Cessons d’opposer rythmes individuels et rythmes collectifs

Benjamin Pradel
Article publié le 11 janvier 2013
Pour citer cet article : Benjamin Pradel , « Cessons d’opposer rythmes individuels et rythmes collectifs  », Rhuthmos, 11 janvier 2013 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article727

Résumé : L’individualisation grandissante de l’organisation des temps sociaux mènerait à l’affaiblissement des rythmes de la vie collective de naguère, voire à une crise du lien social. Mais si nos temps individuels sont désynchronisés et le lien social plus erratique, cela ne signifie pas que la vie collective ne puisse plus se structurer autour de rythmes communs. Plus qu’une disparition, nous serions face à une reconfiguration des rythmes sociaux autour de la figure de l’individu multi-appartenant et maitre de son agenda. Les rythmes collectifs s’expliquent alors par l’engagement choisi et programmé des acteurs dans des situations de coprésence située. Cet engagement qui se répète suivant les rencontres et l’ambiance sociale du rassemblement révèle un besoin persistant de lieux et de moments dédiés à la socialisation collective. À ce titre, le succès de fréquentation des événements festifs s’explique parce qu’ils signalent physiquement la possibilité du rassemblement et permettent l’expérience d’une sociabilité collective en décadrage avec la sérialité des rapports sociaux quotidiens. Derrière la socialisation événementielle s’esquisse la figure d’un lien social itératif et associationniste qui engendre des rythmes partagés. [1]


Mots-clés : rythme individuel, rythme collectif, événement festif, boucle temporelle, programmation, socialisation, règles sociales


Abstract : The growing individualisation of the organisation of social time could weaken collective rhythms or even lead to a crisis in social ties. Though personal temporalities are desynchronized and social ties are less stable than in the past, society is still structured around shared rhythms. We are faced not with the disappearance of social rhythms, but their reconfiguration around individuals who belong to multiple groups and manage their own agendas. Collective rhythms may be explained in terms of voluntary, planned commitments by actors to participate in co-presence situations. These commitments, which may recur depending on face-to-face contacts and the social atmosphere of the resulting meetings, reveal a continuing need for times and places dedicated to collective socialisation. High attendance at festive events can be explained by the fact that they actively, physically signal the possibility of meeting others and furthermore enable collective socialisation experiences outside the serial framework of everyday social ties. Behind event socialisation we discover iterative, voluntary social ties, which engender shared rhythms.


Key words : individual rhythm, collective rhythm, festive events, time warp, planned commitments, collective socialisation, social rules



L’individualisation du rapport au temps, marquée par l’élargissement des marges de liberté dans la gestion des activités, entraînerait l’affaiblissement voire la disparition des rythmes collectifs. Le citadin hyper-indépendant (Gauchet, 1999), pressé et flexible, modelé par l’intensification des rythmes de la vie économique que personnifie la métropole [2] (Simmel in Jonas, 1995), évoluerait hors des référentiels collectifs locaux. Cet « homme présent » (Laïdi, 2002) agissant selon des impératifs soudains, sans programmer, fonctionnerait selon un « temps instantané » (Urry, 2005) laissant de côté les rythmes réguliers et collectifs du calendrier. Socialement et spatialement hypermobile, il participerait d’une « société liquide » (Bauman, 2007) entretenant avec l’espace, le temps et le social des liens labiles et erratiques. Cette individualisation du rapport au temps accélérerait le « crépuscule des temps solidaires » (Rauch, 2003) au profit d’un entrelacs d’individus dont les « manières de fluer » ne se rencontreraient que dans de brefs moments de synchronisations rarement répétés. Si la tendance à l’hétérogénéisation de la morphologie sociale n’est pas remise en question, le modèle de l’individu a-temporel, a-programmateur et collectivement arythmique sur lequel elle repose doit être nuancé. Pour cela, l’analyse des ressorts individuels à la synchronisation collective dans des formes de rassemblement urbains modernes est convoquée.


Le succès de fréquentation des spectacles, événements, festivals, fêtes en tout genre (Di Méo, 2005) montre un engouement des populations pour des rassemblements périodiques. Ce type d’objet, que nous désignerons par le terme générique d’événements, se multiplie depuis les années 1990 dans les villes de toutes tailles (Garat, 2005). Ils participent d’une offre multiple de rythmes partagés dans le domaine ludico-festif dans laquelle l’individu peut piocher pour remplir son agenda. Contrairement aux rythmes contraignant des communautés qui s’imposent aux individus sous peine d’exclusion (Durkheim, 2002 ; Mauss & Hubert, 1899), ces événements dans l’espace public relèvent plutôt d’une forme de « rendez-vous urbains » (Pradel, 2010) à la participation libre. Leurs lieux et leurs dates sont marqués politiquement par des aménagements symboliques, techniques et fonctionnels dans la ville en attente d’une hypothétique appropriation collective. Cette validation par les usages produit alors du rythme social : alternance de phases successives et régulières d’intensité croissante et décroissante de la vie sociale correspondant à « un rythme de dispersion et de concentration, de vie individuelle et de vie collective » (Mauss, 1906). Ce phénomène rythmique possède une fonction de socialisation (Durkheim, 2002 ; Mauss, 1906) qui est la conséquence du rassemblement : quantitativement la situation de densité sociale multiplie les contacts, qualitativement le contexte de coprésence transforme le contenu des consciences vis-à-vis d’autrui (Durkheim, 2002). Mais cette fonction de socialisation est aussi un facteur explicatif du rythme. La concentration sociale périodique produite par Paris-Plages s’expliquerait par la participation d’un individu qui, bien que plus autonome vis-à-vis de la société, n’est pas totalement détaché de celle-ci et cherche des moments pour en éprouver son appartenance et en tester le liant social. Ni totalement fluide et ouverte, ni totalement solide et contraignante, la morphologie sociale métropolitaine serait plutôt idiorrythmique selon l’expression consacrée de Barthes (Coste, 2008). Elle reposerait sur l’insociable sociabilité de l’homme éprouvant la nécessité et le besoin de conciliation entre son désir de solitude (détachement) et son désir d’interactions sociales de grande ampleur (engagement). Elle est fondée sur la capacité d’engagement et de détachement rythmique des individus vis-à-vis des groupes, dans une solidarité sociale réflexive et itérative. Il s’agit dans cet article de comprendre les modalités de cette solidarité itérative et d’en exposer les mécanismes par l’analyse de l’engagement socio-temporel des participants dans des événements collectifs périodiques. En d’autres termes, comment et pourquoi les manières de fluer individuelles se resynchronisent-elles avec le groupe à intervalles réguliers ?


L’ambition est ici d’utiliser les résultats d’une enquête quantitative pour saisir le rythme et sa fonction socialisatrice. Pour cela, nous réutilisons les données d’une enquête sur les publics de Paris-Plages, rassemblement périodique estival dans la capitale. Mise en place depuis 2002 par la Mairie de Paris, durant un mois en été de la mi-juillet à la mi-aout, sur les berges de Seine notamment, cette plage urbaine éphémère aux activités gratuites attire franciliens et touristes. Fortement fréquenté les jours de beau temps, le lieu produit de la concentration sociale chaque été, durant un laps de temps défini. L’enquête par questionnaires a été effectuée durant l’édition 2007 de Paris-Plages sur un échantillon de 1509 personnes. Nous nous attacherons à expliquer le succès de ce rythme collectif à partir de la synchronisation des rythmes individuels : qu’est ce qui motive cette synchronisation et pourquoi se répète-t-elle annuellement ? Ce rythme collectif estival relève-t-il d’une « action de faire ensemble » (Mauss & Beuchat, 1904) où n’est-il qu’une simple collection d’individus disposés les uns à côté des autres qui ne se rencontrent guère ? L’hypothèse principale est que la fonction socialisante de Paris-Plages explique sa fréquentation. Sa périodicité serait la conséquence d’une synchronisation périodique des agendas individuels avec une offre événementielle, motivée par la recherche de sociabilité collective. Les rythmes collectifs se réorganiseraient autour des pratiques de loisirs et continueraient d’exercer un attrait pour le citadin de par leur fonction socialisante, l’obligeant à anticiper et programmer sa participation pour se synchroniser avec le groupe et le poussant à revenir régulièrement.

 Boucle temporelle et engagement collectif : un modèle d’action rythmique

Les activités gratuites (manège, piscine, spectacles, sports, etc.) et marchandes (buvettes, restauration, etc.), la promenade et la redécouverte des berges piétonnes (fermeture des berges à la circulation, illumination nocturnes), l’incongruité des mises en scène (sable, palmier, parasol en pleine ville) et les aménités historiques des lieux (paysage classé Unesco, soleil toute la journée, proximité avec l’eau), expliquent en grande partie la fréquentation de Paris-Plages (Pradel, 2008). Mais au-delà de ces éléments matériels, nous postulons que c’est aussi et peut-être avant tout le rôle social que l’événement joue, dans la métropole, à travers la coprésence qu’il stimule, qui explique la participation individuelle et l’engagement rythmique. Le rassemblement événementiel périodique, qui s’oppose à la sérialité de la vie sociale au quotidien, repose sur un processus d’auto-alimentation du collectif par le collectif. L’analyse n’est pas nouvelle. Gabriel Tarde disait à propos des foules attentives à un spectacle « [qu’] à vrai dire, c’est la foule surtout, dans ces occasions, qui se sert de spectacle à elle-même. La foule attire et admire la foule. » (Tarde, [1901] 1989). Whyte a démontré, en filmant les flux piétons dans les rues, qu’il existait un principe de « self congestion » (1980) et Lars Lerup (1978) à quel point les usagers des lieux publics extérieurs étaient attirés par la présence des autres et que se développaient dans ce cas des formes de « congruence ». Plus récemment les travaux de Samuel Bordreuil (2004) renforcent ces approches spatiales de l’analyse de la tendance sociale de l’individu à « fréquenter les fréquentations » (Bordreuil, 2004). Ce tropisme urbain est analysé ici dans sa dimension temporelle et rythmique. S’il est rendu possible par l’existence d’un lieu permettant la coprésence, il existe aussi et surtout parce que situé dans le temps, il permet la convergence des parcours temporels individuels.


Ainsi, pour expliquer le rythme collectif à partir de l’acteur et non pas seulement du groupe, il faut comprendre comment et pourquoi un individu qui organiserait ses « équations temporelles personnelles » (Grossin, 1996) sur le mode de l’urgence et de la célérité, s’accorde annuellement avec la périodicité d’un événement éphémère, intégrant du même coup cette équation. Cette intégration se fait par la mise en place d’une boucle rythmique reposant sur la synchronisation de l’action individuelle avec la date de l’événement, en fonction d’un besoin de socialisation collective. Elle s’articule dans le temps avec l’offre événementielle dans un rapport d’opportunité et/ou de programmation et explique la cyclicité du rassemblement puisque, agrégées, ces boucles rythmiques individuelles produisent la fréquentation de Paris-Plages, gage de sa reprogrammation politique. Le schéma suivant décrit ainsi, à l’échelle individuelle, les modalités sociales qui expliquent la dimension itérative de la socialisation événementielle.

  • « T » représente le processus de socialisation qui se déploie pendant la durée de présence dans l’événement et peut s’exprimer en termes d’heure, de jour ou d’année selon l’échelle d’analyse. T est l’échelle de mesure temporelle du caractère itératif de l’action.
  • « T-1 » représente le moment de la programmation du déplacement vers l’événement, c’est-à-dire de la prise de décision de l’engagement dans le rassemblement.
  • « T+1 » représente la répétition hypothétique de la boucle T, c’est-à-dire le renouvellement de la visite et/ou la prolongation de celle en cours.
  • Les interactions sont saisies à travers les discussions/bavardages que déclare avoir eu l’individu avec autrui. Ces échanges verbaux, au même titre que les échanges visuels et physiques, doivent être considérés comme un révélateur de l’influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions respectives lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres (Goffman, 2000).
  • L’appropriation qui concerne ici le temps passé à Paris-Plages, renvoie implicitement aux modalités d’utilisation des lieux.
  • L’apprentissage correspond à la socialisation, c’est-à-dire au processus par lequel l’individu intériorise un certain nombre de valeurs, de règles de comportement, de savoirs-être et savoir-faire, qui lui permettent tout à la fois de se forger sa personnalité et de vivre avec les autres, ici, les règles sociales de Paris-Plages.


La synchronisation de ces boucles temporelles avec les dates de l’événement produit le rassemblement, mais la socialisation permise par le rassemblement explique l’existence et le renouvellement de ces boucles temporelles qui font perdurer le rythme à l’échelle collective. En dehors de l’utilité économique du temps qui domine notre conception des temporalités, l’utilité du temps en termes de socialisation est une valeur en hausse. Le face-à-face physique se voit aujourd’hui doté d’une survaleur en tant que choix communicationnel dans un environnement d’ubiquité médiatique (Jauréguiberry, 2004). L’organisation des temps personnels peut ainsi être orientée de telle sorte à permettre la synchronisation avec le groupe parce qu’elle est portée par le besoin de coprésence d’un individu qui n’est ni totalement flexible, ni totalement optimisateur, ni totalement construit par les contraintes dans lesquelles il évolue. Ainsi, « les individus, même s’ils sont pris dans une conjoncture donnée, acceptent rarement d’être “pris par le temps” et de se trouver emportés dans un rapport au temps qui ne leur convient pas » (De Coninck & Guillot, 2007). La sociogenèse du rythme collectif s’explique à partir de cette boucle temporelle qui met au jour le lien entre organisation individuelle du temps et besoin de rassemblement organisée. Le lien social est au centre du déclenchement de cette boucle mêlant anticipation du rendez-vous événementiel, appropriation des lieux et production d’un vivre-ensemble particulier.

 La programmation du déplacement : l’indice d’une appétence à la socialisation collective

Le loisir dans le cadre du temps libre peut être une ressource mobilisable, instrumentalisée dans l’optique d’une recherche de sociabilité qui s’inscrit dans une organisation individuelle de son temps. La mobilité de loisir relève alors moins d’une « mobilité de transit » que d’une « mobilité de sociabilité » (Ramadier, Petropoulou & Bronner, 2008) qui révèle une appétence pour le rassemblement. Cette mobilité fait l’objet d’une programmation qui renvoie à une anticipation de l’engagement dans le groupe. On ne vient ainsi pas par hasard à Paris-Plages : 76 % des participants ont programmé leur visite dont 65 % à plus de 48h à l’avance. De par sa nature éphémère, Paris-Plages représente un horizon socio-temporel à atteindre dans l’action obligeant à planifier la visite en élaborant une stratégie temporelle. Cette anticipation s’élabore au domicile qui est « à la source de la volonté, c’est-à-dire de la dimension volitive de la capacité d’action » (Jouffes, 2007, p. 457). Parmi les 71 % des participants qui viennent depuis leur domicile, 84 % programment leur déplacement, tandis que les moins programmateurs entretiennent plus une relation d’opportunité à l’événement du fait de la proximité de leur lieu de départ. Dans leur grande majorité, les participants se dévoilent comme des programmateurs rationnels dans le choix de leurs rythmes partagés. L’anticipation constitue un aboutissement des capacités de l’acteur à se projeter dans le collectif, de manière réflexive dans l’espace et le temps, pour participer à la dynamique de socialisation festive.


Mais cette appétence pour la coprésence événementielle qui explique l’anticipation pourrait être sous-tendue par une précédente expérience satisfaisante de Paris-Plages. Rien n’est moins sûr cependant car plus les primo-participants à Paris-Plages (qui n’ont pourtant pas encore d’expérience du lieu) anticipent leur engagement dans le rassemblement, plus ils trouvent le contact social plus facile que dans le reste de la ville.

Ce sous-échantillon permet d’effacer le poids que peut faire peser une précédente visite de l’événement, et donc une appréciation préalable de la sociabilité événementielle, sur la décision de participation. Ainsi, la perception d’une certaine facilité dans les contacts de la part de ces nouveaux venus se traduit par une plus grande probabilité d’entrer en interactions avec autrui en fonction de leur degré d’anticipation du déplacement.

L’ancienneté de la programmation du déplacement semble bien s’expliquer par une appétence pour la sociabilité festive puisqu’elle augmente la probabilité de rencontre. Cette appétence se traduit par une certaine ouverture sociale puisque c’est sur les rencontres fortuites avec des personnes inconnues que la variable joue le plus : 17 % des visites fortuites des primo-participants débouchent sur une rencontre avec un inconnu, contre 23 % lorsqu’elles ont été prévues la veille et 27 % deux jours à l’avance. À plus court terme, la programmation de la visite à Paris-Plages permet également de retrouver les membres d’un réseau social préexistant en se donnant rendez-vous sur les lieux. À l’inverse, lorsque la participation n’est pas programmée, la probabilité de faire des rencontres, quel que soit son type, diminue. Il y a donc un attendu en terme de socialisation chez les primo-participants qui semblent posséder une pré-connaissance des effets sociaux de la concentration : un changement de la conscience qui s’apparente à une forme d’effervescence de la vie psychique individuelle, qui se transforme pour accueillir le semblable et rendre les contacts plus nombreux et plus intimes (Durkheim, 2002). Si l’on considère maintenant l’ensemble de l’échantillon, 53 % des participants qui ont programmé leur déplacement ont fait des rencontres, contre 40 % de ceux qui se sont retrouvés par hasard à Paris-Plages [3]. Et parmi les programmateurs, 57 % de ceux qui ont décidé de leur déplacement la veille ont fait des rencontres, contre 48 % de ceux qui l’ont décidé dans la journée. Plus il anticipe à l’avance sa participation au rendez-vous balnéaire, plus le participant fait des rencontres et révèle sa plus forte appétence à la sociabilité collective. Cette dernière s’observe également dans l’analyse des usages de l’espace événementiel.


Derrière ces corrélations, se cache celle qui relie l’anticipation du déplacement avec la durée de présence à Paris-Plages, qui correspond à un plus fort investissement social dans les lieux. Lorsque la visite a été programmée deux jours à l’avance, 37 % des participants restent plus de 4h, lorsqu’elle a été prévue la veille ils ne plus que 21 % à rester plus de 4h et 15 % lorsqu’elle a été décidée le jour même. À l’opposé, 44 % des visites fortuites durent moins d’une heure. Le couple durée de présence et programmation de la visite reflète une plus grande insertion dans le groupe rassemblé via les utilisations différentes des aménités de Paris-Plages : 51 % de ceux qui sont resté moins d’une demi-heure se sont promenés et 12 % ont utilisés les lieux de détente et d’arrêt. Une participation brève est rarement programmée. Elle se traduit par une simple traversée des lieux, une rapide évaluation du site et l’assouvissement d’une certaine curiosité. Elle est le signe d’un faible engagement dans le collectif. En revanche, une participation longue est souvent programmée. Elle se traduit par une plus grande utilisation de l’offre événementielle : 34 % de ceux qui sont restés entre 1 et 2 heures se sont promenés et 27 % ont utilisés les lieux de détente ; 25 % de ceux qui sont restés plus de 4h se sont promenés et 19 % ont utilisés les lieux de détente. Le fait de s’arrêter dans les espaces de détente n’est pas anodin car l’anonymat, proportionnel à la durée du passage ainsi qu’à la densité de rotation des individus dans un lieu, ne résiste pas à l’immobilisme (Petonnet, 1987). D’abord, la participation à une activité revient à entrer dans des processus de socialisation avec des inconnus (Tai-chi, fitness, piscine, beach-soccer ou beach-volley en équipe, etc.). Ensuite, prendre part au groupe des plagistes ou s’allonger sur un transat dans les zones de détente oblige à une certaine lecture des règles implicites des groupes ainsi constitués, comme par exemple l’obligation de rester allongé sur le sable, de posséder les attributs du plagiste ou de comprendre le zonage social interne aux plages (Pradel, 2010). Enfin, les activités et l’insertion dans ces zones sont souvent le fait de personnes en groupes, de couples ou d’amis qui viennent profiter du lieu pour se retrouver, pique-niquer, faire un sport d’équipe, boire un coup. Ainsi, Paris-Plages devient un lieu de socialisation et un lieu de rendez-vous pour passer l’après-midi au soleil. La simple participation à l’ambiance sociale et la coprésence estivale, qui diffèrent de celles expérimentées au quotidien, devient un motif de satisfaction qui explique, derrière l’utilisation des équipements, l’engagement temporel de l’acteur.


Après avoir franchi le seuil symbolique séparant l’instant T de l’instant T+1 dans la boucle temporelle, nous nous intéressons maintenant au cœur du processus de socialisation événementielle. Il s’incarne dans une dynamique séquentielle d’apprentissage des règles de la rencontre propre aux rendez-vous collectifs et explique le lien entre rythme et interactions sociales.

 L’expérience du rassemblement : l’apprentissage itératif des règles de la sociabilité événementielle

Si l’inclinaison à la rencontre est un caractère qui sied aux participants des rassemblements festifs en général, les interactions effectives dépendent de l’expérience de l’événement. L’apprentissage des règles spécifiques qui encadrent les rencontres à Paris-Plages est un processus cumulatif de savoir-être et savoir-faire. Le propos n’est pas ici de décrire ce jeu collectif de la « balnéarité urbaine » (Pradel, 2010). Il s’agit de montrer en quoi la familiarisation avec la dynamique sociale interne de Paris-Plages qui organise les interactions, est liée avec la régularité et donc la rythmicité des participations. Chez le primo-participant, le pré-connaissance des modalités de la coprésence repose sur une représentation idéelle de l’événement forgée au fil des expériences de diverses formes de rassemblements festifs. En revanche, chez ceux qui sont déjà venus cette projection repose sur une expérience vécue qui leur donne un avantage en matière de connaissance des règles de socialisation propres à Paris-Plages. L’écart entre les 17 % de primo-participants présents par hasard et qui ont rencontré un inconnu, et les 27 % des habitués de Paris-Plages (chaque année) présents eux-aussi par hasard et qui ont rencontré un inconnu, montre que l’ouverture sociale ne suffit pas à expliquer la propension aux rencontres. Le constat qui est fait est le même face à l’écart entre les 29 % de primo-participants par hasard qui trouvent le contact plus facile qu’ailleurs, et les 41 % des habitués présents également par hasard qui ont le même jugement. L’inclinaison à la rencontre est moins efficace en matière de socialisation que l’expérience des lieux.


Ainsi, il existe un rythme d’apprentissage du jeu et de la règle de socialisation balnéaire qui se déploie à trois échelles de temps (jour, mois, année) et qui explique en partie le rythme des visites. La perception de l’ambiance sociale particulière de Paris-Plages et la probabilité de faire des rencontres au fil des participations révèlent ce processus. À l’échelle de la journée, la durée de visite permet de percevoir une différence avec la sociabilité ordinaire qui influence en retour l’engagement dans le rassemblement situé (Voies sur Berges), les zones densément fréquentées (plages, concerts, etc.), les activités collectives (cours de danse, pétanque, etc.), etc.

La proportion des participants qui perçoivent une plus grande facilité dans les contacts sociaux à Paris-Plages par rapport au reste de l’environnement urbain croit avec le temps passé sur le site : 58 % de ceux qui sont restés plus de 4h et 45 % de ceux qui sont restés plus de 2h à Paris-Plages trouvent le contact social plus facile, contre seulement 34 % de ceux qui sont restés moins d’une heure. Cette tendance ne s’oppose pas à la perception d’une ambiance sociale délétère, mais plus à un jugement neutre (« contact ni plus, ni moins, facile ») qui évolue vers une prise de conscience de la convivialité des relations sociales à mesure que la connaissance du lieu augmente. Si nous soulignons encore une fois que la corrélation est également vraie pour les primo-participants, l’expérience antérieure des lieux explique et renforce cette évolution de la perception. En effet, l’apprentissage des règles du jeu évolue selon le nombre de participations sur une seule et même édition qui dure un mois [4] : 45 % des participants qui viennent 2 ou 3 fois à Paris-Plages dans le mois trouvent le contact plus facile qu’ailleurs contre 56 % lorsqu’ils viennent plus de 5 fois. L’apprentissage évolue également selon la régularité des visites depuis le lancement de l’opération en 2002.

À l’image du tableau précédent, la régularité des participations augmente la perception de la sociabilité festive au détriment d’un jugement relativement neutre. Si notre enquête concerne seulement les interactions verbales, il faut garder à l’esprit que la perception englobe toutes les formes d’interactions dans l’espace public : verbales, visuelles et physiques. Au fil de l’expérience totale (un espace, un moment, un groupe) du rassemblement de Paris-Plages, le participant prend la mesure du message latent du lieu (Korosec-Serfaty, 1988). Il l’accepte et le diffuse pour participer de la redéfinition de l’anonymat et de la prise de distance vis-à-vis d’autrui caractérisant le quotidien de la vie sociale dans la grande ville : 47 % des personnes trouvant le contact social facile et ayant fourni au moins une réponse affirment avoir bavardé avec un inconnu, contre 20 % de celles qui trouvent le contact moins facile ou de même nature que dans le reste de la ville.


De manière assez logique, l’appréciation de la sociabilité événementielle qui s’explique par l’acquisition d’un savoir-être dans le groupe débouche sur une plus grande probabilité de rentrer en contact effectifs avec les protagonistes du rendez-vous.

La proportion des participants qui n’ont fait aucune rencontre décroit à mesure qu’ils acquièrent de l’expérience dans le lieu, tandis que leur propension à entrer en contact avec des inconnus augmente. Le phénomène s’observe de façon identique avec le nombre de participation mensuel : 42 % des participants qui viennent 2 ou 3 fois dans le mois ne font aucune rencontre et 26 % rencontre une personne inconnue, contre respectivement 20 % et 39 % de ceux qui viennent plus de 5 fois. Le phénomène est également visible à l’échelle pluriannuelle.

Si la perception de l’ambiance sociale relève d’un ressenti, l’apprentissage de la sociabilité événementielle se traduit en acte concret à travers les chroniques de la rencontre. Plus il reste longtemps et plus il participe régulièrement au rendez-vous, plus le participant entre en contact avec des personnes qu’il ne connaît pas et/ou rencontre par hasard de personnes qu’il connaît déjà. Outre les rencontres d’une population de voisinage, ce dernier type de rencontre peut s’expliquer par la construction d’une tradition collective de la part des plus réguliers des participants qui, d’année en année se retrouvent sur les mêmes lieux et produisent un groupe qui se réifie chaque été. Le directeur de la DGEP qui suit l’événement depuis huit ans confirme qu’il « retrouve les mêmes gens aux mêmes endroits. Je prends une photo le 20 juillet 2005, je reprends la même le 21 juillet 2006 j’ai la même personne au même endroit. Les gens, comme s’ils n’étaient pas partis, ils venaient de quitter leur fauteuil et ils reprenaient place dans leur hamac. ». Par exemple, beaucoup de nounous se retrouvent à Paris-Plages lors de la promenade de l’après midi avec l’enfant qu’elles gardent.


Ainsi, la corrélation « expérience de Paris-Plages/rencontres effectives » peut s’expliquer de manière purement quantitative : une présence plus longue entraîne une augmentation des rencontres par l’accumulation des situations d’interaction. Au-delà de la probabilité statistique, la corrélation s’explique par l’adaptation comportementale de chaque participant à un mode d’être ensemble particulier où les barrières sociales à la rencontre diminuent. L’anonymat urbain, cette forme particulière de réserve à l’égard d’autrui rendant possible la vie individuelle au milieu de la multitude (Jarrigeon, 2005) devient un anonymat modifié, labile. La neutralisation systématique des échelles temporelles cachées montre que la rencontre est surtout la conséquence de cet apprentissage qualitatif des règles de la socialisation.


Premièrement, en comparant les taux de rencontre des primo-participants avec celui des participants ponctuels et des participants réguliers, on observe qu’à temps de présence égal, le néophyte fait moins de rencontres que le plagiste ponctuel qui fait moins de rencontres que le plagiste confirmé. Les écarts les plus importants se situent dans la catégorie des rencontres avec des personnes inconnues qui illustrent, selon nous, le mieux cette sociabilité événementielle. Lorsqu’ils restent moins de 2h, 19 % des primo-participants ont bavardé avec un inconnu, contre 22 % des participants ponctuels et 27 % des participants annuels. Lorsqu’ils restent plus de 4h, 28 % des primo-participants ont bavardé avec un inconnu, contre 36 % des participants ponctuels et 48 % des participants annuels. La régularité pluriannuelle de la visite augmente les rencontres pendant la visite en cours parce que l’apprentissage des règles de sociabilité de Paris-Plages possède un caractère cumulatif qui articule différentes échelles de temps.


Deuxièmement, à temps de présence égal, le taux de rencontre avec des inconnus augmente avec le nombre de participation déjà effectuées durant l’édition 2007 de référence. Lorsqu’ils sont restés moins de 2h, 37 % des participants qui sont venus plus de 5 fois à Paris-Plages en 2007 ont bavardé avec un inconnu, contre 20 % de ceux qui ne sont venus que 2 à 3 fois dans le mois. Le taux de rencontres fortuites augmente lui aussi avec le nombre des visites estivales, ce qui tendrait à démontrer qu’il se constitue une population de plagistes parisiens estivaux qui se retrouvent régulièrement sur les lieux, peu importe s’ils se connaissaient avant ou non. Enfin, si le taux d’isolement (aucune rencontre) ne cesse de décroitre avec le nombre de visite, il est toujours plus important chez les visiteurs qui sont restés moins de 2h que chez les autres.


Troisièmement, à nombre de visite égal durant l’édition 2007, le participant régulier a toujours plus de chance de bavarder avec un inconnu que le participant ponctuel. Si pour une unique visite l’écart n’est pas significatif (3 %), il augmente avec le nombre de visites. À 2 à 3 participations, 25 % des participants ponctuels et 31 % des participants annuels ont rencontré un inconnu, soit 6 points de différence. À plus de 5 participations, 34 % des participants ponctuels ont rencontré un inconnu et 46 % des participants annuels, soit 12 points d’écarts. L’effet de la participation estivale sur la rencontre avec des inconnus est renforcé par la régularité pluriannuelle de la visite. Le rythme calendaire joue ici son rôle d’accélérateur de la socialisation par l’apprentissage cumulé sur plusieurs années des règles sociales du lieu. Mais si les participants ponctuels discutent moins avec des inconnus, c’est en partie parce qu’ils utilisent plus l’événement pour donner rendez-vous à des connaissances, pratique que l’on retrouve moins chez les participants pluriannuels.


Globalement, la perception de la facilité des contacts sociaux augmente avec l’expérience des lieux à toutes les échelles de temps (horaire, mensuelle, pluriannuelle) tandis qu’en parallèle le taux d’isolement social décroit (quel que soit les types de rencontre) et le taux de rencontre avec des inconnus augmente. Le phénomène révèle l’existence d’une sociabilité événementielle qui relève d’un apprentissage d’un vivre-ensemble urbano-balnéaire. Certains utilisent le rassemblement ponctuellement pour réifier un réseau social préexistant et éprouver les liens du groupe en situation de foule. D’autres cherchent à rompre l’isolement social, à draguer, à faire des rencontres et multiplient alors les visites. D’autres, enfin, s’installent dans le rassemblement pour profiter des lieux et, dans un climat vacancier et sécurisé, s’ouvrent à la discussion, même furtive. Dans tous les cas, le rythme de participation augmente le nombre des interactions in situ et produit du lien social sur des bases associatives.

 Rencontres et renouvellement de la participation

Nous passons maintenant à la relation entre T et T+1 qui repose sur des déclarations d’intention et non des faits avérés. De manière générale, la propension à renouveler l’engagement dans le rassemblement événementiel a tendance à augmenter avec la perception de l’ambiance sociale et la rencontre. Globalement, 74 % des participants à Paris-Plages 2007 souhaitent revenir dans l’année en cours et 76 % l’année suivante. La fidélisation des publics fonctionne dès la première expérience puisque les primo-participants sont 70 % à souhaiter revenir l’année en cours et 66 % l’année suivante. Les rythmes collectifs continuent donc de structurer l’année pour certaines populations sur lesquelles les villes peuvent s’appuyer pour dynamiser de manière régulière leur fréquentation. Si la visite unique est finalement rare et peu commune, son renouvellement varie en fonction de l’appréciation de l’ambiance sociale : parmi les participants qui trouvent le contact social plus facile que dans le reste de la ville, 84 % reviendront durant l’édition en cours et l’année suivante, alors que ceux qui trouvent le contact ni plus ni moins facile sont 67 % à programmer une nouvelle visite pendant l’édition et 70 % l’année suivante. La convivialité des lieux réactive annuellement la boucle temporelle de participation à deux échelles de temps.

Fait remarquable, les participants qui trouvent le contact moins facile sont plus enclins à revenir dans l’année (72 %) que ceux qui portent un jugement neutre. Ils sont même moins affirmatifs dans leur propos que ces derniers. Soit ce phénomène est l’indice d’une forme de persévérance dans l’envie de percer la dynamique sociale du lieu qu’ils n’ont pas encore bien appréhendé, soit il reflète la part des publics qui viennent uniquement pour profiter des aménagements et se trouvent agacés de leur forte fréquentation qui empêche d’en profiter pleinement. Si la perception de l’ambiance sociale joue sur l’engagement rythmique dans le rassemblement, la rencontre à également un effet sur le renouvellement de la visite : 86 % des participants qui ont rencontré des connaissances, 83 % de ceux qui ont rencontré des inconnus et 80 % de ceux qui ont utilisé l’événement pour donner rendez-vous affirment qu’ils reviendront durant l’été 2007 contre 67 % des participants qui n’ont fait aucun type de rencontre. Le phénomène est moins marqué en ce qui concerne le renouvellement de la visite l’année suivante et s’interprète plus en termes de tendance.

Si 73 % des participants qui n’ont fait aucune rencontre souhaitent revenir en 2008, ils sont 85 % à affirmer la même chose lorsqu’ils ont rencontré des connaissances par hasard et 82 % lorsqu’ils ont bavardé avec une personne inconnue. Les utilisateurs du lieu pour donner rendez-vous avec des membres de leur réseau social sont 75 % à souhaiter revenir et 22 % à être encore indécis. Cela correspond à leur engagement ponctuel évoqué plus haut.

 Conclusion

Nous avons bouclé la boucle temporelle. La programmation de la participation au rendez-vous collectif, l’appropriation spatiotemporelle des lieux et la sociabilité qui s’y déploie forment un triptyque explicatif des rythmes collectifs. Ainsi, parmi les participants qui viennent chaque année, 59 % viennent plus de 3 fois tandis que ceux qui ne viennent que ponctuellement depuis 2001 ne sont que 35 % à venir plus de trois fois. Or, les participants qui font plus de trois visites à Paris-Plages sont 59 % à rester plus de 2 heures contre 40 % pour ceux qui ne viennent qu’une seule fois. Une part importante du public événementiel programme sa visite, vient longtemps, souvent, régulièrement et devient les fidèles de l’événement. Dans l’explication de ces pratiques rythmiques au niveau individuel, la sociabilité en situation fait jeu égal avec les dimensions fonctionnelles ou esthétiques des lieux qui l’influencent. Le rythme d’apparition/disparition de ces fonctions, qui marque l’espace-temps urbain, rend possible la concentration d’une partie de la population et organise une morphologie spatiale et saisonnière de la métropole. L’engagement rythmique de l’individu à l’échelle pluriannuelle dans ces événements révèle un besoin de coprésence qui contrebalance en partie l’idée du développement croissant d’un zapping territorial, d’un renouvellement constant des pratiques spatiales et d’un moindre engagement dans des activités régulières collectives. Au-delà de l’utilisation des aménagements ludiques, ou plutôt en articulation avec eux, cet engagement peut s’expliquer par la volonté individuelle de participer à un rassemblement qui est vecteur d’interactions multiples, remodelées dans un faire-semblant ludique extra-quotidien. La fonction loisir devient alors un prétexte à la rencontre car « dans et par l’espace de loisir s’ébauche une pédagogie de l’espace et du temps, à l’état virtuel et dénié, certes, mais comme indication et contre-indication. Le temps restitue sa valeur d’usage. La critique de l’espace du travail, implicite ou explicite, entraîne à son tour celle des gestes brisés (spécialisés), du mutisme, de la gêne et du malaise. » (Lefebvre, 2000, p. 443)


Si l’urbanité balnéaire de Paris-Plages est bâtie sur une initiative politique d’aménagements temporaires, elle repose surtout sur leur saisissement collectif par des individus qui s’en servent pour développer une coprésence aux accents d’inédit, de rituel institué, renversant les codes ordinaires du vivre-ensemble et en synchronisant leurs pratiques de la ville. Ce vivre-ensemble est une forme de relation affine à la société urbaine qui se bâtit à partir de l’offre multiple de rassemblement événementiel. Il illustre « une relation d’association fondée ni sur l’obligation normative, ni sur l’intérêt stricto sensu, mais sur l’idée d’une relation à autrui librement consentie comme fin en soi » (Soulet, 2004). La multiplication et le succès des rassemblements libres, de la rave party aux apéros géants en passant par les festivals, exprime le besoin de vivre-ensemble dans une relation choisie, réflexive, maitrisée, associative et rythmée au groupe social. Cette interprétation renvoie à la notion d’interactions néo-dialectiques entre niveaux individuels et collectifs qui, dans une perspective dynamique, peut être rapprochée du modèle de société idiorrythmique de Roland Barthes qui reposent sur une conception souple de la contrainte : pas de règle, mais des indications qui impliquent, via la mobilité et la disponibilité des individus, la possibilité d’un passage choisi vers le communautarisme ou vers la solitude absolue. Ainsi, la coordination des rythmes individuels fluides avec ceux, réguliers, du groupe est l’objet d’un choix parmi différents possibles, qui répond à un besoin. Ce lien associatif, replacé dans une perspective temporelle, est au fondement du rythme collectif parce qu’il est aussi un lien itératif lorsque ces possibles sont des événements festifs. Et si la socialisation à Paris-Plages repose pour certains sur une « urbanité aussi festive que factice » (Garnier, 2008), elle s’explique finalement par une recherche de the place to be parce que the others are in.

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Notes

[1Le titre de cet article dialogue avec celui de Francis Godard, 2003, « Cessons d’opposer temps individuel et temps collectif », Revue Projet, n° 273, p. 35-42

[2Comparés aux rythmes des milieux temporels ruraux, les rythmes des milieux urbains « apparaissent courts, tendus, facilement récurrents dans des ensembles ramassés. [...] Les semaines se suivent et se ressemblent, été comme hiver, réserve faite de quelques loisirs, plus souvent extérieurs pendant les beaux jours. Les temps se disputent une prééminence, malgré leur conjonction nécessaire. Ils se succèdent et se chevauchent plus souvent ou plus fortement qu’ils ne s’entrecroisent. » (Grossin, 1996, p.3). Mais aujourd’hui, cette « réserve faite de quelques loisirs » n’est-elle pas devenue un élément fondamental de l’identité temporelle des métropoles et de ses rythmes collectifs ?

[3Toutes les corrélations retenues dans cet article sont significatives avec un risque d’erreur maximum, exprimé en pourcentage, de 5 %, suivant le test du Khi².

[4La corrélation est avérée mais nous ne présentons pas les tableaux ici. Pour plus de détails nous renvoyons le lecteur à la thèse à partir de laquelle a été écrit cet article : PRADEL. B., 2010, Rendez-vous en ville ! Urbanisme temporaire et urbanité événementielle : les nouveaux rythmes collectifs, Université Paris-Est, École doctorale Ville, Transports, Territoires, sous la direction de Francis Godard et Marie-Hélène Massot, 535 p.

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