variations de la valeur sociale du temps de travail selon la culture propre à chaque pays. Ainsi, aux États-Unis le bonus pour une équipe de nuit est d’environ 10 % alors qu’en Europe il varie de 25 à 100 %. Dans un monde où aurait disparu toute référence à des rythmes symboliques collectifs les temps seraient parfaitement isomorphes. N’importe quel moment serait échangeable avec n’importe quel autre moment ; n’importe quelle sphère d’activité serait équivalente à n’importe quelle autre.


La conception économiste de la valeur du temps fondée sur des calculs de quantité de temps oublie précisément que ce dernier revêt une valeur culturelle ou symbolique. On considère dans cette perspective que les moments où se réalisent les activités ont des qualités différentes. On considérera alors que une heure la nuit, le dimanche n’a pas la même valeur qu’heure en journée un jour ordinaire de la semaine. Dans cette perspective on considère que le temps consacré à certaines activités est incommensurable avec le temps consacré à d’autres, du fait de sa place particulière dans l’architecture collective des activités. On considère ici que le temps social n’est pas une pure durée, comme si chaque portion de temps de durée déterminée était égale à n’importe quelle autre de même durée. Lorsque l’on téléphone à un collègue le soir à son domicile pour des raisons professionnelles on présente en général des excuses préalables et l’on essaie d’être bref [48] car l’on estime que ces 15 minutes ne sont pas l’équivalent des 15 minutes prises au bureau lors d’une journée de travail. Elles ne sont pas équivalentes parce que l’on considère encore qu’elles sont prises à un autre moment : celui de la vie privée. C’est d’ailleurs ce que savent parfaitement bien les programmateurs de grille de programme de télévision. On programme les prime time au moment où l’on suppose les familles réunies autour du téléviseur. Ici une heure de publicité n’est pas équivalente à une autre heure !


Le socio-économisme radical d’un Pierre Bourdieu n’est pas sans rapport avec cette logique de l’individu optimisateur. Pour ce dernier il existe en équivalence général : le capital global possédé par un individu. Ce capital se décline en capital économique, social et culturel. Les activités apparemment les plus désintéressées comme par exemple les relations amicales ou familiales qui relèvent du capital social peuvent être convertis en d’autres formes de capital économique ou culturel. Ici, le temps consacré aux amis peut être considéré comme un investissement en termes de capital social puisqu’il permet de renforcer les réseaux de sociabilité de l’individu. Ce capital social pouvant lui-même être converti en capital économique lorsque les relations familiales aident par le jeu des relations à acquérir un bon emploi. La construction de l’idéal type de l’individualité contemporaine ne fonctionne-t-elle pas sur le même mode lorsque par exemple elle annonce sous une de ses versions qu’une même logique, celle de la flexibilité et de la mobilité sous toutes ses formes, régit l’ensemble des comportements des individus ? La logique est différente. Elle n’est ni celle de l’optimisation de l’utilité sous contrainte, ni celle de l’optimisation d’un capital sur le mode bourdieusien. Mais le principe qui la fonde est le même : l’ensemble de nos comportements relèverait d’un même impetus originaire ou d’un même principe générateur.


On opposera à cette conception celle d’un François Ascher qui nous propose un modèle bien plus stimulant de l’individu contemporain. Selon lui, dans la société hypertexte, les individus vivent dans une multiplicité de sphères régies chacune par des codes différents. La difficulté est donc bien de passer d’une sphère à l’autre sans confondre les codes. La multi-appartenance correspond donc à ce régime normatif où les individus sont mis en demeure de jouer du code switching en passant en permanence d’un système à un autre. Il en découle qu’il existe une spécificité normative de la sphère privée familiale par rapport à la sphère professionnelle en particulier. Le point faible de cette approche résulte du fait que dans cette perspective tous les codes sont mis sur le même plan. Or, nous considérons que les dimensions professionnelles et familiales au sein de la sphère privée constituent encore deux lieux particulièrement structurant pour l’organisation de la vie des individus contrairement à ce qu’affirment les tenant de la société des loisirs. Nous avons déjà évoqué les transformations dans le monde du travail. Mais il apparaît également que les relations dites primaires relevant de la socialisation familiale jouent un rôle particulier par rapport aux autres sphères normatives. On sait [49], par exemple, qu’il existe une corrélation positive et fortement significative entre participation des parents et participation des enfants à une activité associative [50]. La même corrélation peut s’observer entre le rapport à l’école, à la culture ou à l’emploi des parents et celui des enfants. Autrement dit, comme le montrent tous les travaux de sociologie de la famille et de la socialisation, les normes qui régissent la vie dans la sphère privée familiale sont non seulement spécifiques mais en plus elles imprègnent d’autres systèmes normatifs.


La thèse très stimulante de la multi-appartenance doit donc retenue contre celle d’un individu unidimensionnel ou contre celle d’un individu complètement pré formaté par la sphère professionnelle mais elle ne vaut que si on définit convenablement les types de relations qui régissent les rapports entre ces sphères contrairement à la thèse de leur étanchéité normative.


En voulant à juste titre remettre en question la perspective structuraliste affirmant le primat d’une sphère sur une autre ou encore la thèse culturaliste affichant la famille comme cellule de base de la société, on risque de jeté le bébé avec l’eau du bain. Certains auteurs comme Alain Bourdin [51] on été amenés à radicaliser ou à hypermoderniser la thèse de la multi-appartenance en suggérant que cette question était elle même dépassée dans la mesure où les rapports d’appartenance se délitaient. Pour ce dernier, s’ils existent toujours c’est plutôt sous la forme de « butinage » individuel correspondant à des interactions « partielles et éphémères ». En remettant en cause, ce qui n’est pas sans intérêt, l’eau du bain culturaliste privilégiant la force des appartenances sociales singulières, ne jette-t-il pas dessus bord dans le même mouvement la question de la redéfinition des rapports et des nouvelles frontières entre sphère du travail et sphère de la vie privée ? Et, par là même, l’ensemble des questions posées par la sociologie de la socialisation [52] ?

 Les tempos de l’existence : de la capacité d’orchestration

Les rapports au temps varient au cours du cycle de vie et ils varient selon les situations sociales


On l’aura donc compris, les rapports entre vie professionnelle et vie privée sont intrinsèquement liés à l’organisation du temps.


Il convient alors d’observer comment l’architecture temporelle de l’ensemble des activités des individus se recompose au cours du cycle de vie. Les modes de construction des programmes d’activité au cours de la vie dépendent fortement des contextes de vie. Dans certaines périodes de la vie la conciliation vie professionnelle/vie familiale se pose avec le plus d’acuité : d’où ce phénomène de concentration des contraintes temporelles qualifié de time squeeze [53].


La France est le pays européen où la répartition de l’activité au cours de la vie est encore la plus déséquilibrée dans la mesure où, les taux d’activités sont fortement concentrés entre 30 et 55 ans et où corrélativement les taux d’emploi sont les plus faibles comparativement aux autres pays aux deux extrémités de la vie. Inversement, les pays du nord de l’Europe ont adopté des dispositifs qui « favorisent le temps partiel ou les réductions du temps de travail au moment du cycle de vie où ceux-ci sont le plus utiles (par exemple, lorsqu’on a des enfants, ou après 55 ou 60 ans, ou lorsqu’une période de l’entourage est dépendante), quitte à travailler plus le reste du temps… » [54]. Les suédois ont inventé la notion de « travail soutenable » [55] qui oppose le modèle du travail intensif permanent entraînant une pression permanente sur la vie privée à un modèle fondé sur l’entretien des ressources humaines par une prise en considération des contextes de vie individuels et la mise en place d’une ingénierie d’accompagnement [56].


On est loin des perspectives tracées par l’idéal type de l’individu contemporain qui en ne considérant qu’un modèle figé d’individu, abstraction faite des contextes de vie, conduisent à admettre l’idée de la généralisation d’un modèle de vie fondé sur l’intensification des temps de la vie professionnelle comme de la vie privée.


Par ailleurs, il faut souligner que les rapports au temps varient selon les situations sociales. Nous avons ainsi mis en évidence lors d’une enquête récente [57] le fait que préoccupations en matière de gestion du temps étaient plus particulièrement le fait des ménages ayant des enfants en bas âge et des ménages dotés de niveaux de revenus et de diplômes supérieurs à la moyenne. A l’intérieur du groupe des actifs, un clivage apparaît entre les cadres et les ouvriers : trois quarts des premiers et un peu plus de la moitié des seconds manquent de temps. Vingt points séparent ces deux catégories sociales. Les résultats selon le niveau de diplôme fournissent une indication comparable : on passe de 30 % de plainte concernant le manque de temps chez les personnes ayant effectué de courtes études à 50 % chez celles qui se sont arrêtées au lycée et à 63 % chez celles qui ont fait des études supérieures. Ce sentiment de « presse », d’être « débordé » est très associé à la difficulté d’organiser son temps : 18 % des personnes peu diplômées et 62 % des personnes très diplômées choisissent la réponse « c’est difficile d’organiser mon temps mais j’y arrive ». Le niveau de revenu (mensuel du foyer) confirme ces deux relations – de la profession et du diplôme - au manque de temps et à la difficulté d’organisation. A partir de 15000 francs mensuels, les gens qui manquent de temps sont plus nombreux que les gens qui ont du temps. Les uns ont de l’argent et les autres du temps. Pour les femmes, le même clivage s’observe : 27 % des femmes qui vivent seule et sans enfant, 38 % des femmes qui vivent en couple sans enfant, 58 % des femmes qui vivent en couple et 59 % des femmes seules avec enfant déclarent manquer souvent de temps personnel.


Les ménages des catégories populaires mettent quant à eux en avant les questions de proximité par rapport aux services pour améliorer leurs conditions de vie au quotidien. La demande d’une meilleure adaptation des horaires des services publics est plus fortement portée par les milieux de cadres, par les plus diplômés et par les revenus les plus élevés. Une différence se dessine nettement entre les milieux populaires des petites villes plus fortement porteurs d’une demande d’équipements de proximité et les cadres qui vivent en région parisienne et dans les grandes villes plus nettement porteurs d’une extension des horaires d’ouverture des services publics.


Il en résulte que l’on ne peut continuer à soutenir la thèse de la généralisation des préoccupations d’optimisation temporelle à l’ensemble des actifs de notre société. Là encore l’observation attentive des perceptions du temps et des attentes concernant l’organisation de la vie quotidienne amène à douter des thèses trop générales sur « les métamorphoses de l’individu » [58] renvoyant la sociologie dite « classique » à ses chères études empiriques.


Les rapports au temps font l’objet d’appariements familiaux


Si l’ensemble des comportements familiaux obéissait à de pures logiques de rationalisation et d’optimisation de rapports entre vie professionnelle et vie privée on pourrait alors penser que par compensation lorsqu’un membre du couple passe de longues heures au travail, l’autre diminue volontairement son temps de travail. Cela n’est pas ce que l’on observe, en règle générale, comme le mettent en évidence les travaux des sociologues [59]. Il apparaît ainsi que les structures des usages du temps des individus dans les couples sont fortement semblables à l’exception du travail domestique pour lequel les différences entre hommes et femmes restent fortement marquées. Ainsi, les hommes qui passent beaucoup de temps au travail vivent beaucoup plus fréquemment avec des femmes qui consacrent beaucoup de temps à leurs activités salariées. Inversement, les associations conjugales sont plus probables entre des hommes et des femmes qui consacrent beaucoup de temps à leurs activités de loisirs extérieures ou intérieurs (et l’on peut ici distinguer les couples gros consommateurs de télévision et les couples gros consommateurs de lecture ou de d’activités de détentes diverses). Ces faits sociologiques infirment l’idée selon laquelle il existerait une sorte d’indétermination des comportements individuels fondée sur une sorte d’éclectisme généralisé d’individus multi-appartenants.


Voilà la tendance générale. Elle n’exclue pas bien entendu que certains ménages négocient en leur sein des systèmes de compensation temporelle. Certains couples sont peuvent être plus stratèges que d’autres lorsqu’ils disposent de ressources financières. Ainsi, certaines femmes cadres relèvent de cette logique lorsqu’elles décident de passer à des mi-temps professionnels pour alléger les contraintes d’organisation de la vie privée. Mais il ne faut pas confondre en l’occurrence ces situations de choix volontaires avec des situations où le passage au temps partiel résulte d’une conduite imposée par l’entreprise. Ainsi, une étude [60] montre que le temps partiel féminin suit deux logiques quasiment opposées avec, d’une part, les couples aisés où le temps partiel, lorsqu’il est adopté, représente souvent un arbitrage pour plus de disponibilité dans la vie privée et, d’autre part, les couples aux revenus modestes pour lesquels le temps partiel est imposé et est associé à des conditions de travail très contraignantes tant du point de vue tant de la précarité que de la contrainte des horaires (horaires atypiques, horaires décalés tôt le matin ou tard le soir, horaires non négociables…). Cette étude confirme les observations réalisées au cours d’une autre étude [61] qui montrent, à partir du cas des caissières de grands magasins, que l’emploi à temps partiel court s’adresse à de jeunes femmes débutantes à qui l’on demande avant tout une disponibilité temporelle permettant de travailler selon des horaires peu prévisibles, fractionnés ou atypiques. Autrement dit, les contraintes sur la vie privée se feront plus fortes chez les couples qui connaissent des horaires atypiques contraints que sur les autres et au sein de ces couples elles seront les plus fortes pour les femmes qui sont plus que les hommes soumises aux horaires atypiques.


Les rapports au temps varient selon les sphères d’activité


La structuration des temps privés n’est pas une simple conséquence de l’organisation des temps professionnels et les rythmes d’effectuation des pratiques de la vie privée connaissent des spécificités non directement liées aux rythmes dictés par l’entreprise et à la productivité dictée par le travail [62].


En effet, si certaines activités se rationalisent (achats groupés, journée continue…) ou font l’objet de gain de temps (traitements administratifs en ligne) ; d’autres font appelle à d’autres types de rapports au temps (accompagnement et soins aux enfants, loisirs, relations amicales, relation(s) amoureuse(s)…) [63].


Certaines dimensions de la vie privée sont inscrites sur des modèles non productivistes qui relèvent d’autres formes d’organisation de la vie. L’entretien d’un bon réseau de relations sociales, la participation à la vie civique, la formation personnelle, l’élevage et l’éducation des enfants, les relations amoureuses au sein du couple sont autant d’activités où il faut prendre son temps. Pour ne prendre que l’exemple de l’élevage et de l’éducation des enfants on notera que de multiples initiatives en matière de politiques publiques montrent qu’un mouvement s’est amorcé en ce sens. Le rapport Supiot [64] explique qu’en Europe la liste des congés spéciaux (congé parental à égalité pour les hommes et pour les femmes et droit à absence pour enfant malade ; pause carrière instituée par la loi du 22 janvier 1985 en Belgique ; projet de loi aux Pays Bas concernant la possibilité de rachat d’une partie des congés annuel par les salariés, etc.) s’allonge tellement qu’elle décourage l’inventaire.


Dès lors la question de la relation entre vie professionnelle et vie privée devient celle de la recherche des bons tempos où chaque activité s’effectue à son propre rythme. Tout une part de la relation entre vie professionnelle et vie privée se joue dans la régulation de la part de la vitesse et de celle de la lenteur.

 Pour conclure

Le grand récit de l’hypermodernité [65] ou de la postmodernité pointe incontestablement de nouvelles tendances portées plus spécifiquement par certaines catégories sociales. La figure de l’homme hypermoderne s’y présente comme une fiction théorique [66]. Ce qui n’est pas sans intérêt si l’on en juge à la capacité heuristique de l’utilisation des idéaux types.


Mais il serait prudent de ne pas confondre le substantif et la substance. Le terme désigne une tendance et il ne faudrait pas, par facilité intellectuelle, en conclure qu’il permet d’expliquer la diversité des comportements émergents dans notre société. On figerait alors l’analyse des diverses voies qu’inventent les individus pour répondre aux injonctions à la productivité dans toutes les sphères de l’existence. On en viendrait à poser des affirmations hâtives comme celle de la disparition des limites du public et du privé ou encore celle de l’imposition d’une même logique d’intensification du temps dans l’une et l’autre sphère. On passerait trop vite du constat de nouvelles formes de désynchronisation à l’idée que les individus vivent en « a arythmie » alors qu’apparaissent de nouvelles formes de synchronisation entre vie de travail et vie privée. On en viendrait à oublier que la confrontation plus fréquente des individus à des situations d’urgence débouche sur de nouvelles formes d’organisation du temps plus puissantes qu’auparavant et non sur un enfermement dans le présent immédiat. On passerait alors par pertes et profits l’analyse patiente des recompositions pratiques qui se jouent dans notre société.

 Références

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Notes

[1La notion d’intensification du travail est acceptée et a fait l’objet de nombreux travaux. Celle d’intensification de la vie privée n’est pas utilisée et peut sembler surprenante. C’est pourtant cette notion et cette idée que nous souhaitons questionner.

[2FROMM, 1941.

[3Selon une enquête de l’Association Française des Opérateurs Mobiles de 2003, le téléphone portable est devenu un des moyens de communication qui contribuent le plus à la productivité des entreprises.

[4Wireless Application Protocol.

[5URRY, 2000.

[6BECK, 2001, annonce la disparition du modèle des sociétés industrielles fondé sur des normes de comportements strictement dépendant des rôles assignés aux individus liés à la famille, aux métiers, aux genres, au profit d’un modèle où chacun invente en permanence l’architecture de sa vie. L’amour moderne est selon lui le type même des nouveaux comportements individuels débouchant sur la multiplication des divorces et la mobilité matrimoniale.

[7BARUS-MICHEL, 2004.

[8MASSOT et ORFEUIL, 2005.

[9MEDA, 2001.

[10Cf. DE CONINCK et alii, coordinateurs, 2006.

[11Cf. VENDRAMIN, 2002 ; VENDRAMIN et VALENDUC, 2002.

[12L’auteur précise : « Des pans entiers d’activités font ainsi l’objet de mesure et de « benchmarking » (étalonnage) : le temps nécessaire pour traiter un dossier dans une compagnie d’assurance, pour répondre à une demande en ligne, pour qu’un employé de banque reçoive un client, pour qu’un laveur de vitres nettoie une surface déterminée de vitres, etc. ».

[13Pour un débat sur les nouvelles formes du taylorisme dans les centres d’appel voir : « Les centres d’appel », Réseaux, vol. 20, n° 114, 2002.

[14FRICKEY, BLÖSS et GODARD, 2002.

[15En Europe, la tendance est de favoriser la réduction du temps de travail sous une forme ou sous une autre mais elle connaît une grande variété de situation. Ainsi les femmes britanniques et hollandaises travaillent moins que les autres femmes européennes, du fait du développement du temps partiel. Les couples finlandais sont ceux qui travaillent le plus en Europe du fait de l’importance des heures de travail des femmes (très légèrement devant les américaines). En France et en Finlande on n’observe que très peu de différence en termes d’heures de travail du couple entre couple avec enfants et couples sans enfants : ce sont les pays où les systèmes de prise en charge des enfants sont les plus développés. C’est aux USA, au Canada et en Suède que la différence est la plus forte. Si l’on considère les heures de travail des femmes selon qu’elles ont ou non des enfants, on observe le même phénomène pour la France et la Finlande mais ce sont les femmes allemandes, britanniques et hollandaises qui voient (et même nettement) leurs horaires le plus chuter, les femmes américaines se situant au milieu de l’échelle (plus proche des françaises). Les USA se distinguent globalement de l’Europe du fait de l’augmentation globale du temps de travail et de l’envahissement de la sphère domestique par la sphère du travail : le workaholism. Les couples américains pulvérisent tous les records (68,2 % travaillent plus de 80 heures par semaine et 12 % plus de 100 heures. Cf. JACOBS et GERSON, 2001, 2002.

[16FERMANIAN et LAGARDE, 1998.

[17BARRERE-MAURISSON, 2003.

[18SCHOR, 1992 et 1998.

[19HOCHSCHILD, 1998.

[20HOCHSCHILD, 1997.

[21HAYS, BIEBLY et TUCHMAN, 1998.

[22EPSTEIN et alii, 1998.

[23Sur l’ensemble de cette question on peut consulter le remarquable document issu du département recherche et Développement de France Télécom. Cf. Laurence Le Douarin avec la collaboration de Anca Boboc et Laurence Dhaleine. 2005. L’usage des TIC dans l’articulation du privé et du professionnel - Synergies, usages transverses, appropriations croisées, Rapport RP/FT/R&D/8857.

[24ARIES, 1973.

[25ARIES, ibidem.

[26ARIES, ibidem.

[27WEBER, 1964.

[28European Commission, 1996.

[29Voir le bureau-hôtel d’Andersen Consulting dans Transit, p 131. En France en 1995 (cf. étude INRETS) moins de 40 % des actifs travaillent en un lieu fixe, uniquement du lundi au vendredi.

[30BIGOT, 2003.

[31Chronopost/Ipsos, 2001.

[32Websense/Taylor Nelson Sofres, 2001

[33www. insitut-chronopost.org, 2004.

[34En utilisant le terme de « déterminations d’ordre sociologique » j’ai bien conscience de heurter la sensibilité épistémologique de ceux qui semblent penser qu’elles se sont quasiment évanouit par enchantement hyper moderne.

[35CLAISSE, 2000 ; SMOREDA, 2001.

[36FLICHY, 1991.

[37Le même auteur montre qu’en Californie (« Le travail alterné en Californie » in Usages, 1999, CNET/DIH/UCE) au cours des années 1990 dans les entreprises high tech les télétravailleurs travaillaient 1,9 jours par semaine à domicile et bénéficiaient d’équipements payés par les entreprises. Mais ces derniers étaient des collaborateurs travaillant en moyenne depuis plus de 6,5 ans dans l’entreprise et ils connaissaient des modes de gestion de la répartition du travail entre le domicile et l’entreprise assez divers.

[38Pour les salariés des multiples centres d’appel et autres organisations de back office c’est, comme on l’a vu, le contraire qui se produit avec le regroupement spatial sous forme de plateaux centralisés (en France ou à l’autre bout du monde) de vastes collectifs de salariés travaillant sur des modes très taylorisés.

[39JAUREGUIBERRY, 2004.

[40MONJARET, 1997.

[41Le contrôle des enfants à distance va peut être connaître des formes plus sophistiquées comme le montre l’exemple japonais. Ainsi, depuis 2003, des entreprises de téléphonies japonaises offre la possibilité pour les parents japonais de connaître à tout moment la position géographique de leurs enfants si celui porte sur lui le téléphone. Ce système permet d’alerter les parents quand l’enfant sort de la zone déterminée au préalable. On a souvent souligné le fait qu’avec le téléphone portable le locuteur n’était plus rattaché à un lieu précis. Là encore on se gardera de conclusions hâtives car ceci peut évoluer avec la généralisation du repérage de la position géographique avec le GSM.

[42Ce point est confirmé par des auteurs anglo-saxons qui mettent évidence le rôle des communications téléphoniques entre mères et enfants aux heures de retour de l’école. Cf. RAWOW et NAVARRO, 1993.

[43Cf. NIPPERTS-ENG, 1996.

[44Certains sociologues montrent que enfants et conjoint(e)s « constituent le principal garde-fou contre le surtravail, (leur) rôle consistant à définir la frontière entre travail et hors travail ». Cf. METZGER et CLEACH, 2004.

[45HADDON et SILVERSTON, 1996.

[46GUILLOT, 2006.

[47Philippe Zarifian pointe ce fait que notre société est dominée par cette conception quantitative et linéaire du temps : le temps est une quantité que l’on mesure : c’est le temps spatialisé : le temps fonctionnel qui sert à assurer la logistique des comportements individuels. C’est le temps de l’individu stratégique qui calcule. Ce temps est découpé en instants strictement équivalent et ne dit rien de la valeur symbolique affectée à chaque moment. Cf. ZARIFIAN, 2001.

[48Concession à une thèse hypermoderne : cela n’est pas toujours le cas en particulier lorsque le supérieur hiérarchique s’adresse à un inférieur !

[49Cf. Enquête « Emploi du temps », 1999 de l’INSEE.

[50PROUTEAU et WOLFF, 2002 ; Donnat, 1998.

[51BOURDIN, 2005.

[52On enterre alors un peu trop rapidement les travaux d’un Claude Dubar (Cf. DUBAR, 1995).

[53SOUTHERTON et TOMLINSON, 2005.

[54LEFEBVRE et MÉDA, 2006.

[55DOCHERTY, FORSLIN et SHANI (dir), 2002.

[56L’autonomie individuelle et la liberté d’organiser sa vie dans une société donnée dépendent fortement de l’aménagement des rapports entre travail et vie quotidienne selon les conjonctures de la vie. La Suède et le Danemark sont, de ce point de vue, les pays les plus avancés en facilitant avec des compensations financières les sorties temporaires d’emplois selon les moments de la vie (enfants, formation, les loisirs…). En fait, les possibilités offertes sont très inégalement réparties dans les divers pays de l’Union Européenne. Les attitudes politiques face au travail à temps partiel et les mesures législatives varient très fortement d’un pays et d’un secteur à un autre (FAGAN, 1999) en fonction des possibilités offertes par les législations nationales de procéder à des ajustements permanents entre vie de travail et vie privée. Les écarts entre les pays sont principalement le fait des différences entre les politiques publiques. Ainsi, les États-Unis et la Grande-Bretagne n’ont pas de législation concernant les horaires maximums autorisés de travail (OCDE, 1998). Les USA sont en retrait en matière de garde d’enfant : 5 % des enfants de moins de 3 ans bénéficient de garde en institutions publiques ou bénéficient d’un financement ; 54 % seulement des enfants de 3 à 5 ans (inclus) bénéficient de programmes de garde et la plupart à temps partiel.

[57GODARD et SINGLY, 2002.

[58AUBERT, 2004.

[59DEGENNE, LEBEAUX et MARRY, 2002.

[60GALTIER, 1999.

[61BOUFFARTIGUE et PENDARIES, 1994.

[62Ce qui peut apparaître comme une évidence mérite pourtant que l’on s’y arrête tant diverses thèses actuellement en cours semblent plus ou moins implicitement l’admettre.

[63MASSOT et ORFEUIL, 2005.

[64SUPIOT (sous la direction de), 1999.

[65Un auteur comme François Lyotard annonçait la fin des grands récits de la modernité. N’assiste-t-on pas à la résurgence d’une autre forme de « grand récit » ?

[66BARUS-MICHEL, 2004.

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